Comme on pouvait le craindre, les premières consultations publiques de la commission Bouchard-Taylor sur les accommodements raisonnables ont donné lieu à des moments plus proches du «freak show» que du grand débat espéré par ses deux commissaires.
Si un tel événement se déroulait dans un autre pays, on conclurait ici que ce pays a un problème de racisme. Ici, on préfère dire que nous traversons une crise identitaire.
Le quotidien The Globe and Mail ne s'y est pas trompé, parlant des propos racistes entendus lundi soir à Gatineau. Pas agréable à lire, certes, mais néanmoins vrai. Faut appeler un chat un chat et même si on haït ça, c'est ça qui est ça, pour paraphraser Martin Léon.
Soyons charitable, parlons seulement de xénophobie pour le moment. Xeno: autre, phobie: peur. Peur de l'autre. C'est vieux comme l'humanité elle-même. Ce n'est pas unique au Québec, d'ailleurs, c'est même un phénomène assez bien contenu ici par rapport à d'autres sociétés. Ce qui l'est moins, par contre, c'est cette propension à se gratter le bouton ici, jusqu'au sang, et de s'étonner après que ça fasse mal.
Tout ça parce que Jean Charest a pris panique à la veille des dernières élections, voyant l'ADQ gagner du terrain grâce aux accommodements raisonnables, et a créé en catastrophe la commission que l'on sait.
Il aurait été si simple de dire: calmons-nous, mes amis, respirons par le nez, ce n'est pas une fenêtre givrée qui va mettre en péril la cohabitation paisible avec les immigrants, pas plus que la culture de la majorité.
Il aurait été plus utile de clore ce débat empoisonné en une phrase: le Québec est une société égalitaire dont les institutions sont laïques et qui a le français comme langue officielle.
Ça, c'est non négociable. Le reste, on en parle, calmement. Parfois, on accommode, parfois non, comme on le fait déjà tous les jours sans que cela ne dérange personne.
Il s'est dit un certain nombre de bêtises sur la question des accommodements raisonnables depuis un an au Québec, mais il s'est aussi dit des choses brillantes. Notamment cette phrase d'un rabbin (j'oublie son nom, désolé) un soir de débat à TVA, le printemps dernier: «Il est normal que les communautés culturelles vous demandent parfois des accommodements, mais il est aussi normal que vous disiez non si vous n'êtes pas d'accord.»
Voilà, tout est dit. Sauf que, malheureusement, on va continuer d'en parler pendant des mois.
Les plus optimistes diront que cette commission aura finalement du bon parce qu'elle permettra de faire sortir le «méchant». Malheureusement, le ton des débats depuis quelques mois laisse plutôt craindre que l'on va sombrer dans le «freak show».
Ce qui est navrant de l'exercice, c'est que sous prétexte de donner la chance aux citoyens de s'exprimer, on se tape les envolées racistes qui n'ont rien à voir avec ce que l'on vit quotidiennement au Québec, une société tolérante et somme toute équilibrée.
Faut-il vraiment, au nom de la démocratie, écouter des âneries que l'on condamnerait autrement, du genre: «Je suis obligé d'endurer les musulmans.» Le genre de propos que tout journal responsable refuse de publier dans ses pages du courrier des lecteurs.
Ferait-on une commission sur la situation des homosexuels pour entendre des homophobes maugréer contre les «tapettes» ? Ou sur la condition féminine pour permettre aux machos de déblatérer contre les femmes?
Un autre exemple, l'autre soir à Gatineau, cet homme qui vient demander au micro pourquoi il y a à Montréal un hôpital qui porte le nom d'«Hôpital juif» ? Réponse: pour la même raison qu'il y en a un autre, quelques centaines de mètres plus loin, qui s'appelle l'hôpital Sainte-Justine. Pour des raisons culturelles, historiques, pour des raisons de cohabitation.
Et puis, où est le problème au juste? La dernière fois que je suis allé faire soigner une vilaine blessure de course à pied au «Jewish», personne ne m'a demandé de porter une kippa. Pas plus que je dois réciter le Notre Père quand je vais voir le nouveau-né d'un couple d'amis à Sainte-Justine.
Dans le grand laboratoire vivant que représente une société comme la nôtre, il y a des éprouvettes qu'il vaut mieux ne pas trop brasser, et c'est précisément ce que fait cette commission.
Surtout qu'au-delà de quelques décisions douteuses de certaines institutions, la dernière étant celle d'Élections Canada sur le vote voilé, et au-delà des manchettes catastrophe, la cohabitation au Québec est, faut-il le rappeler, paisible et équilibrée.
Remarquez, la table était mise par les commissaires Bouchard et Taylor eux-mêmes, qui ont lancé leurs travaux en parlant d'une majorité qui a peur de ses minorités, de crise identitaire au Québec ou de notre religion qui a pris le bord.
En écoutant les premiers moments de cette commission, c'est Jean Charest qui a dû avoir une montée d'anxiété. Avec raison. Regardez le calendrier de la commission: consultations publiques les quatre prochains mois (oui, quatre! On n'a pas fini d'en entendre des vertes et des pas mûres) et remise du rapport en mars 2008. Donc, le gouvernement Charest est coincé avec les accommodements raisonnables jusqu'au printemps, au grand plaisir de Mario Dumont. M. Charest aurait voulu s'acheter des problèmes qu'il n'aurait pas fait mieux.
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