Le colis

Sports et politique


Chaque printemps, mon père envoyait un colis à son frère, missionnaire en Afrique. Il y avait des lettres de la parenté, des coupures de journaux, des nouvelles de l'Abitibi et de Montréal, de la tire d'érable, de l'argent pour sa mission et, surtout, des cassettes.
(Pour les moins de 99 ans, je précise que les cassettes étaient de petits coffres rectangulaires contenant des bobines magnétiques sur lesquelles on pouvait enregistrer des sons à l'aide d'une machine appelée «magnétophone». Difficile à croire, je sais.)
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Mon père y enregistrait des messages personnels en pièces détachées, assis dans sa chaise berceuse, en essayant d'être naturel.
Surtout, mon père enregistrait pour son frère les parties de la finale de la coupe Stanley. Le paquet partait par bateau et arrivait deux mois plus tard, en juillet ou en août.
J'imaginais mon oncle, par les soirs de l'hiver austral, placer la précieuse cassette dans le magnéto pour écouter la description de René Lecavalier, sans savoir qui avait gagné. Dans ce temps-là, les événements étaient encore capables de se cacher pendant des mois. Il est vrai que les journaux africains font peu de cas des finales de la Coupe Stanley.
Dans une colline du Lesotho, par la fenêtre de la mission, certains soirs, on pouvait entendre une voix claire un rien nasillarde qui avait traversé l'Atlantique presque à la nage... «La passe de Robinson à Lemaire, à Shutt... à Lafleur... Il lance... et compte!»
Pour mon oncle, qui avait quitté le Québec avant l'arrivée de la télévision, c'était une merveille technologique. Ces voix dans une petite boîte, pensez! C'était aussi, en fermant les yeux, revenir 40 ans en arrière, à La Sarre. Du temps où, rares fêtes, on se réunissait en famille autour d'une énorme radio pour écouter des bribes de La Soirée du hockey. Revenir au pays de l'enfance, le temps d'une partie enregistrée par son frère.Je voyais l'autre soir des Africains fraîchement débarqués, aussi hystériques dans la fête du hockey au centre-ville que des gens qui marinent dedans depuis toujours. Je ne parle pas d'immigrés de deuxième génération, scolarisés et socialisés au Québec. Je parle de gens qui sont ici depuis trois ou quatre ans. Et qui sont totalement absorbés par l'émotion collective.
J'ai pensé à mon oncle sur un bout de planète qui ne connaît pas la glace, pour qui le hockey était ce lien avec son passé, sa famille, son pays. Et, à l'opposé, ces nouveaux venus du bout du monde, pour qui ce sport est un ancrage dans l'avenir. Un indice sensible de leur montréalité.
Je sais bien: le lendemain d'une victoire ou d'une coupe, on n'est pas moins chômeur que la veille, on n'est pas plus beau, on n'est pas plus fin.
Mais on a des souvenirs en commun avec des millions de gens. Des joies partagées.
Il n'y a pas tant de sujets de joie partagée dans une grande ville, quand on y pense. En voici un. Une chose presque sans arrière-pensée, gratuite (sans rime ni raison), toute bête, qui ne fera jamais déclencher de commission d'enquête. Un truc rond en caoutchouc se promène, on le suit, il peut même nous faire gagner...
Est-ce que j'ai dit «nous»?
Il n'y a pas tant de trucs que ça qui nous permettent d'élargir le mot «nous», quand on y pense. C'est pas mal, pour un bout de caoutchouc.
Il y a souvent plus qu'il n'y paraît dans les colis et les rondelles.


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