La semaine dernière, la cardinal Marc Ouellette a participé à un débat à Radio-Canada dans le cadre d'une série de reportages à propos de la laïcité. Bien que d'accord avec lui sur bien des points, je me dois de dire tout haut mon désaccord quant à ses opinions sur la place de la religion à l'école.
Le cardinal Ouellette considère encore comme une injustice la laïcisation de l'école, avec pour principales conséquences la disparition du cours d'enseignement religieux catholique, du droit de visite du curé et de l'animation pastorale catholique.
Effectivement, ce changement a secoué en profondeur l'Église du Québec, et plus encore les parents qui souhaitent initier leur enfant à la foi catholique. Depuis ce changement, ceux-ci doivent s'inscrire auprès de leur paroisse et suivre des parcours catéchétiques le soir ou la fin de semaine, qui s'étendent sur quelques années.
Évidemment, la plupart des paroisses ont dû faire face à des coûts assez importants pour s'adapter à cette nouvelle réalité. Malgré tout, aux dernières nouvelles, aucune n'avait déclaré faillite
Qu'avons-nous perdu?
La question de fond demeure toutefois celle-ci: qu'avons-nous perdu dans ces changements? À mon sens, rien. Car on aurait tort d'embellir une situation qui portait son lot d'inconvénients. Par exemple, le professeur titulaire était tenu d'enseigner la foi catholique, en dépit parfois de ses convictions personnelles. Cette situation signifiait soit un inconfort pour le professeur, soit un cours donné sans enthousiasme, au pire escamoté. Certes, le professeur pouvait demander une exemption, mais tant la baisse de salaire que les problématiques d'organisation scolaire décourageaient presque tout le monde.
D'autre part, cette situation faisait en sorte que les parents et les jeunes n'avaient pas vraiment à se questionner sur leurs motivations profondes quant à la foi: on suivait le groupe et le courant, par habitude et par inertie. Ce qui signifiait que l'attitude fondamentale à la foi, c'est-à-dire l'engagement libre de la personne, n'était pas valorisé.
Avec pour résultat que nos jeunes adultes n'avaient pas une grande culture religieuse. À discuter avec eux à l'occasion de rencontres préparatoires pour leur mariage, par exemple, on avait vite fait le tour de leurs connaissances religieuses, qui ne dépassaient guère le petit Jésus de la crèche Ce qui amène à penser que la formation reçue ne donnait pas les fruits escomptés. D'ailleurs peut-on vraiment affirmer que l'école ait formé des croyants catholiques fervents? La réponse m'apparaît évidente.
Période d'ajustement
Depuis cinq ans maintenant, la paroisse dont je suis le pasteur est engagée dans l'offre des parcours catéchétiques auprès des familles désireuses d'initier leur enfant à la foi catholique. Après une période d'ajustement d'environ deux ans, déjà nous constatons d'énormes avantages à cette nouvelle situation.
Tout d'abord, les familles doivent prendre une décision quant à leur foi: souhaitent-ils oui ou non transmettre à leur enfant la foi catholique. Certes beaucoup de familles ont pris position et nous ne le revoyons pas, sinon occasionnellement: nous devons être fier du respect que nous leur manifestons en valorisant leur liberté.
Il reste que plus de deux cents familles cheminent semaine après semaine à la paroisse. Depuis quelque temps, les parents expriment des besoins spirituels, demandent des rencontres pour approfondir leur foi, participent en grand nombre aux célébrations.
Sans compter que notre paroisse a formé plus de 25 catéchètes, que nos deux animatrices principales en sont à compléter leur second certificat universitaire en théologie et en pastorale, que nos catéchètes demandent de plus en plus de formation, au point où certaines s'inscrivent à des cours universitaires.
La situation actuelle est loin d'être parfaite, j'en conviens. Mais honnêtement, je crois que la laïcisation de l'école est ce qui pouvait arriver de plus fécond et de plus heureux à l'Église catholique du Québec, n'en déplaise au cardinal Ouellette et avec tout le respect que je lui dois. Ce changement a favorisé de nouveaux engagements, un contact plus fécond avec les familles et, dans bien des cas, a suscité une revitalisation du tissu paroissial. Revenir en arrière serait impensable, et si tel était le cas, bien des paroisses et bien des parents résisteraient. Et moi, j'en serais assurément.
Il est grand temps que nous fassions tous le deuil d'une époque où les liens entre culture et foi étaient certes tissés plus serrés, mais qui était loin d'être parfaite: autrement, tout ne se serait pas écroulé aussi rapidement que ce que nous avons connu!
L'Église catholique propose à la foi des gens Jésus Christ, qui même de son temps était loin de faire l'unanimité. Le but de l'Église, dixit les évangiles, est d'être levain dans la pâte. Je ne suis pas un grand boulanger, mais je sais que pour faire du pain, il ne faut pas autant de levain que de farine Pourquoi alors être inconfortable dans une situation minoritaire?
Si plusieurs personnes se sont reconnues dans les propos du cardinal Ouellette, un plus grand nombre encore en ont été choqués. Je préfère de loin relever les défis d'aujourd'hui que de pleurer sur une situation passée dont la principale caractéristique est justement d'être passée C'est peut-être bête à dire, mais l'avenir est en avant, pas en arrière. C'est à cette attitude que nous convient les évangiles et notre tradition catholique.
Pierre Murray
L'auteur est prêtre, curé de la paroisse Bienheureux François de Laval, à Laval, et professeur de philosophie au Grand Séminaire de Montréal.
Le deuil d'une époque
ECR - Éthique et culture religieuse
Pierre Murray3 articles
L'auteur est prêtre, curé de la paroisse Bienheureux François de Laval, à Laval, et professeur de philosophie au Grand Séminaire de Montréal
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