Le halal et les limites criardes de notre petite bien-pensance locale

Chronique de Djemila Benhabib


Résumons quelques points de l’excellent reportage de Caroline Lacroix, journaliste à l’émission de Dumont le midi, sur l’abattage halal. Chose remarquable, la journaliste a pu identifier l’une des mosquées montréalaises, en l’occurrence Abou Bakr Essedik dirigée par l’imam Mohamed Habib Marzougui, qui remplit ses coffres grâce à ce rituel qui se fait dans des circonstances pour le moins troublantes puisqu’elles manquent cruellement de transparence.
En effet, le poulet produit chez Olymel, un gros joueur dans le marché, n’étiquette pas l’ensemble du poulet soit disant(sic) certifié halal par quelques imams autoproclamés qui ont flairé la bonne affaire pour renflouer leurs caisses sur le dos de l’ensemble des consommateurs qui, à chaque fois qu’ils achètent un poulet Olymel, se trouvent pris à financer bien malgré eux des mosquées.
Le halal n’est pas seulement l’apanage d’Olymel. Dans un reportage, paru en août 2009 et intitulé Le halal bientôt en Bourse?, Mustapha Chelfi, le patron du journal Alfa destiné à la communauté maghrébine, s’est penché sur le sujet et a visité plusieurs abattoirs dont Louis Lafrance, situé à 130 km à l’est de Montréal. « (…) Les quantités qui se brassent se comptent par dizaines et centaines de tonnes et se chiffrent par milliers et millions de dollars. L’abattoir Louis Lafrance, à lui seul, abat, par semaine, 165 bœufs, 200 veaux de grain, 900 moutons et chèvres qu’il distribue dans 100 magasins à Montréal et Québec. François Lafrance précise : « L’abattoir existe depuis 1929. Depuis 1999, nous ne faisons plus l’abattage de porc. »
D’autres abattoirs suivent la même tendance dont Jacques Forget à Terrebonne et Écolait à La Plaine qui exportent de la viande en direction de l’Arabie saoudite, de la Jordanie, de l’Égypte, de Dubaï et de Oman en plus d’approvisionner les Inter Marché, les Provigo, les Maxi, les Loblaw’s. Artur Batista, vice-président de la compagnie Écolait, explique à Mustapha Chelfi que tout le processus d’abattage se fait sous la supervision de religieux. « Tous les matins, dès huit heures, en présence du rabbin et du sacrificateur musulman, Mohamed Moufadel, l’abattage commence. Nous ne faisons pas de porc, juste du veau. C’est l’ISNA qui contrôle la conformité de l’abattage des animaux au rituel musulman. L’ISNA, c’est l’Islamic Society of North America».
Le prolongement du pouvoir politique islamique, en Occident, à travers des mosquées
Lorsqu’on convertit ces centaines de millions de tonnes de viandes en dollars, cela doit certainement faire un sacré paquet d’argent. Le fait que l’on pige dans cette cagnotte pour rétribuer des mosquées doit nous inquiéter au plus au haut point. Plus encore, l’on doit doublement s’interroger lorsque l’on sait qu’aucun critère objectif n’encadre la fonction d’imam, contrairement aux représentants des autres religions, de qui l’on exige un cheminement académique en bonne et due forme lorsqu’il s’agit de prêtres, de pasteurs ou de rabbins.
Que dire aussi de la charge violente de ces prêches incendiaires de certains de ces imams qui prennent systématiquement pour cible des petites filles et des femmes en les taxant d’occidentalisées, c’est-à-dire de dépravées et de moins que rien? Alors que chacun sait maintenant, du moins ceux qui veulent, à travers la tragédie des Shafia, l’impact qu’engendrent de tels discours dans la reproduction de mécanismes, de traditions et de coutumes barbares et infâmes, la plus grande vigilance s’impose. Ce quadruple meurtre nous dit bien l’enjeu crucial et universel de l’émancipation des femmes.
« Le colonialisme, le racisme, la discrimination au nom de l’origine sont des abjections. C’est entendu. Mais l’oppression des femmes, le credo imposé, le marquage identitaire exclusif, la religion convertie en domination politique n’en sont-elles pas également ? Et devra-t-on se taire devant les secondes abjections sous prétexte de lutter contre les premières ? », s’interroge le philosophe français Henry Pena Ruiz. (Vigile souligne)
Mais alors en fonction de quels critères les imams se retrouvent catapultés dans une mosquée? Ce sont leurs accointances politiques, ni plus ni moins, avec tel pays musulman ou telle autre organisation islamiste qui les érigent au sommet de la pyramide.
Dans ce contexte, il n’est guère étonnant que la cartographie idéologique des mosquées soit calquée sur des courants politiques bien établis dans les pays arabes et musulmans. En d’autres mots, ces lieux « de culte » fortement politisés ne sont que des prolongements d’États qui ont pour ambition d’élargir leur pouvoir, en Occident, en ayant une main mise sur les communautés musulmanes à travers un réseau de mosquées et de centres islamiques.
On retrouve la trace de l’Arabie saoudite et du Qatar, mais pas seulement. Des pays comme l’Algérie, le Maroc, la Syrie, le Pakistan ou encore l’Iran sont du nombre ainsi que des groupes tels que la confrérie des Frères musulmans, le Hamas et le Hezbollah. Loin d’être homogènes, ce réseau de mosquées obéit bel et bien à des impératifs géopolitiques plutôt que spirituels. J’y reviendrai dans une prochaine chronique.

