La Wallonie suicidaire de Di Rupo

Chronique de José Fontaine

Une enquête est sortie la semaine passée commanditée par les mutualités socialistes organisations puissantes à l'intérieur du monde socialiste avec les syndicats (1). Des experts médicaux y ont été associés. Et en complément des questions furent posées à une bonne centaine de praticiens (généralistes, psychiatres et psychologues). Les résultats sont affolants.
Chômage = suicide et désespoir
Elle a été limitée aux Wallons (3,5 millions) et aux Bruxellois francophones (1 million). Les 6 millions de Flamands n'ont pas été interrogés. Mais la plupart du temps, la RTBF et Le Soir parlaient d'une enquête sur les "Belges". Autre source de confusion, on a mélangé les chiffres wallons et bruxellois, alors qu'ils se rapportent à deux Etats fédérés distincts et à deux situations différentes. Soit.
‎Selon cette enquête 18% des chômeurs ont déjà fait des tentatives de suicide. 36% sont très anxieux ou en dépression. Il ne faut pas oublier que le taux de chômage (chiffres sous-estimés selon Philippe Defeyt), est de 13 % en Wallonie, de 6 % en Flandre et de 19 % à Bruxelles (mais les grandes villes wallonnes ont parfois des taux supérieurs au taux bruxellois, redisons-le ici puisque personne ne le souligne). Dans la population en général, 8% des Wallons ont déjà fait une tentative de suicide (contre moins de 3% il y a dix ans selon Le Soir du 12 juin dernier). Chez les les 18-25 ans la situation est pire encore. Le Docteur Pitchot, psychiatre liégeois et expert de l'enquête, s'explique ainsi (propos recueillis par Le Soir du 12 juin) : « La situation semble clairement s’être détériorée au cours des cinq dernières années : les généralistes interrogés le confirment… Ce constat est le reflet d’une société égoïste, où l’individu n’est plus soutenu par le groupe – la famille, la puissance publique, la religion… –, où le besoin d’appartenance ne trouve plus prise. » Il pense aussi : « Le risque de perdre notre identité nationale est un élément plus important qu’on ne l’imagine pour le bien-être psychologique de la population. Or on a évoqué la désintégration du Royaume à de multiples reprises. Une menace banalisée, qui est venue s’ajouter à l’insécurité socio-économique générée par la crise financière. En somme, les gens n’entendent plus de message d’espoir. »
Cynisme du gouvernement Di Rupo
Le 12 juin à l'émission Matin-Première de la RTBF, le directeur des mutualités socialistes Jean-Pascal Labille commente ces chiffres plus que préoccupants. On lui pose alors la question de la politique d'austérité menée par le socialiste wallon Elio Di Rupo, Premier ministre fédéral et si celle-ci va dans le bon sens. La FGTB wallonne mettait en avant le 7 juin que pour les chômeurs, elle allait signifier des pertes de revenus allant de 50 à 200 euros, diminutions dramatiques sur des allocations qui ne permettent même pas toujours de s'élever au-dessus du seuil de pauvreté. Il est vrai de dire que cette politique a épargné pour le moment d'autres catégories et qu'elle a conforté la position belge dans la crise européenne (l'Etat belge peut emprunter à des taux d'intérêt seulement légèrement supérieurs à ceux de l'Allemagne). Certes, les mesures contre les chômeurs sont la cerise sur le gâteau de la crédibilité d'un gouvernement en ces temps d'ultralibéralisme (et de haine des pauvres) : leur impact économique, budgétaire et financier est nul. Sinon même défavorable (seuls les chômeurs dépensent tout dans le pays)

