Le grand écart

PQ - Pauline : gouverner mais encore ?....

S'il y a une chose qu'on sait de Pauline Marois, c'est qu'elle ne vit pas dans les nuages et qu'elle ne donne jamais dans la pensée magique. Cette lucidité (sans jeu de mot) l'avait poussée, pendant la campagne à la chefferie remportée par André Boisclair, à évoquer les «turbulences» qui suivraient l'accession du Québec à l'indépendance. Cette affirmation fondée sur la raison, le réalisme et aussi le gros bon sens lui avait valu une volée de bois vert des ténors du PQ pour qui le passage à l'indépendance ressemble à la transition du printemps à l'été.
Mercredi soir, elle avait l'air triomphant et enthousiaste, mais en même temps, elle a été prudente et posée. Triomphante parce qu'elle sait bien que, pour un certain temps, si elle joue bien ses cartes, elle aura la voie libre, au sein de ce parti qui aime les embûches, pour procéder à la nécessaire refondation. Et prudente pour deux raisons.
La première raison tient à l'ampleur du chantier qui s'annonce pour le Parti québécois. En ce jour de couronnement, ce n'était pas le temps d'évoquer les «turbulences» internes et les déchirements idéologiques auxquels feront face les militants au cours des prochains mois. Outre le report aux calendes grecques de l'échéance référendaire, pilule que le parti semble avoir d'ores et déjà avalée, Mme Marois a invité son parti à se rapprocher de l'air du temps, c'est-à-dire d'une sorte de consensus de modération et de conservatisme social qui semble actuellement souffler sur l'électorat tout en proclamant son adhésion à la social-démocratie et aux valeurs progressistes. Voilà un exercice de réflexion et de reformulation qui ressemble au grand écart. Il faut être habile et doté d'une souplesse exceptionnelle pour le réaliser. Il sera intéressant de voir comment elle réussira à traduire en propositions concrètes son appel tous azimuts qui disait: «Cessons d'avoir peur! Peur d'être lucide! Peur d'être solidaire! Peur des mots! Peur d'avoir l'air intolérant! Peur de la richesse! Peur d'être différents!» Voilà tout un exercice que celui d'intégrer «l'éloge de la richesse» d'Alain Dubuc, les manifestes «solidaire» et «lucide», le refus des accommodements déraisonnables et l'affirmation de l'identité nationale. À ceux qui lui diront qu'à vouloir trop embrasser, etc., elle répondra que le parti doit se rapprocher de toutes les préoccupations et du langage de la population. On sera peut-être tenté de dire qu'elle propose d'emprunter non pas les idées mais le langage de Mario Dumont.
En effet, pendant qu'elle triomphait en ce mercredi soir, Pauline Marois avait Mario Dumont en tête. Elle avait frais en mémoire les résultats d'un sondage que publiait le matin même le quotidien La Presse, un sondage dévastateur pour ceux qui, au PQ, se voyaient déjà au pouvoir.
La première constatation, c'est que l'ennemi du PQ n'est plus le Parti libéral mais l'ADQ. Dans l'électorat francophone, le PQ et l'ADQ sont à égalité tandis que le PLQ poursuit inexorablement sa descente aux enfers. Pour le PQ, le parti de Jean Charest constituait un adversaire familier et facile à caricaturer: parti inféodé à Ottawa, parti des Anglais et de la haute finance. L'ADQ, par contre, c'est le Québec profond, ce sont les PME, l'autonomie provinciale et le gros bon sens. Une sorte de duplessisme modernisé et revampé, mais le même populisme accrocheur. On ne combat pas ce genre d'ennemi avec les mêmes discours, surtout si, dans tous les domaines, le chef de ce parti est perçu comme le plus compétent et le mieux aimé. Et là, les chiffres sont renversants.
52 % des Québécois pensent que c'est Mario Dumont qui propose le plus de nouvelles idées pour l'avenir du Québec. Pauline Marois suit avec 15 %. Les Québécois pensent aussi que c'est le petit Mario qui est le plus compétent pour faire face à l'enjeu des changements climatiques, le plus préoccupé par le fardeau fiscal et le plus compétent pour résoudre la crise du système de santé. Peu importe que Mario Dumont ne ressasse que de vieilles idées américaines qui n'ont jamais fonctionné ou qu'il n'ait à peu près jamais parlé d'environnement, les Québécois ne jurent que par Mario. C'est à cette sorte d'irrationalité que Pauline Marois devra faire face.
Encore plus troublante pour le PQ est la constatation selon laquelle la raison même d'être du parti, l'indépendance, recueille de moins en moins d'appuis non seulement dans la population en général mais aussi chez les péquistes. Selon le sondage, 68 % des Québécois se seraient prononcés contre la souveraineté si on avait tenu un référendum entre le 14 et le 25 juin. Pire encore, 48 % des péquistes pensent que le PQ devrait abandonner l'idée d'un Québec souverain.
On avait rêvé d'un chemin triomphal recouvert de pétales de rose et c'est une route pleine de crevasses et d'ornières qui se profile. On évoquait une modernisation, un ravalement du programme, un exercice de mise à jour, somme toute. Il semble bien que l'évolution de la situation politique va imposer au Parti québécois une remise en question plus fondamentale et plus déchirante que celle qu'il avait prévue et acceptée. C'est probablement à cela que songeait Mme Marois mercredi soir, elle qui savait plus que tout autre dans la salle en liesse qu'elle s'engageait dans une tâche historique pour l'avenir de son parti et du Québec tout entier.
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Collaborateur du Devoir


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