Le « complot de Champlain », ou contre Champlain ?

Livres - 2008

Dans son commentaire sur l’édition abrégée des Voyages de Champlain par une
maison parisienne (Samuel de Champlain, Voyages, Paris, L’École des
loisirs, 2008), Carole Tremblay (Le Devoir du 19 avril) se demande «
pourquoi aucun éditeur québécois n’y [a] pensé… ».
La réponse à cette question se trouve dans ce même cahier F du Devoir qui
consacre une page complète à un ouvrage qui vise à déconstruire Champlain
([Mathieu d’Avignon, Champlain et les fondateurs oubliés ; les figures du
père et le mythe de la fondation
->13092], Québec, PUL, 2008, 540 p.).
Le 400e de Québec sera une année difficile pour le fondateur et, c’est
bien connu, la presse se nourrit plus d’iconoclastes que d’hagiographes ;
au besoin, comme c’est le cas ici, elle épice la sauce avec un titre
sensationnaliste (« Le complot de Champlain » !) qui ne repose sur aucun
fait : avec qui Champlain aurait-il bien pu comploter ? Garneau, Groulx,
Lacoursière ? Qu’on réexamine le rôle de Champlain, il n’y a rien à redire,
surtout s’il s’agit d’une « salutaire entreprise critique », selon Le
Devoir
, qui y voit un « ouvrage très costaud à tous points de vue ». Pour
en avoir lu la partie fondamentale (soit le chapitre qui porte sur
l’analyse des écrits de Champlain), le jugement me semble prématuré.
La thèse de l’auteur est relativement simple. En 1632, Champlain publie le
dernier de ses Voyages et, au lieu de reproduire intégralement ses ouvrages
antérieurs de 1603, 1613 et 1619, il les résume, dans une première partie,
avant d’enchaîner avec le matériel inédit qui couvre les années 1620-1632.
En résumant ses récits antérieurs, Champlain laisse nécessairement tomber
des éléments d’information ; Mathieu D’Avignon en fait la comptabilité et
conclut que Champlain a délibérément remanié son texte pour faire
disparaître le nom de certains contemporains (Dupont-Gravé, Dugua, etc.) et
se donner le beau rôle. Il passe ensuite en revue ce que les historiens ont
écrit sur Champlain en se servant de cette édition de 1632 (même si les
ouvrages antérieurs demeuraient disponibles) et conclut qu’on a construit
un « mythe » qu’il faut maintenant détruire.
Le problème de cet ouvrage est que l’auteur comptabilise les moindres
divergences (entre les textes originaux et le résumé de 1632) et les
explique par des intentions qui vont toujours dans le même sens. Or, il est
évident que Champlain a coupé beaucoup d’informations (dont de nombreux
passages le concernant) parce qu’elles n’avaient tout simplement plus
aucune espèce d’importance en 1632. Trente ans après la vaine tentative
acadienne, à un moment où Port-Royal est abandonné depuis plusieurs années,
quel est l’intérêt de répéter, par exemple, que Dugua de Mons avait logé à
Sainte-Croix dans la maison que Champlain avait construite, en attendant
que la sienne soit prête ? Qu’il avait envoyé une barque à la baie
Sainte-Marie ? Ou s’était réjoui de l’arrivée de ravitaillement ? Pour
discréditer Dugua de Mons ? Pourquoi alors, après avoir fait ces coupures,
Champlain AJOUTE-t-il de longs passages, dans cette même édition de 1632,
où « il reconnaît haut et fort la contribution de Dugua à la fondation de
l’Acadie » ? Comme tentative de camouflage, on a vu mieux.
Il faudra revenir sur la méthodologie de cet ouvrage, sans se laisser
impressionner par le fait qu’il est issu d’un doctorat ou par les propos du
recenseur qui voit déjà un manque de « maturité » chez ceux qui ne sauront
pas accueillir cet ouvrage « avec tous les éloges qui conviennent ».
S’il a été relativement facile de déconstruire Dollard des Ormeaux ou
Madeleine de Verchères, dont la renommée reposait sur des incidents, ou
encore Jean Talon, qui a fait un passage fugace dans l’histoire de Québec,
le travail de déconstruction sera plus ardu dans le cas de ce personnage
qui s’est consacré à son œuvre avec plus de détermination et de constance
qu’aucun de ses contemporains.

-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --

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2 commentaires

  • Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre

    28 avril 2008

    Mme M.-M., vous dites: "Détruire des héros, c’est détruire l’identité québécoise..."
    Mais les héros de la mythologie n'étaient-ils pas des demi-dieux? Les prétendus héros que se donnent les peuples étaient de purs "humains". Pourquoi Champlain, un rude navigateur de l'époque, si lettré fût-il, aurait-il été plus vertueux que les Français d'aujourd'hui, qu'un Sarcozy, ou qu'un descendant de "la race" comme un Pratte, si lettré? Les Jésuites firent toutes les pressions sur lui pour lui souffler l'orientation de ses textes, on ne peut en douter en connaissant les méfaits commis dans l'histoire par les puissances religieuses...

  • Archives de Vigile Répondre

    28 avril 2008

    M. Deschênes,
    Vous devez le savoir, au Québec, le premier venu universitaire qui se pense issu de la cuisse de Jupiter peut dire n'importe quoi. Et ce « n'importe quoi » s'il est agréé par le pouvoir est à la « une » du Devoir-Parisella.
    C'est le syndrome de « l'enfant-roi ».
    Détruire des héros, c'est détruire l'identité québécoise et canadienne française.
    Voilà le but ultime de cette démarche.
    Marie Mance V