Lorsque la bien-pensance québécoise caricature la France
Certes, le modèle français est en panne et mériterait un sérieux coup de barre. Pour autant, il est erroné de prétendre qu’il n’a rien réussi ou si peu s’agissant de l’intégration des différentes populations musulmanes. Il importe surtout de préciser qu’en période de tensions sociales et internationales, il est grave de laisser croire que les différences ethniques et religieuses doivent pouvoir s’exprimer n’importe où, sans conditions.
Chose certaine, la solution ne réside surtout pas dans son sabordement et son remplacement par le modèle multiculturaliste dont André Pratte et Rima Elkouri nous chantent les louanges depuis des lustres dans La Presse. Surtout, il ne sert à rien de diaboliser la France à coup de caricatures. Car ce pays demeure un haut lieu de foisonnement et de brassage culturels et intellectuels, y compris pour la culture arabo-musulmane.
En France comme ailleurs, les dérogations à la règle commune si chères aux adeptes de Bouchard-Taylor et de sa philosophie du deux poids deux mesures – s’agissant du traitement réservé aux religions des minorités – ont fini par nourrir un très fort ressentiment dans la population, un ressentiment qui a principalement profité à des courants d’extrême droite ouvrant grande la porte, en Europe, à une montée du racisme et de la xénophobie.
En prétendant, dans sa chronique de mercredi dernier, que le PQ est devenu une pâle copie du Front national et que Jean Bauberot est le monsieur laïcité en France, Rima Elkouri a non seulement démontré son incapacité manifeste à saisir la complexité du débat au Québec mais a également dévoilé sa méconnaissance profonde de la société française et de sa tradition républicaine et laïque.
Quelques omissions importantes méritent d’être soulignées. D’abord, au sujet de Jean Bauberot. Ce dernier a été le seul membre de la Commission Stasi, composé de vingt intellectuels et chargée de se pencher sur « l’application du principe de la laïcité dans la République », à ne pas appuyer la loi sur l’interdiction du port des signes religieux ostensibles à l’école.
En France, son attitude n’a échappé à personne. Son intention était – et demeure toujours – de balayer l’universalisme laïque et républicain par un système multiculturaliste anglo-saxon qui lui serait « moralement supérieur ». Cette position était d’autant plus incompréhensible que la commission Stasi, du nom de son président, a recommandé un certain nombre « d’accommodements » à propos de l’édification de nouveaux lieux de culte, l’aménagement des menus de la restauration collective, l’enseignement du fait religieux et le respect de certaines fêtes religieuses.
Youcef al-Qaradhawi et le maire de Londres en 2004
Puis, la loi votée le 15 mars 2004 a bénéficié du soutien de la majorité des musulmans à l’exception, bien évidement, des islamistes. Ces derniers, à leur tête Tarik Ramadan, ont même mené une campagne internationale pour faire plier le gouvernement français. C’est à Londres, à l’été 2004, avec la complicité de son maire, Ken le rouge (Red Ken,) que la campagne a culminé en présence de Ramadan, petit fils d’al-Bana, et de Youcef al-Qaradhawi, la caution religieuse de la chaîne satellitaire du Qatar al-Jazira et figure emblématique de la confrérie des Frères musulmans.
L’histoire retiendra que même la prise d’otage des deux journalistes français, Georges Malbrunot et Christian Chesnot, par l’Armée islamique en Irak, survenue le 20 août 2004, n’a pas eu raison de la volonté de l’État français d’aller de l’avant avec sa loi.
Finalement, pour revenir à des enjeux plus locaux, rappelons que le PQ n’est pas le seul acteur politique à avoir demandé l’interdiction du port des signes religieux ostentatoires dans la fonction publique. Le Syndicat de la fonction publique (SFPQ) et le Conseil du statut de la femme (CSF) ont abondé dans le même sens. D’ailleurs, le CSF a déposé un avis bien étoffé sur la laïcité qui appelle l’État québécois à agir urgemment pour renforcer la laïcité de ses institutions et légiférer en la matière.
On ne peut comprendre l’étendue du débat que pose une certaine pratique de l’islam – qui, osons le dire, n’est pas compatible avec la démocratie puisqu’elle remet en cause la notion de neutralité de l’État en matière religieuse – que si l’on prend la peine de faire un tour d’horizon européen.
L’Europe remet sérieusement en question le multiculturalisme

