Le gouvernement espagnol face au défi basque du plan Ibarretxe

Par Martine Silber

2005

vendredi 14 janvier 2005
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Le projet de faire du Pays basque un Etat "associé" à l'Espagne est catégoriquement rejeté par les grands partis nationaux. Présenté devant le Congrès, il met à l'épreuve les alliances et la politique régionaliste de José Luis Rodriguez Zapatero.
Le gouvernement de José Luis Rodriguez Zapatero fait face, pour la première fois de son mandat, à un grave problème qui touche à la structure même de l'Etat espagnol. Il doit en effet répondre au plan présenté par le président basque, le lehendakari Juan José Ibarretxe, qui veut donner un nouveau statut au Pays basque pour en faire "une nation libre et associée à l'Etat espagnol". Or, ce plan a été approuvé, le 30 décembre 2004, au Parlement régional, grâce aux voix du parti conservateur dominant, le Parti nationaliste basque (PNV) et des petits partis qui lui sont associés, mais aussi grâce aux voix de trois députés sur les six que compte la petite formation radicale Sozialista Abertzaleak (SA), qui a succédé à la coalition Batasuna, interdite pour ses liens avec l'organisation séparatiste armée ETA.
Ce projet, surnommé "plan Ibarretxe", a, dès sa présentation, été refusé par les deux grands partis nationaux, le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) et le Parti populaire (PP, droite), qui considèrent qu'il s'agit d'une proposition indépendantiste, excluant la moitié de la société basque, et en outre inconstitutionnelle.
Ce plan a été approuvé par l'exécutif basque en octobre 2003, mais il paraissait alors peu probable qu'il puisse être adopté au Parlement basque, où la coalition gouvernementale autour du PNV n'a pas la majorité absolue. Pourtant, les radicaux héritiers de Batasuna en ont décidé autrement, même si leur porte-parole, Arnaldo Otegi, a maintes fois déclaré, depuis plus d'un an, qu'il ne soutenait pas le plan.
Cette volte-face ne peut s'expliquer, estiment certains analystes, que par un changement de stratégie du parti hors-la-loi, dû en partie à l'affaiblissement de l'ETA mais aussi au fait que le plan Ibarretxe, qui veut offrir aux Basques le droit à l'autodétermination, peut satisfaire une partie de l'électorat indépendantiste radical à quelques mois des élections régionales de mai. Toutefois, les sondages montrent qu'une petite majorité de 42,3 % de Basques refusent le plan, contre 39 % qui l'appuient.
Ce soutien, qui a pris par surprise, semble-t-il, jusqu'à M. Ibarretxe, qui a toujours dit qu'il ne pactiserait pas avec Batasuna, peut donc contrecarrer les perspectives électorales du PNV. Les nationalistes conservateurs pensaient, en effet, après un rejet du plan au Parlement basque, l'utiliser comme base de la campagne électorale et récupérer une bonne partie des votes de l'ex-coalition Batasuna.
Quant au plan, il va suivre la procédure normale de révision d'un statut d'autonomie. Le président du Parlement basque, Juan Mari Atutxa, devait le remettre au Congrès des députés vendredi 14 janvier. Le bureau du Congrès devra décider, le 18 janvier, si le plan peut être discuté en séance plénière. Si oui, il sera débattu, sans doute le 8 mars.
Il devrait être, en bonne logique, rejeté par les voix de plus de 300 élus du PSOE, du PP, de la Coalition des îles Canaries et de la Chunta de Aragon. Les postcommunistes de la Gauche unie (IU) devraient s'abstenir ou voter contre. Le projet ne devrait recueillir que les 29 voix du PNV et de ses associés, les partis nationalistes catalans Convergence et Union (CiU, droite) et Gauche républicaine de Catalogne (ERC, gauche), et le Bloc nationaliste galicien (BNG).
Que va-t-il se passer ensuite ? Le président du PNV, Josu Jon Imaz, a déjà annoncé que, si ce projet de nouveau statut était rejeté par le Congrès, son parti proposerait durant la campagne électorale de le soumettre à référendum. Et cela tout en affirmant la volonté du gouvernement basque de dialoguer et de négocier.
Mais ni le PP, qui, lorsqu'il était au gouvernement, s'était opposé farouchement au plan Ibarretxe, ni le PSOE, au pouvoir, n'admettent la moindre discussion sur le texte. M. Rodriguez Zapatero a dit clairement qu'il n'avait pas l'intention de discuter "de gouvernement à gouvernement", comme l'a proposé M. Ibarretxe, qu'il devait recevoir jeudi. Simplement, il compte lui exposer la position qu'il a déjà exprimée devant la presse, le 4 janvier : "Le plan Ibarretxe ne va pas progresser parce qu'il ne respecte ni les principes essentiels de la Constitution espagnole ni les procédés établis pour modifier les lois ou les statuts. Il n'aura pas l'appui du gouvernement et du PSOE." Mais le Parti socialiste va plus loin que M. Zapatero : dans une résolution, le comité exécutif du PSOE considère que le plan Ibarretxe "rend service à l'ETA".
