Le complexe militaro-industriel de Nouvelle-France

L’ancêtre de l’industrie de guerre du Québec contemporain.

Tribune libre

Le Québec est l’héritier direct de l’histoire de la Nouvelle-France. Or, celle-ci ne peut être comprise sans prendre en compte la menace autochtone et britannique qui pèse en permanence sur elle tout au long de la présence française en Amérique du Nord entre 1534 et 1763. En effet, pour compenser un rapport de force numérique très faible, l’administration française engage la colonie dans un vaste processus conduisant à l’émergence d’un complexe militaro-industriel local. Il s’agit d’édifier une industrie de guerre permettant de répondre à l’impératif de survie de l’empire français. Les Canadiens francophones, qui forment la majorité des habitants de la Nouvelle-France, participent étroitement au développement de cette industrie militaire.

Pour contrôler un immense empire nord-américain avec un faible effectif de militaires et de miliciens, la France a besoin de conserver une grande liberté de manœuvre face à l’empire britannique. C’est pourquoi, l’administration coloniale investit d’abord dans le développement d’une industrie forestière pour favoriser ensuite le développement d’une industrie navale. Ainsi, entre le XVI e et le XVIIe siècle, la colonie exploite le bois local pour produire de petits navires, les « batteaux plats » qui s’inspire fortement des techniques amérindiennes. Il s’agit de bateaux, transportables à dos d’homme, qui se caractérisent par un fond plat permettant de naviguer sur tous les cours d’eau de l’espace nord-américain. Grâce à ces navires, les militaires français et les Canadiens francophones sont en mesure de se déplacer sur des distances beaucoup plus importantes que les Britanniques. Ces bateaux contribuent à la liberté de mouvement des colons pour s’assurer de la maîtrise de l’espace.

Contrairement à ce qui se passe en France, où seule la noblesse a le droit de porter des armes, la monarchie autorise les habitants de la colonie à s’armer librement pour chasser et se protéger des ennemis amérindiens et anglais. De ce fait, les Canadiens francophones développent une culture totalement décomplexée à l’égard des armements, à la différence des Français. Cependant, la Nouvelle-France reste une colonie soumise à la logique mercantiliste de la monarchie française. C’est pourquoi, elle n’est pas autorisée à produire ses propres armes pour ne pas faire de concurrence à l’industrie de guerre de la métropole. Dans ce contexte, la manufacture d’armement de Saint-Etienne constitue le principal fournisseur d’armes des habitants de la colonie.

Une production de guerre locale

Cependant, l’accroissement des tensions entre la France et l’Angleterre au fil des décennies incite la monarchie française à vouloir mieux protéger son empire nord-américain en y développant d’avantage la production de guerre locale. C’est pourquoi, à compter du XVIIIe siècle, le complexe militaro-industriel de Nouvelle-France monte en puissance. L’administration coloniale s’appuie sur l’industrie forestière existante pour développer une industrie sidérurgique. En effet, elle utilise le bois de la colonie pour produire du charbon qui est ensuite employé pour fabriquer du métal. Les forges du Saint-Maurice sont chargées de cette mission. Toujours dans une logique mercantiliste, celles-ci doivent être rentables. C’est pourquoi, elles fabriquent à la fois des biens civils, comme des poêles, et militaires, tels que des boulets et des cartouches.

Le complexe militaro-industriel de Nouvelle-France repose sur trois secteurs d’activités inextricablement liées : l’industrie forestière, l’industrie navale et l’industrie sidérurgique. En effet, pour produire des navires de guerre, il faut à la fois du bois pour la coque mais également du métal pour fabriquer des poulies. Ainsi, entre 1738 et 1759, la colonie construit plusieurs gros bateaux pour la marine de guerre française qui dépassent les 500 tonneaux. Les besoins de la métropole sont tels que le chantier royal de Québec absorbe toute la main-d’œuvre capable de bâtir des navires, ce qui empêche l’émergence d’une industrie navale privée locale.

Cependant, l’expansion du complexe militaro-industriel de la colonie reste limité par plusieurs facteurs. Le premier est que le mercantilisme de la monarchie française l’empêche de se diversifier vers la production d’armes comme en métropole. Le second est le manque de ressources dans la colonie pour répondre aux exigences françaises. En particulier, la Nouvelle-France ne possède pas un bois de qualité suffisante pour répondre aux normes très strictes de la marine de guerre française. C’est pourquoi, les bateaux produits par la colonie ne sont pas engagés dans la guerre de Sept ans par la monarchie française. Le troisième facteur est que la colonie ne fabrique pas certaines matières indispensables à l’industrie militaire, comme le goudron pour étanchéifier les coques des navires, et doit les importer de France.

Néanmoins, l’industrie de guerre de Nouvelle-France, aux côtés de celle de Nouvelle-Angleterre, constitue l’ancêtre du complexe militaro-industriel nord-américain contemporain dont fait partie intégrante le Québec.

Bibliographie

Michel Gaumond, « Les forges du Saint-Maurice », Erudit, 1967, 7 pages.
Jacques Mathieu, « L’Échec de la construction navale royale à la fin du régime français », Erudit, 1968, 12 pages.
Rock Samson, « Les Forges du Saint-Maurice », Erudit, 1994, 6 pages.
Roch Samson, Les Forges du Saint-Maurice: les débuts de l'industrie sidérurgique au Canada, 1730-1883, Presses Université Laval, 1998, 460 pages.
Russel Bouchard, Les armes à feu en Nouvelle-France, Septentrion, 1999, 177 pages.
Charles Dagneau, « Les batteaux plats : l’efficacité dans la simplicité », Erudit, 2008, 4 pages.
Martine Tousignant, « Un héritage industriel : les forges du Saint-Maurice », Erudit, 2009, 4 pages.


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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    9 juin 2017

    J'ai regroupé mes principaux articles sur le Québec dans un livre intitulé "Chroniques d'Amérique du Nord (Tome 1)". Il est disponible sur Amazon à l'adresse suivante :
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    Cordialement.

  • Claude Richard Répondre

    23 février 2015

    Les renseignements contenus dans ce texte sont intéressants, mais parler de "complexe militaro-industriel" pour cette petite colonie d'à peine quelques dizaines de milliers de personnes m'apparaît tout à fait incongru et anachronique. Je comprends qu'on veut faire image, mais, en toute chose, il faut savoir mesure garder.