En Grande-Bretagne, la colère de la population ne cesse de croître à l’égard de largesses religieuses octroyées aux communautés musulmanes. C’est ce que constatent deux auteurs, Karen Jespersen et Ralf Pittelkow, dans un livre intitulé Islamistes et naïvistes, Un acte d’accusation, publié en 2007. Ces observateurs danois de la scène européenne confirment que « 80% des Britanniques pensent que la police et les hommes politiques, beaucoup trop tolérants avec les musulmans, encouragent les positions les plus extrêmes. Presque tous s’attendent à de nouveaux actes terroristes. 81% estiment que ceux qui attisent la haine religieuse devraient être expulsés vers leur pays d’origine ».
Prenant conscience des limites du modèle d’intégration de son pays, Ernst Hillebrand, directeur du bureau de Paris de la Fondation Friedrich Ebert, dresse un tableau des plus inquiétants de la situation: « Même en faisant abstraction du désastre absolu, en matière interculturelle, que représente le terrorisme islamiste, les résultats de cette politique sont tout sauf convaincants : la Grande-Bretagne «évolue insidieusement vers une société où règne la ségrégation», déclarait ainsi il y a quelques mois Trevor Philips, président de la Commission for Racial Equity, commission nationale de lutte contre les discriminations. »
Les deux auteurs danois rapportent que dans leurs pays d’origine une enquête d’opinion effectuée en 2000 par le quotidien Berlingske, le plus ancien du pays, montrait que 91% des Danois estimaient nécessaire de se battre pour les valeurs fondamentales de leur société, comme l’égalité des sexes, et qu’on ne pouvait pas librement leur en substituer d’autres, contraires ou alternatives, quand on habitait dans ce pays.
En octobre 2010, la chancelière allemande Angela Merkel annonçait l’échec du multiculturalisme alors que son pays se passionnait pour le brûlot anti-islamiste du social-démocrate Thilo Sarrazin, L’Allemagne va à sa perte. La jeune illustratrice Eva Schwingenheuer lançait aussi un pavé dans la marre avec un recueil décapant intitulé Burka et la féministe Alice Schwarzer, fondatrice et éditrice du prestigieux magazine féminin EMMA, publiait un recueil de textes sur la menace de l’islam politique dans le monde.
Les Pays-Bas, fondé sur le système de la pilarisation[1] (du néerlandais « verzuiling »), qui avait offert aux populations immigrantes un monde parallèle pourvu de son système éducatif propre, des services sociaux ainsi que des médias et des syndicats distincts, n’arrive toujours pas à se relever après l’assassinat brutal du réalisateur Theo Van Gogh par le jeune islamiste maroco-hollandais Mohammed Bouyeri, âgé alors de 26 ans, le 2 novembre 2004. Les Pays-Bas cherchent fiévreusement la solution et l’extrême droite gagne toujours un peu plus de terrain.
La laïcité comme cadre d’intégration et d’émancipation sociale

