Le choix du minoritaire

Il est inscrit dans la nature même du système canadien que le Québec est au banc des punitions. Ce n’est pas le Bloc qui a décidé cela.

Chronique d'André Savard

Gilles Duceppe est une grande figure politique québécoise, celle qui brille comme un rempart contre la catastrophe. Est-ce vrai? Oui. Ou on vote pour fournir à l’unitarisme canadien des figures québécoises qui vont remuer les lèvres dans le sens voulu par le système ou on vote pour le Bloc. C’est ça le choix et il n’y en a pas d’autre.
Le problème fondamental avec ses élections fédérales comme avec toutes les autres élections fédérales, c’est que quel que soit le parti élu, il va occuper le gouvernement sans redéfinir ses liens de domination par rapport au Québec. De gauche ou de droite ou de centre, le parti élu va se comporter comme si cette élection était en fait une élection référendaire portant sur la nature du régime et que celui-ci peut donc s’exercer de plein droit au Québec.
Peu importe le parti, il y aura des mesures imposées et des mesures asymétriques c’est-à-dire des mesures décidées par le Fédéral mais par rapport auxquelles le Québec gardera un droit accommodation si les négociations, bien sûr, n’achoppent pas. Les Québécois vont toujours voter au Fédéral pour ratifier une balance du pouvoir défavorable. Contrairement à ce que l’on entend, ce n’est pas l’existence du Bloc qui en est la cause.
Il y a une « loi de la clarté » qui permet d’accuser les processus embrouillé et complexe de l’adversaire. Par contre, le Fédéral peut utiliser autant de processus complexes et embrouillés qu’il veut. Un jour il peut concentrer la gestion des valeurs mobilières à Toronto, un autre jour il peut dire au Québec d’assumer des responsabilités provinciales au nom d’un soi-disant principe fédéral, un autre jour il peut parler du Canada comme d’une seule nation dans un pays unitaire.
La règle est simple: tout le monde a reconnu la légitimité du pouvoir du Fédéral, de gré ou de force, et qu’on vote ou pas, on est censé être d’accord du seul fait qu’on participe. Et ce qui intéresse les activistes canadiens au premier chef, c’est que les Québécois aient toujours l’air de voter pour la légitimité du pouvoir fédéral. Il y a toujours des Québécois dans des partis contre la souveraineté du Québec. C’est assez pour alimenter les discours soutenant que l’on est d’accord avec les méthodes du Fédéral et avec tout ce que peut impliquer ses principes.
On parle beaucoup de règles comme de facteurs au-dessus de la mêlée mais les règles accompagnent une distribution des pouvoirs. Même la Constitution canadienne, surtout la Constitution canadienne, vient soutenir l’état du milieu qui nous enveloppe et qui, ultimement, veut toujours nous envelopper davantage. Du seul fait qu’il soit un État souverain, le Canada ne doute absolument pas de son pouvoir au Québec.
Toujours, dans ce pays que l’on vante parce qu’on y décide “sans distinction d’origine” selon l’expression de Stephen Harper, on prend bien soin de noter qu’il y a un fonctionnaire, un sénateur, un militant ou un député d’origine québécoise qui logent dans quelque facette du processus. Ils sont là nous dit-on pour appuyer un nouveau pouvoir car le Fédéral serait toujours en train de servir la réalité la plus présente, la lutte d’avant-garde qui domine les anciens clivages. Plus il y aurait d'élus unitaristes au Québec, plus les effets cumulés des rationalisations canadiennes trouveront des figures de proue locales.
Il n’est pas question, dans l’aveuglement de leur perspective, que la nation québécoise soit une victime de ce nouveau pouvoir. Il n’y a pas de domination, juste la liberté, obligée, la liberté d’accompagner le pouvoir ou de s’en exclure, disent les activistes canadiens. Les meilleurs porte-paroles, selon eux, seraient des Québécois qui admettent d’emblée que le point de vue québécois gagnerait à être complété par une analyse canadienne de la situation et qui sont payés pour expliquer aux Québécois cette analyse.
