Le fossé

Géopolitique — Proche-Orient


Dans toute guerre, un fossé immense sépare les représentations et les perceptions des protagonistes. C'est particulièrement vrai lorsque l'État d'Israël est partie au conflit.
Dans ce cas-ci, il y a aussi fossé entre les représentations des spectateurs du monde entier - médias, populations, gouvernements - qui suivent ce conflit avec une attention extrême. Car - à tort ou à raison - la guerre entre Israël et ses ennemis est devenue tellement «centrale», tellement couverte par les médias, que tout le monde ou presque a sa petite idée sur la question... quand ce n'est pas une idée complètement arrêtée.
Ainsi, le conflit israélo-libanais, tel que le suivent les Américains à travers leurs grandes chaînes d'information comme CNN, paraît complètement différent du conflit tel que le voient les personnes descendues ce week-end dans les rues de Montréal ou de Toronto pour dénoncer l'action israélienne.
Selon le côté où l'on se trouve, les torts ne seront pas répartis de la même manière; les causes fondamentales du conflit seront différentes; les coupables vont jouer le rôle des victimes... Et les «images qui frappent» ne seront pas les mêmes.
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Nos télévisions, celles d'Europe et du monde arabe, montrent avec force détails les horribles destructions des deux dernières semaines. Elles comptent les morts libanais, dix fois plus nombreux que du côté israélien, et donnent généreusement parole et temps d'antenne aux centaines de milliers de déplacés, dont la plupart maudiront Israël devant micros et caméras.
Inversement, lorsque des roquettes du Hezbollah - pour la plupart égarées et non meurtrières - vont atterrir dans une localité israélienne, les télévisions d'Israël et des États-Unis vont alerter leurs publics à grand renfort de bannières... Mais en même temps, ces télévisions ne consacreront que quelques secondes aux images de ruines de Beyrouth ou de Tyr.
Pour la majorité des Américains - en tout cas pour ceux qui s'intéressent un tant soit peu à la question -, les Palestiniens sont perçus comme un «problème à régler». Largement partagé est le préjugé qui fait percevoir Palestiniens et Arabes, a priori, comme des «sauvages» étrangers à la démocratie.
Inversement, au Québec, ou dans la majorité des pays d'Europe, ce conflit sera le plus souvent vu à l'aune du «problème israélien», des «excès» du sionisme, et des souffrances qu'il entraîne pour les populations environnantes.
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Le fossé des représentations - selon le côté où l'on se trouve - affecte également l'analyse des causes et des solutions.
Pour Israël et ses inconditionnels, les principaux problèmes du monde se nomment: terrorisme islamiste, antisémitisme, incapacité à la démocratie des peuples arabo-musulmans...
Pour les tenants de l'autre partie, tout ou presque s'explique par le sous-développement économique, l'impérialisme américain... et bien entendu, par le sionisme, idéologie qui réserve au peuple juif un morceau de Terre sainte.
Du côté des solutions, pour les partisans d'Israël, il y a une foi immense dans la voie militaire, qui ressemble à celle de George Bush juste avant l'invasion de l'Irak. On est persuadé qu'en montrant son muscle, en tapant dur, en faisant tomber tel dictateur ou tel despote local, un cercle vertueux s'ensuivra automatiquement.
Quand Condoleezza Rice rejette du revers de la main l'idée d'un cessez-le-feu, elle retrouve les accents messianiques et pleins d'illusions qu'on entendait, à Washington, à l'automne 2002 et à l'hiver 2003. Son slogan non proclamé: «Donner une chance à la guerre.»
Foi aveugle envers les solutions simples... et, malgré les leçons répétées du passé, aucune mémoire, aucune conscience du phénomène de «l'effet pervers». Comme si l'Irak n'avait pas existé...
Pour les opposants résolus à Israël, l'État juif est le «Grand Satan» qu'il faut détruire. Même pour ceux qui - évitant la fureur rhétorique à l'iranienne - n'en adhèrent pas moins à une certaine vulgate internationaliste, c'est un mal intrinsèque, quand bien même il faut trouver des accommodements avec cet État.
Pour plusieurs des opposants à l'action d'Israël au Liban, il suffirait de prononcer les mots «Nations unies» et «cessez-le-feu», pour retrouver soudain le droit chemin... Naïveté?
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Mettre en exergue, de façon parallèle, les mythes, croyances, simplifications ou idées fausses des deux camps, cela ne signifie pas qu'on les renvoie dos à dos, dans une fausse symétrie. Il est probable qu'une des deux parties représente, plus que l'autre, la justice et le bon droit, et que les torts et griefs légitimes ne sont pas répartis à 50-50. Mais il est également certain qu'aucun des deux camps n'a le monopole de la légitimité, de la souffrance, de la culpabilité ou des solutions.
Le drame du conflit israélo-arabe, c'est que les visions extrêmes y sont profondément enracinées. Non seulement chez les protagonistes, mais chez une majorité des spectateurs que nous sommes.
François Brousseau est chroniqueur et affectateur responsable de l'information internationale à la radio de Radio-Canada.
francobrousso@hotmail.com

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