Ceux qui ont cru que le religieux avait été relégué à la sphère privée après un formidable processus de déconfessionnalisation de la société québécoise sentent bien, aujourd’hui, que ce travail n’est pas encore achevé, surtout lorsqu’il est question des religions des minorités.
Ce malaise, nous sommes en mesure de le constater, jour après jour à travers, par exemple, ces petites filles de plus en plus nombreuses à se couvrir la tête pour prendre le chemin d’une école qu’on a voulu déconfessionnaliser mais qu’en réalité nous avons tout au plus déchristianisé.
Il est vrai que nous nous sommes empressés de décrocher les crucifix des écoles mais sans trop réfléchir au sort que nous allions réserver aux autres symboles religieux. La preuve est criante : n’avons-nous pas montré une certaine indulgence lorsqu’il a été question du voile islamique ou du kirpan à l’école?
Vous savez à quel point ce sujet demeure tabou. D’autant plus que la multiconfessionalisation de l’espace public est un programme politique porté par un courant d’opinion clairement multiculturaliste qui n’a cessé de culpabiliser, à outrance, la majorité francophone pour la bâillonner et la disqualifier de tout débat public.
Il est navrant d’assister à une confusion conceptuelle qui conduit à traiter comme raciste toute mise en cause de pratiques religieuses. Notons d’ailleurs l’aberration d’un tel confusionnisme. Le racisme vise un peuple comme tel. Quel peuple vise la critique de l’islam?
Dans une société atomisée, nul ne sait à quoi au juste l’on invite les nouveaux arrivants à s’intégrer. Difficile de se faire une idée sur les valeurs essentielles d’une société alors que tout est mis en place pour les transgresser au nom d’une supposée liberté religieuse.
Mais les immigrants qui ont fui, un moment ou un autre de leur vie, l’intégrisme musulman pour se réfugier dans ce pays – et ils sont nombreux – savent à quel point aucune vie n’est possible lorsque que l’islam institutionnalisé régit les moindres faits et gestes de leur vie quotidienne.
Ceux-là ont espéré de toutes leurs forces ne plus jamais avoir à être confinés à une quelconque identité politico-religieuse. C’est la raison pour laquelle ils rejettent vigoureusement tout communautarisme.
Ceux-là, tout comme moi, attendent de l’État québécois qu’il entérine l’application de la laïcité dans un projet de loi à travers une charte de la laïcité.
Si vous êtes d’accord avec ce principe, faites-le entendre. Surtout, ne vous laissez pas intimider par les accusations à l’effet que vous êtes débiles, intolérants, racistes, idiots ou que sais-je encore. Soyez persévérants, patients, endurants, la lumière est au bout du tunnel. Elle caresse déjà des lendemains meilleurs. Je la vois, elle est, là-bas, au loin.

***
[1] Système politique mis en place par Guillaume d’Orange qui préconisait que les trois entités fondatrices du pays, protestante, catholique et juive, pouvaient s’organiser les unes indépendamment des autres, selon leurs usages.


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5 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    18 octobre 2013

    Je suis bien d'accord avec Mme Benhabib.
    Je pense que quand des jeunes filles d'immigrants musulmans installés au Québec depuis longtemps portent toujours le voile, quand des enfants juifs orthodoxes ne fréquentent pas nos écoles, quand on égorge à froid des animaux pour des motifs religieux, quand des groupes demandent des accommodements basés sur la discrimination homme-femme, (...) quand on ferme les yeux à tout cela ou qu'on s'empresse de dire oui à tous les accommodements par peur de je-ne-sais-quoi, je pense que la société québécoise a failli à son devoir d'intégration des nouveaux arrivants.

  • Archives de Vigile Répondre

    19 mars 2012

    Votre article Madame Benhabib est très convainquant et je suis entièrement d'accord avec vous. Il aurait avantage à être diffusé dans tous les journaux et médias.
    Et je crois aussi qu'on doit maintenant encourager la culture locale et bio pour sortir des mains des mafias de l'agroalimentaire. Ce serait déjà ça de fait !

  • Archives de Vigile Répondre

    17 mars 2012

    Je suis dégoûté.
    ET NOTRE DROIT À LA RELIGION (OU NON RELIGION)?
    Et on va nous accuser, nous (la majorité) d'intolérance, comme le fait l'insignifiant Pratte de La Presse!
    Va-t-il falloir recommencer à poser des bombes pour se faire respecter?

  • Archives de Vigile Répondre

    17 mars 2012

    Les géants de l'agro-alimentaire, comme toujours.
    Pendant que les gens se battent au sujet des méthodes d'abattage (la figure de style était involontaire !), ils ne discutent pas de questions autrement plus importantes conceranant la viande d'élevage (usage des médicaments, produits pour accélérés la croissance, qualité de l'alimentation, disribution, étiquettage, surveillance domestique et des produits d'importation, ...).
    Les tensions communautaires perpétuelles, c'est toujours une bonne recette pour l'industrie, car pendant que les gens ne s'occupent pas des vrais problèmes, les géants de l'agro-alimentaire peuvent continuer à nous faire bouffer de la merde pour maximiser leurs profits.
    Si ça continu, l'avenir sera au boeuf tué sous supervision de l'ONU, mais dont la consommation plus de deux fois par mois sera déconseillée pour des raisons de santé (comme les grand thons).

  • Raymond Poulin Répondre

    17 mars 2012

    J’appuie sans réserve le propos de Mme Benhabib, mais je crains qu’il en faille beaucoup d’autres du genre pour venir à bout de la naïveté québécoise et de la pusillanimité de ses principaux partis politiques quant à une véritable laïcité, laquelle n’a rien à voir avec l’intolérance mais tout à voir, à terme, avec l’harmonie sociale.