Le cadeau

Écoles privées juives

ÉDITORIAL - C'est fou comme ce gouvernement Charest, celui qui se disait prêt, se laisse mener par les lobbys et les émotions, en catimini et sans égard pour l'argent public. À grande échelle, cela donne une saga comme celle du CHUM, où valsent les milliards. À une aune plus modeste, cela conduit à une entente avec des écoles juives, dont on cherchera en vain la justification. Mais dont les effets pervers sautent aux yeux.
Le lobby juif a enfin gagné ce qu'il cherchait à obtenir depuis des années: le statut d'école associée pour ses écoles confessionnelles privées, ce qui, grâce à une vieille clause de la Loi sur l'instruction publique (conçue à l'époque pour faire transition avec la mise en application du rapport Parent), lui donne droit à un financement aussi complet que celui d'une école publique... tout en maintenant son caractère privé et ses frais de scolarité.
La demande remonte à loin: déjà, au début des années 90, l'Association des écoles juives courtisait la Commission des écoles catholiques de Montréal à ce sujet, et c'était devenu une promesse libérale lors de la campagne électorale de 1994. Les libéraux ayant perdu les élections, des leaders de la communauté juive étaient revenus à la charge auprès du gouvernement péquiste. En vain. L'heure était à la déconfessionnalisation des écoles et au renouveau de l'école publique.
À l'heure actuelle, les libéraux nouvelle vague de Jean Charest n'ont pas de tels soucis sociaux. Ils préfèrent gérer au gré des événements. Or la communauté juive en a vécu un, fort traumatisant: l'incendie de la bibliothèque de l'une de ses écoles. Tous les pouvoirs se sont offusqués, avec raison, du geste. Mais pour le gouvernement Charest, au dire même du ministre de l'Éducation, Pierre Reid, l'effet a été décisif. Le dossier des écoles juives devait être débloqué.
Lors des discussions de 1993, l'intégration à la communauté francophone - les enfants des écoles primaires juives devant ensuite passer aux écoles secondaires de la CECM - et l'aide aux élèves en difficulté étaient au moins à l'ordre du jour. Cette fois-ci, on ne se perd plus en considérations aussi structurantes. L'actuel contrat d'association entre les écoles et les commissions scolaires impliquées propose strictement des activités d'ordre culturel: concours d'art oratoire, festival des beaux-arts, visites communes du Musée de l'Holocauste, échanges de livres...
Toute la journée hier, des voix se sont élevées pour faire valoir que de tels jumelages peuvent aussi bien se faire sur une base volontaire; pour s'étonner du déblocage inattendu de 10 millions (dire qu'on n'arrivait pas à trouver plus de 100 000 $ pour les victimes du tsunami... ) alors que les écoles publiques souffrent d'un sous-financement honteux et que d'autres écoles privées se sont fait refuser le même montant; pour s'inquiéter du frein mis à la laïcisation de l'enseignement; pour souligner que la décision a été prise sans aucune consultation.
On a aussi vu d'autres communautés se frotter les mains: la porte est ouverte à tous, M. Reid l'a lui-même dit! Contre de bien vagues promesses, on pourra donc faire prospérer des ghettos, sans autre cohérence que les états d'âme de ministres.
Il y a là, on le voit, mille raisons de s'indigner. La dérive est toutefois bien plus fondamentale: ce gouvernement n'a aucun sens du vivre ensemble. Pour lui, l'État n'est là que pour prendre acte du salmigondis d'individus qui vivent côte à côte et qui, parfois, se rassemblent au nom d'un quelconque projet. Si ce petit groupe parle fort et parle bien, l'État cédera à ses demandes. Sinon, que vogue la galère, sans personne pour la diriger.
C'est là une grave errance à l'heure où le métissage des populations exige au contraire une affirmation de nos valeurs communes - qui ne sont pas des croyances religieuses - au sein de toutes les institutions publiques: l'école, la justice, le système de santé. Au gouvernement ensuite de se faire le chien de garde de notre espace commun, en rejetant tout privilège. Il est vrai que c'est plus exigeant que de jouer au père Noël...
jboileau@ledevoir.ca


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