Le premier ministre Pierre Elliott Trudeau (à droite) et son ministre de la Justice d’alors, Jean Chrétien, pendant la rencontre du 5 novembre 1981.
Ce texte sera prononcé aujourd'hui par l'auteur, qui participe à la conférence d'ouverture du colloque sur les 30 ans du rapatriement de la Constitution organisé à l'UQAM par l'Association internationale des études québécoise, du 12 au 14 avril
Deuxième de trois textes - Dans quelques décennies, les historiens, qui aiment désigner certaines dates comme marquant le cours des choses, décriront le 5 novembre 1981 comme étant le jour où le Canada s'est fractionné. Le jour où le Canada a décidé qu'il allait dorénavant construire son avenir sans le Québec. Le jour où le compromis qui, en 1867, avait donné naissance à la Confédération canadienne, a expiré et est devenu obsolète.
J'ai été un acteur privilégié de tout le processus du rapatriement de la Constitution puisque j'ai été le seul à accompagner M. René Lévesque dans chacune des séances de négociation tenues à huis clos entre les premiers ministres. Je sais ce dont je parle et je me souviens très bien de ce qui s'est passé. Aussi, je voudrais saisir l'occasion du colloque organisé à l'UQAM sur la question pour mettre au dossier un certain nombre de précisions qui viendront, je l'espère, mieux faire comprendre ce qui s'est réellement passé.
1- Je tiens à souligner — car cela est quelquefois mis en doute — que, dans toute cette série de conférences sur le rapatriement de la Constitution, le Québec a négocié de bonne foi. Il n'était pas contre le rapatriement et il espérait qu'on pourrait finalement s'entendre sur la manière correcte de le faire.
2- J'ai entendu dire par certains, comme justification de l'exclusion finale du Québec, que, de toute façon, jamais celui-ci n'aurait accepté une quelconque formule d'amendement de la Constitution qui aurait pu faire consensus. Cela est manifestement faux puisque le Québec avait déjà accepté par écrit la formule de Vancouver sur laquelle il s'était entendu formellement avec sept autres provinces. Si cette formule avait été intégralement acceptée par les onze gouvernements, le Québec s'était déjà engagé à la signer.
3- Le Québec ne s'opposait évidemment pas à l'adoption d'une Charte des droits, puisqu'il avait déjà la sienne depuis 1975, une Charte qui était d'ailleurs plus complète puisqu'elle prohibait la discrimination relative à l'orientation sexuelle et reconnaissait l'existence de droits économiques et sociaux.
4- On a beaucoup parlé, après coup, de l'accueil favorable donné par le Québec, au cours de la négociation, à la suggestion de M. Trudeau d'envisager de régler la question au moyen d'un référendum si, après trois ans de discussions, on ne pouvait en arriver à un consensus. Cela, dit-on, aurait été considéré par les sept autres provinces du front commun comme une brisure de celui-ci. J'affirme catégoriquement que cela n'est absolument pas conforme aux événements. Après que M. Trudeau eut, dans l'après-midi, reculé sur sa proposition, cette possibilité d'un référendum a été définitivement écartée par la conférence et il n'en a plus jamais été question; elle n'a donc aucunement affecté le cours subséquent des négociations. D'ailleurs, ce sujet n'a jamais été évoqué lors de la réunion habituelle de fin de journée entre les huit premiers ministres ou encore entre les délégations des huit provinces, qui, je dois le souligner, avaient toujours été et étaient restées très cordiales.
5- La formule d'amendement qui a finalement été adoptée par la conférence n'est pas celle proposée par M. Trudeau, mais bien la formule de Vancouver proposée par les huit provinces — avec cependant une amputation majeure: la compensation obligatoire en cas de retrait sur laquelle le Québec avait insisté. Même à cet égard, M. Trudeau a fini par accepter, quelques semaines plus tard, que cette compensation soit obligatoire en matière d'éducation et de culture. Ce n'est donc que par un entêtement obtus et orgueilleux de sa part que la formule de Vancouver, déjà acceptée par le Québec, n'a pas été retenue dans sa totalité. Car, il faut le souligner, tous les partis d'opposition au Parlement fédéral étaient favorables, dans le cas du Québec, à une pleine compensation en cas de retrait.
6- Le seul autre point de désaccord avec le Québec, celui de l'article 23 de la Charte en matière de langue d'enseignement, n'a jamais été discuté lors de la conférence, celle-ci s'ajournant immédiatement après le coup de force contre le Québec. On ne saura donc jamais s'il eût été possible de trouver un compromis acceptable à ce sujet.
Refondation du Canada
Le résultat de tout cela, c'est que le rapatriement de 1982, qui aurait dû et aurait pu être une occasion de renforcement de l'unité nationale, a plongé le Canada dans une crise constitutionnelle dont il n'est pas près de sortir. On a bien tenté de réparer les dégâts par les accords du lac Meech, mais ça n'a pas marché, certaines provinces reniant, encore une fois, leur engagement initial. De sorte que tout progrès constitutionnel est devenu impossible.
À la réflexion et avec le recul du temps, il devient de plus en plus évident que le rapatriement de la Constitution, non pas en soi, mais en raison de la façon dont il s'est fait, a conduit, sans qu'on s'en rende compte vraiment, à une véritable refondation du Canada sur des bases différentes de celle de 1867. À partir du 5 novembre 1981, le Canada et le Québec ont compris qu'il n'était plus obligatoire qu'ils s'astreignent à toujours suivre la même route et qu'ils pouvaient aller chacun leur chemin. Que le Canada pouvait concevoir son avenir sans le Québec, qui n'était plus un partenaire indispensable de l'aventure canadienne.
Le Canada anglais s'est naturellement réjoui du rapatriement de la Constitution. Il y a vu, avec fierté, un accomplissement et un geste d'affirmation nationale qui renforçait l'unité de la nation autour de tous ses dirigeants. Mais ce fut le contraire pour le Québec puisque ce rapatriement a été et demeure une cause de division profonde entre le Québec et le reste du pays.
Cette différence fondamentale sur la nature même de ce qu'est la Confédération canadienne ne semble pas trop préoccuper le Canada anglais, pour qui la question est définitivement réglée. Fini le braillage! Assez de ces revendications historiques que justifie de moins en moins la réalité canadienne contemporaine! La Constitution est là. Elle s'applique, qu'on le veuille ou non. En définitive, c'est «take it or leave it».
Le 5 novembre 1981, le Québec a, en quelque sorte, été mis à la porte du Canada. À mon avis, le jour n'est pas loin où il dira, en partant: «Bien le bonjour! À la revoyure!»
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Louis Bernard - Secrétaire général du Conseil exécutif sous René Lévesque
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