On se fait raconter que le Canada est proche d’une nouvelle orientation et qu’il faut des députés canadiens québécois qui sont prêts pour cela. Pas un pour dire que le Bloc Québécois est le seul à offrir quelque chose de spécifique au Québec. Les autres partis demandent juste à l’électorat québécois de se rallier à leurs politisations et de la ratifier. Ou on vote pour la droite, ou la gauche, ou les régions, c’est ça le choix acceptable. Les Québécois forment une minorité et c’est aux grands partis de les éclairer sur les choix acceptables. Bref, on le choix de voter pour des conceptions globales bonnes pour le pays et dictées par des circonstances canadiennes.
Un député canadien québécois, disent-ils, saura mieux s’orienter rationnellement car il dépassera la bourgade, prise dans l’ampleur de ses sensations. Et, vous, Québécois, voyez vraiment où vous logez car vos préférences sont peut-être un trompe-l’œil. La boussole électorale de Radio-Canada permettrait de se définir en fonction de ces “valeurs” et de constater que les idées coïncident avec des luttes canadiennes. Le message subliminal de la “boussole” de Radio-Canada, c’est que, hormis le sujet de l’indépendance du Québec, vous trouverez toujours un parti unitariste canadien pour défendre vos intérêts.
Les partis unitaristes sont-ils contre l’application de la loi 101 et le principe du français langue de travail au sein des corps d’emplois gouvernementaux? Pas grave. Il y a tant d’affinités potentielles et, quand on est au niveau fédéral, on devrait comme Québécois, se dissoudre dans le grand Tout. Comme électeur québécois, voyons-nous comme un amalgame d’affinités individuelles et de politisations particulières qui auront mission de se faire valoir “à l’échelle du pays”.
Bref, la question québécoise est d’arrière-garde dans le catéchisme unitariste canadien. Par contre, resterait aux Québécois la liberté de faire du Canada une réplique acceptable de ce que l’on aime bien dans sa “région”. Ce qui est en jeu, ce n’est plus le pouvoir de la nation québécoise et de son gouvernement. Désormais, on devrait voter pour amener sa région ou son groupe d’affinités sur une orbite plus proche du gouvernement central.
Sinon, fatalement, vous verserez, Québécois, dans une manifestation du “repli sur soi”. Or, chacun doit parler pour son bout de pays car, au Canada, on n’est à l’écoute que des bouts de pays. On ne doit pas opposer son point de vue à celui des autres, dit-on aux Québécois. Par contre, Terre-Neuve qui se fait garantir des prêts pour contourner le Québec, ce n’est pas du repli sur soi. L’Alberta qui développe l’industrie des sables bitumineux contre l’avis de plusieurs sommités mondiales des sciences de l’environnement, ce n’est pas du repli sur soi. Le repli sur soi, remarquez bien, c’est Québécois.
Les partis unitaristes canadiens ont tous choisi de s’adresser aux Québécois comme à des minoritaires qui n’ont droit pour mode de défense qu’à une logique de minoritaires. Ils ont tous choisi de jouer la corde du minoritaire que ne peut influer sur les décisions et d’avoir un effet direct sur la marche du monde qu’en se reniant comme nation détentrice d’un pouvoir aussi légitime que le pouvoir des autres nations. Il est inscrit dans la nature même du système canadien que le Québec est au banc des punitions. Ce n’est pas le Bloc qui a décidé cela.
Que l’on cesse de blâmer le Bloc pour une situation dont il n’est pas l’auteur. Et cessons de penser que le Bloc est un rouage au même titre que le sont des députés canadiens québécois au service des partis unitaristes. Si tel était le cas, il n’y aurait pas tant d’écrits contre le Bloc dans les pages des activistes canadiens. D’ailleurs, une journée ils blâment le Bloc d’être un rouage et l’autre jour d’enrayer la machine. Si c’est l’effet que produit le système de représentation au Canada, ils devraient se poser des questions.
André Savard


