Le Canada, pays enchanté

Chronique d'André Savard

On me permettra aujourd’hui d’aborder deux thèmes, le tour étrange que prend la présentation du Canada alors que l’on proclame la « fin des idéologies » et la personnalité de Françoise David.
Le Canada, pays enchanté
Comme on sait, le thème du fédéralisme renouvelé fut très longtemps un thème obsédant de l’argumentaire fédéraliste. Si on écoute les plaidoyers actuels en faveur du fédéralisme, ils semblent tous sous-entendre que le renouvellement du fédéralisme s’est réalisé.
La fameuse Liza du Club des Ex nous raconte qu’en un âge ancien la province de Québec était conçue comme un simple palier administratif. Ce ne serait plus le cas.
Le mot « province » existe toujours mais il aurait totalement perdu sa signification ancienne. Le Québec d’aujourd’hui profiterait d’un statut très souple, le fédéralisme canadien permettant des renaissances, des reprises, des rénovations au gré du temps qui feraient en sorte que l’Etat québécois ne serait plus un État subalterne.
Le journal La Presse qui sert en pages éditoriales de tribune régulière, et quasiment exclusive aux discours fédéralistes, va plus loin. Le Québec en tant qu’Etat serait plus libre, plus souverain en fait, plus puissant qu’il ne saurait l’être en tant qu’Etat indépendant. Le fédéralisme n’exercerait guère plus de limitations sur le Québec que ne le feraient des instances internationales. En plus, advenant la souveraineté, comme le Québec serait un tout petit pays, personne ne lui accorderait beaucoup d’attention à l’étranger, moins que le bienveillant partenaire canadien.
Apprendre ainsi par des gens qui, selon toute apparence, gardent leur sérieux, que le Québec ait une province jouissant d’une marge de manœuvre comparable à celles des Etats nationaux a de quoi surprendre. Le mot « souveraineté » s’est fortement emmêlé au Canada. Aujourd’hui, le droit d’intervention des provinces dans leur propre cadre de compétence passe pour un espace de souveraineté.
Le fait que l’Etat québécois assume des responsabilités donne lieu à une fabulation. On aurait découvert une forme d’inclusion plurielle, égalitaire, octroyant une autonomie grandiose. Le Québec détient des milliards pour s’occuper des routes, des écoles, et il a pour financer ses initiatives beaucoup plus que le budget global du Cameroun ou du Zimbabwe. Donc, selon cette croyance, le Québec serait plus souverain que ces Etats. Admettant qu’il le soit moins qu’eux, ajoutent les penseurs du fédéralisme, on admettra que l’administration d’une province peut être plus exemplaire que celle d’un Etat souverain.
En somme, et cela tient du miracle, bien que le Québec n’ait jamais signé la Constitution et que l’accord du lac Meech ait été rejeté, la nouvelle alliance serait d’une permissivité, d’une souplesse incroyable, profitable, voire vitale et nécessaire à la différence québécoise. Jamais le Québec n’aurait été si libre de lui-même.
On demande l’abjuration des souverainistes en disant que le Canada présente un système parfaitement équilibré de souveraineté et d’inclusion. On ne sait vraiment plus ce que le Québec pourrait encore vouloir qu’il n’ait déjà reçu si on se fie à ce tableau rose. L’antiquébécisme serait un sentiment minoritaire au Canada. On n'aurait rien contre le Québec, la province-nation, qui prend place dans la structure canadienne. On voudrait juste que le Québec fasse face à son passé, apprenne l’autocritique, assume des remords au sujet de ces hystéries.
L’incompréhension face au Québec serait une donnée négligeable. On ne trouverait jamais autant d’ultranationalistes au Canada qu’il n’y en a au Québec. Un esprit universaliste dominerait car le Canada serait une version du monde entier en raccourci.
Voit-on que l’on n’est pas en train de décrire le Canada? Tout se passe comme si une réflexion sur le Canada par rapport au Québec ne pouvait plus être acceptée qu’après avoir accompli un détour par l’idée que le Canada personnifiait une sorte d’âge adulte
mythique de l’humanité.
On est en train d’idéaliser le Canada et ses formules juridiques verrouillées arbitrairement. Il y a l’arrogance d’une faux savoir dans cette façon de définir le Canada au-delà de sa réalité. Il y a une mauvaise foi extrême dans cette manie d’accuser les souverainistes de profiter du dogmatisme, des certitudes obtuses qui éclatent notamment dans le [National Post->18180].
À cette époque où on vante la « fin des idéologies » et « la fin des grands récits », on peut s’étonner de cette sublimation du Canada. Il devrait soulever la question de la qualité de notre débat démocratique. Le Canada est devenu un pays qui se pose au Québec comme un objet de prédication et d’idolâtrie.
La personnalité de Françoise David
Il y a une question que l’on n'ose pas trop poser à propos de Québec Solidaire. Elle concerne la personnalité de Françoise David, sa tête dirigeante. On a connu Françoise David à la tête d’Option Citoyenne et bien avant, elle a toujours présidé les groupements auxquels elle se joignait.
Si Françoise David a déjà été sous les ordres de quelqu’un, elle en a perdu l’habitude. Il coure comme un murmure à propos de Françoise David parce que cette apôtre de l’engagement communautaire règne partout où elle va.
On voit certes Amir Khadir et Françoise David côte à côte sur les affiches. Nous sommes supposés y voir deux personnages équivalents quoique le vrai message se décèle, soufflant : “Françoise David ne se laisse pas effacer”.
Françoise David ne fait pas de détour par des organisations où elle risque d’être subalterne. Elle préfère fonder son propre mouvement, ça vaut le dérangement. Ainsi elle maîtrise le jardin, elle est architecte. Par tempérament, elle ne joue pas les seconds. Ses convictions lui font condamner les disparités sociales. Les ressorts de son caractère toutefois la rendent soucieuse de son classement personnel.
Après l’élection d’Amir Khadir, ni une ni deux, elle est allée s’établir à Québec. S’il y a une quartier maître, Françoise David n’est pas loin. René Lévesque soumis à la défaite au cours des années 70 n’avait pas le même fantasme d’ubiquité. Après sa défaite, tout en présidant le Parti Québécois, René Lévesque est allé travailler au Journal de Montréal. Un tel éloignement du carrefour stratégique est impensable pour Françoise David.
Elle dira que sa vocation de fondatrice s’explique par le refus des complaisances et des compromissions intellectuelles. Elle se dit la porte-parole d’un mouvement enfin rendu à lui-même. Ce fut sa prétention autant par rapport au féminisme que par rapport à la gauche.
Le parcours de Françoise David représente une énigme, un non-dit. Habile pour émerger, a-t-elle une idée des contributions que l’on supporte par esprit d’engagement sans se mettre à l’avant? C’est bien d’afficher des principes généreux, cela aide parfois à se cacher que l’on a fait du rôle de chef sa spécialité.
André Savard


