Le crucifix, encore et toujours !

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Méfions-nous de la tentation laïcarde qui cherche à faire table rase de notre passé

Normalement, les Libéraux prendront position demain sur la présence du crucifix à l’Assemblée nationale. Suite à l’adoption du projet de loi 62 sur la neutralité de l’État, Québec solidaire a choisi de déposer une motion pour discuter de la question.


Le moins qu’on puisse dire, c’est que ce crucifix fait réagir, et même qu’il suscite des émotions débordantes. C’est dommage. Au Québec, la recherche du consensus fait qu’il ne se passe jamais rien. Dès qu’un enjeu important est mis sur la table, on crie à la « polarisation » et à la « division » et on cherche à le rendre tabou. J’ai des petites nouvelles pour vous : la démocratie, c’est accepter de se diviser. Mais il faut le faire intelligemment et avec des arguments.


Ce crucifix suscite tant de passions que les politiciens ne se gênent jamais pour l’inclure comme partie prenante de leurs stratégies électorales. En 2012, il avait suffi que l’on révèle que la candidate du Parti québécois dans Trois-Rivières, Djemila Benhabib, avait déjà pris position en faveur du retrait du crucifix, pour susciter une tempête dans un verre d’eau. La candidate avait beau avoir plutôt exprimé qu’elle se ralliait à la position de son parti, la machine libérale avait réussi à créer l’épouvantail de « Djemila l’étrangère qui voulait nous enlever nos symboles ». Jean Tremblay et le ministre libéral Serge Simard avaient été les pions parfaits du jeu. En 2014, alors dirigé par Philippe Couillard, le Parti libéral avait alors déclaré s’accrocher au crucifix pour reconnecter avec les régions. Or, s’il y a un parti qui se fout de l’identité québécoise, c’est bien le PLQ...


Cette chose étant dite, ce débat est néanmoins légitime, et il y a des arguments respectables de tous les côtés. Pour ma part, j’étais, il y a quelques années, un adversaire vigoureux à ce qu’on décroche le crucifix. Aujourd’hui, même s’il ne me scandalise pas, j’ai changé d’avis : je crois maintenant qu’il faut le déplacer ailleurs à l’Assemblée nationale, sous une vitrine où tous pourront l’admirer pour sa valeur historique et patrimoniale.


Je discutais de la question hier avec un ami qui a connu le cheminement inverse au mien : d’abord favorable au retrait, il y est désormais opposé. Il me disait que les adversaires du crucifix sont inégalitaires dans leur rapport aux religions, qu’ils diabolisent le catholicisme mais mettent toutes les autres sur un piédestal. Il n’a pas tort sur ce point : plusieurs partisans du retrait du crucifix sont aussi les plus timorés dans les discussions entourant la laïcité de l’État. Pendant cet échange avec mon comparse, j’ai aussi eu en tête cette citation de l'auteur français Denis Tillinac : « [S]i les religions sont égales devant la loi, elles ne le sont pas devant la mémoire. »


C’est là que l’argument patrimonial intervient. Nier l’importance qu’a eu le catholicisme dans l’histoire du Québec, ou prétendre qu’il n’a pas été marquant sur le plan culturel, serait ridicule. C’est pourquoi il ne faut pas, selon moi, toucher aux croix agrémentant le paysage québécois, ni aux noms de rues qui contiennent des « Saint ». La laïcité n’est pas un reniement de l’histoire. Je comprends les nombreux Québécois qui sont donc attachés à la présence de ce crucifix au Salon bleu. À l’ère de la mondialisation, on a souvent l’impression que le monde change à vitesse grand V et que tous nos repères s’envolent.


La question est celle de la pertinence d’un crucifix au-dessus du siège du Président de l’Assemblée nationale, comme s’il guidait les actes des députés. C’est d’ailleurs ce que Maurice Duplessis prétendait au moment de le placer à cet endroit, en 1937. Ce même Maurice Duplessis affirmait aussi le contraire à sa façon lorsqu’il disait que les Évêques mangeaient dans sa main, et pas l’inverse. Le crucifix a aussi été évoqué par le député Pierre Bercovitch contre les insultes de Duplessis qui l’accusait d’être le seul juif au Salon vert (la couleur de l’époque).  « Pardon, nous sommes deux! », avait-il répliqué en pointant la croix du doigt.


L’Église a eu une place complexe dans l’histoire du Québec. Institution de pouvoir, elle représente à la fois la survie des Canadiens français, mais aussi leur colonisation. Elle a pu mettre la main sur les systèmes de santé et d’éducation du Québec grâce à sa collaboration avec le pouvoir britannique. Elle s’est effondrée avec le développement de la classe moyenne au milieu du XXème siècle, n’étant plus en mesure d’assurer la gestion d’un État digne de ce nom. La laïcisation incomplète qui a débuté dans les années 1960 s’est faite non pas contre une religion mais contre l’institution cléricale, qui était à bout de souffle et qui n’a pas vraiment tenté de se défendre. Passer, en dix ans, de la messe à tous les dimanches à Expo 67 a assurément favorisé un rejet brutal du monde ancien. Il faut tirer un bilan lucide de notre passé, le respecter tout en étant en mesure de dire haut et fort ce qui a changé.


La laïcité représente la mise sur un pied d’égalité de toutes les croyances, ainsi que les non-croyances. Certains, dont je suis, favorisent qu’on poursuive ce mouvement de laïcisation de l’État, qu’on se penche sur le code vestimentaire des employés qui représentent cet État, qu’on réfléchisse aux nombreux avantages fiscaux actuellement offerts aux communautés religieuses, et qu’on mette fin au financement public des écoles privées confessionnelles (comme à l’ensemble des écoles privées, mais c’est une autre histoire...). Ces aspects me semblent plus importants que la présence du crucifix au Salon bleu, mais ne négligeons pas le poids des symboles.


Le Salon bleu est la maison de la démocratie où, depuis le gouvernement de René Lévesque, on a remplacé la prière quotidienne par la minute de recueillement. Cela veut dire que les élus peuvent être motivés par leur foi personnelle, mais que leur travail ne se réfère pas à Dieu. On ne peut débattre rationnellement de l’existence de Dieu dans un parlement. On ne peut, non plus, discuter de l’identité du Dieu qu’il faudrait honorer. Dans ce cas, on retire cette question du débat public.


Pourquoi ne pas officialiser tout ça ?


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Simon-Pierre Savard-Tremblay179 articles

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Simon-Pierre Savard-Tremblay est sociologue de formation et enseigne dans cette discipline à l'Université Laval. Blogueur au Journal de Montréal et chroniqueur au journal La Vie agricole, à Radio VM et à CIBL, il est aussi président de Génération nationale, un organisme de réflexion sur l'État-nation. Il est l'auteur de Le souverainisme de province (Boréal, 2014) et de L'État succursale. La démission politique du Québec (VLB Éditeur, 2016).