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5 commentaires

  • Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre

    13 avril 2011

    Se pourrait-il que certains "minoritaires" manifestent plus leur identité dans le parlement majoritaire que nous?
    Barcelone, capitale catalane, est florissante du point de vue touristique, du moins, sans se voir "punie" économiquement par Madrid, différemment de Montréal, déculottée écomomiquement depuis 15 ans par... la complicité politique de l'intérieur?...
    L'Écosse, si elle subit le même chantage économique que nous (petit pays petit revenu), ne subit pas l'humiliante loi-Dion qui contrôle nos consultations populaires...
    Le Canada, qui ne peut refuser l'élection démocratique des députés du Bloc, se permet d'en limiter les libertés parlementaires par les ruses médiatiques à la pertinence, par les menaces à l'arrêt du financement, s'ils deviennent trop spécifiques dans leur discours...

  • José Fontaine Répondre

    12 avril 2011

    Bravo André Savard pour cet article qui me rappelle les années 70 et 80. Allez le Québec!

  • Archives de Vigile Répondre

    12 avril 2011

    Voter pour le Bloc est la seule facon de dire aux fédéralistes que leur politique unitariste n'est pas acceptée par les québécois. En corrollaire, s'il fallait que le Bloc devienne minoritaire au Québec, les fédéralistes s'empresseraient de conclure qu'enfin les québécois acceptent le fédéralisme tel qu'il est puisqu'ils votent maintenant pour des députés fédéralistes. C'est pourquoi nous devons continuer à voter Bloc tant que la problématique constitutionnelle ne sera pas résolue...et c'est cela qui gêne les fédéralistes et qui explique le pourquoi d'essayer de nous convaincre que le Bloc est dépassé.

  • Archives de Vigile Répondre

    11 avril 2011

    Merci pour cette excellente analyse. Vous résumé clairement la situation de domination dans laquelle se trouve le Québec dans ce cadre canadien. Cette vision canadienne de la domination du Québec prévaudra jusqu'à la fin des temps. Leur idéologie n'offre que deux voies de sortie aux québécois : l'indépendance ou l'assimilation totale, c'est-à-dire la disparition éventuelle de la nation québécoise. Voter contre le Bloc Québécois c'est voter pour la mort progressive de notre nation. Il va falloir que les nationalistes québécois de toutes les tendances politiques s'ouvrent les yeux avant qu'il ne soit trop tard.

  • Archives de Vigile Répondre

    11 avril 2011

    Le Bloc, ce n’est pas Gilles Duceppe. Pas plus que le P.Q. c’est Pauline Marois.
    À s’accrocher aux « valeurs » québécoises, Gilles Duceppe rend le Bloc vulnérable. Le pays Québec vaut autant que le pays Canada. C’est par Nous que le pays Québec est différent. Et nos « valeurs » ne sont pas diamétralement opposées à celles du Canada. Si cela était, nous ne serions pas loin d’une guerre civile, ici même au Québec, avec le West Island, qui ne vote pas pour le Bloc. Nous sommes donc très loin du compte.
    Vous avez parfaitement raison de suggérer que les activistes canadiens pourraient se poser des questions, mais la même chose pourrait s’adresser aux souverainistes du Bloc : QUI REPRÉSENTEZ-VOUS À OTTAWA ? Le gouvernement québécois ? Celui de Charest, qui représente lui aussi les « intérêts du Québec » ? Les souverainistes, mais pas les indépendantistes ? L’ensemble des électeurs, toutes options confondues ? La sainte gauche plutôt que la droite infâme, ou vice versa ? Pas facile, la vie du Bloc.
    Pas facile de se faire élire par Nous en même temps que de se trouver drôle à se moquer des nounous…
    Quand même, Bloc en bloc…