Les dirigeants socialistes condamnent également l'attitude "hypocrite du PP qui, après avoir assuré de son soutien le gouvernement, s'est lancé dans une campagne contre sa politique". Le PP considère en effet que le gouvernement a adopté une attitude de "passivité" et ne manque aucune occasion pour l'accuser de faiblesse et d'immobilisme.
Maria Teresa Fernandez de la Vega : "Nous utiliserons tous les instruments juridiques contre ce plan"
Entretien avec la vice-présidente (socialiste) du gouvernement espagnol.
Si le Parti nationaliste basque (PNV) gagne les élections régionales au pays basque, en mai, avec une majorité absolue, ou s'il obtient un appui important lors d'un référendum, que pourra faire votre gouvernement contre la volonté d'une majorité de Basques ?
Pardonnez-moi mais mon obligation, en tant que représentante du gouvernement, est de ne pas faire de politique-fiction. Pour le moment, ce que nous avons est un plan qui sera débattu au Congrès et qui sera, à coup sûr, refusé à une écrasante majorité. Au-delà de cette certitude, on peut se lancer dans de multiples conjectures. Ce que je peux vous garantir, c'est que le gouvernement fera usage à tout moment de tous les instruments juridiques dont il dispose pour que le plan Ibarretxe ne devienne jamais une réalité.
Que peut proposer votre gouvernement aux citoyens du Pays basque, qui vivent dans une situation de violence unique dans un Etat démocratique ?
Avant tout, leur dire qu'ils ne perdent ni espoir ni courage, parce que nous sommes à la fin de la bataille contre la violence et que nous sommes en train de la gagner. Jamais l'ETA n'a été aussi affaiblie, et nous allons continuer la lutte par tous les moyens jusqu'à sa totale disparition. En finir avec la terreur est la première chose qui doit compter pour les Basques et, de manière générale, pour tous les Espagnols. Par ailleurs, je suis convaincue que des initiatives politiques peuvent se développer au Pays basque pour améliorer son auto-gouvernement sans mettre le feu à la cohésion territoriale de l'Espagne ni diviser sa propre société.
Comment le gouvernement voit-il l'Espagne du futur, au moment où d'autres réformes des statuts d'autonomie se profilent, comme en Catalogne ?
Au gouvernement, nous croyons en une Espagne unie, mais riche et plurielle, politiquement décentralisée, c'est-à-dire l'Espagne telle qu'elle est définie par la Constitution, qui reconnaît le droit à l'autonomie des nationalités et des régions qui la composent. Plus de vingt-cinq années ont passé depuis l'approbation de notre Carta magna et nous avons pu vérifier que le modèle fonctionnait, mais il est logique que les statuts des différentes Communautés autonomes, qui ont le même âge, aient besoin de certains réajustements. Elles ont toutes exprimé leur intention d'actualiser et de réformer leurs statuts et c'est naturel. Le gouvernement a posé comme seule condition que les réformes s'inscrivent dans le cadre constitutionnel, qu'elles soient approuvées par un large consensus - comme cela a été le cas à l'origine - et qu'elles servent à augmenter la cohésion et la solidarité entre les différents territoires. Toute proposition qui ne remplirait pas ces conditions n'a aucune chance tant que ce gouvernement gardera la confiance des Espagnols.
Selon un sondage de la radio Cadena Ser, depuis l'approbation du plan Ibarretxe par le Parlement basque, le Parti socialiste a perdu un point et le Parti populaire en a gagné deux. Pensez-vous que les citoyens ne comprennent pas la position de votre gouvernement ?
Je crois que les citoyens comprennent très bien le gouvernement et spécialement son président, José Luis Rodriguez Zapatero. Je pense aussi qu'ils se rendent compte que le dialogue et le débat ne sont pas incompatibles avec ce qui est une réponse ferme et sérieuse de l'exécutif à une proposition qui ne peut être retenue. Une réponse qui doit être à tout moment rationnelle, fruit de la réflexion et de la prudence et qui ne peut donner lieu au moindre faux pas.
Propos recueillis par Martine Silber


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