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5 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    13 mars 2009

    Il restera alors à savoir si le féminisme ne peut pas servir parfois d'alibi pour excuser un trait de caractère bien personnel. Si Françoise David veut aspirer aux plus hautes sphères, elle ne peut échapper aux considérations sur son parcours. On s'interrogera sur les observations de ses anciens patrons car la faculté de travailler en équipe implique aussi la capacité d'être subordonné.

  • Archives de Vigile Répondre

    12 mars 2009

    Ce n'est pas la première fois que j'entends ce genre de discours sur la personnalité de Françoise David. Le fait qu'elle aime diriger, qu'elle a un tempérement de fondatrice et qu'elle a de l'ambition.
    Et pourquoi pas ? Quel problème y a-t-il à ce qu'une femme veuille être à la tête d'un mouvement ou d'un parti politique, surtout si elle a des qualités de leader et de rassembleuse ?
    Personnellement, c'est exactement ce que M. Savard reproche à Françoise David qui m'attire en elle. En tant que jeune femme, j'ai besoin de modèles comme elle. Des femmes qui veulent être autre chose que des numéros deux. Et Dieu sait combien ces modèles sont encore rares en 2009. La preuve, dès qu'il y en a une qui sort du lot, on fait tout pour la remettre à sa place...de femme.

  • Archives de Vigile Répondre

    7 mars 2009

    Il était normal que Khadir aille à Québec mais on doit noter que le premier geste de Françoise David fut d'y aller pour tenir le fort. Les remarques sur la personnalité d'une personne peuvent irriter. Il faut pourtant aborder la question de front. De quoi est F. David est faite? Sans faire trop de psycho, on peut voir qu'elle a un tempérament de fondatrice. Un fondateur aime bien mener sa galère. Et ça se constate.

  • Archives de Vigile Répondre

    7 mars 2009

    La psychopoliticologie d'André Savard est désolante dans sa façon de scruter la conscience de Françoise David. Est-ce que je dirai qu'il est un macho et un petit dictateur frustré? Ce serait bien exagéré, mais quand on ne sait pas ce qui motive quelqu'un on peut dire n'importe quoi.
    Ou peut-être monsieur Savard est-il un anarcho-nationaliste: À bas les chefs! Et Amir? Pourquoi ne pas critiquer Amir? Étrange... Ah! comme les questions sans réponse sont douces au cœur du philosophe, et amère au chroniqueur.
    Bernard La Rivière
    Ste-Adèle

  • Archives de Vigile Répondre

    6 mars 2009

    On doit quand même avouer que le Canada s'est beaucoup amélioré avec les départs de Messieurs Trudeau et Chrétien même s'il nous reste encore M. Dion qui colle encore au fond.
    À mon avis, ce n'est pas la Canada qui s'est amélioré, vu qu'il fourre son nez partout dans les compétences de SES provinces, c'est le Québec qui a avancé avec le gouvernement Lesage, à cause de M. Lévesque et avec le gouvernement Lévesque, à cause de M. Parizeau.
    La situation des Québécois francophones était déplorable avant 1960 et un peu moins en 1976 quand le PQ a été élu. Là, tout a débloqué et « Québec Inc ». est né avec les politiques économiques originales de M. Parizeau...Faudrait pas l'oublier.