De toute façon, voici la réponse de Jean-Pascal Labille :
«Non, je ne dis pas que cela va dans le mauvais sens mais peut-être aurait-on dû les appliquer de manière un peu différente. Vous savez, quand il y a en moyenne, et en fonction du métier ce sera différent, et en fonction de l’endroit ce sera différent, quand il y a une offre d’emploi pour 15 demandeurs, vous croyez franchement que les 14 qui n’auront pas l’emploi, en diminuant leurs allocations de chômage, vous allez leur permettre de mieux vivre demain et de retrouver de l’emploi ? C’est ce cynisme-là qu’il faut aujourd’hui dénoncer. Et je vous dirais que le cynisme profond, et vraiment il faut sortir de là et ne pas capituler devant cela, c’est la logique dans laquelle on est en train de nous enfermer. Parce que la crise c’est quoi finalement ? La crise, c’est la défaite du capitalisme classique et la victoire de l’ultralibéralisme. Et le cynisme que je veux dénoncer, l’équation que je veux dénoncer, c’est que réduire les déficits aujourd’hui, ça s’assimile à affaiblir les protections collectives et les protections sociales ; ça c’est tout à fait inacceptable, c’est cela qui va nous conduire dans le mur.»
Pourquoi frapper les chômeurs?
La situation décrite par JP Labille vaut pour la Wallonie et pour Bruxelles, fortement frappées par cette politique infiniment plus que la Flandre (n'est-ce pas pour cette raison que l'on parle d'une enquête sur les Belges en général?). Il n'y a non plus aucun sens à diminuer les allocations de chômage pour redresser les finances publiques. Voire les supprimer quand il s'agit des stages d'attente des jeunes après un certain temps. Mais on sait que plusieurs partis de droite associés au gouvernement, les libéraux flamands, une partie des démocrates-chrétiens flamands de même que des libéraux wallons ont un électorat chez qui la haine des chômeurs représente une autre forme de déséquilibre mental. De plus, côté flamand, on clame depuis des décennies que la Flandre en a marre de traîner comme un boulet une Wallonie de chômeurs et d'assistés dits parfois (contre tout bon sens), «socialistes». Mon analyse, c'est que lorsque Di Rupo assure que la finalité de son gouvernement (voir ma précédente chronique et Le Soir du 26 décembre cité par TOUDI), est de tout faire pour que les partis flamands associés au gouvernement gagnent les élections de 2014, il songe aussi aux mesures contre les chômeurs, cibles par excellence de la démagogie antiwallonne des nationalistes flamands. J'admets d'ailleurs qu'il s'y résigne à contrecoeur et la mort dans l'âme. J'admets aussi qu'il est sans doute difficile de former un gouvernement belge sans faire d'aussi abominables concessions à la haine sociale notamment antiwallonne, notamment en Flandre. Mais dans ces conditions la Belgique est-elle encore acceptable? Il me semble que non. Doit-elle être encore acceptée puisque la Wallonie, ruinée par des décennies de politique flamande, en a encore besoin? Peut-être, à court terme. Mais à moyen terme, non, puisque d'ici dix ans, la Wallonie devra se passer de la Belgique et cela a été dit dès la formation du gouvernement Di Rupo. On pourrait presque dire qu'il ne reste même plus dix ans à la Wallonie!
Que fait Di Rupo à la tête du gouvernement belge?
Dès lors, compte tenu du fait que Di Rupo est un élu de la Wallonie et un politique qui doit tout à la Wallonie, comment juger son attitude politique actuelle? Il veut peut-être sauver les meubles temporairement. Mais il ne le fait pas de telle manière que les Wallons puissent penser que c'est sur eux-mêmes qu'ils devront d'abord compter sous peu. Quelques exemples en sus de tous ceux donnés jusqu'ici.

Lorsque Liège connaît une tuerie d'épouvante le 13 décembre, sept jours après la formation de son gouvernement, il s'y précipite et y exprime sa compassion en prenant d'abord la parole en néerlandais, langue qui n'est pas comprise à Liège. Le fait est tellement énorme que des Flamands eux-mêmes le lui ont reproché! Aucun responsable politique n'aurait agi de cette manière à la plus catholique que le Pape.
Lorsqu'il fait son bilan de six mois de gouvernement au JT de la RTBF, il ne répond pas à la question qui lui est posée sur les chômeurs. Et on passe dans la même émission le discours du roi à la veille de la fête nationale où celui-ci se met en colère et demande qu'il y ait un gouvernement. Ce n'est certes pas de la propagande de la part de la RTBF, c'est d'ailleurs aussi l'anniversaire du roi. Mais c'est malheureusement très significatif du fait que Di Rupo s'enferme dans ce qu'il y a de plus fort, de plus puissant symboliquement dans le système politique belge, de plus dupant aussi pour les Wallons. Cela alors que l'avenir de la dynastie belge est pourtant compromis : Albert II est entré dans sa 79e année et est très fatigué. On craint tellement son successeur le Prince-héritier Philippe, que d'aucuns songent à confier la régence à sa soeur jugée plus apte à la fonction jusqu'à ce que la fille de Philippe (Elisabeth) monte sur le trône.
Di Rupo en se trompant sincèrement trompe les Wallons
Hostile à l'idée que Di Rupo serait un arriviste, je suis cependant persuadé que le Premier ministre belge actuel, en temporisant, en voulant que la Belgique classique se maintienne encore un peu rend de très mauvais services aux Wallons. Il aggrave par les mesures politiques qu'il couvre la santé mentale des Wallons. Cette santé est ébranlée - c'est une des conclusions importantes de l'enquête - par la mise en cause très grave de l'identité nationale belge. Or il existe dans ce domaine, depuis au moins un siècle, une issue pour les Wallons, la séparation de la Flandre et de la Wallonie telle que Destrée la voulut et telle que le Congrès wallon l'approuva le 7 juillet 1912. Telle qu'André Renard, autre socialiste radical en relança formidablement l'idée lors du plus violent conflit social de notre histoire, douloureusement vécu en Wallonie (des morts, des blessés, des milliers de gens en prison), au coeur de l'hiver 1960-1961. Telle que s'en amorce la réalisation à travers des réformes de l'Etat depuis 1970 qui ont fait basculer (si l'on tient compte de celle en cours qui va bientôt être votée), de 60 à 70 % des compétences de l'Etat belge du côté des Etats fédérés et donc de la Wallonie.

La présence d'un Wallon à la tête de l'Etat belge et d'un Wallon identifié, comme seul Elio Di Rupo peut l'être, à la monarchie et à l'identité belge est un pur et simple leurre pour mes compatriotes de Wallonie. L'effet de cette présence - envahissante et étouffante, on dirait même que les responsables socialistes wallons n'osent plus se montrer de peur de faire de l'ombre à leur chef alors qu'ils étaient déjà plus que timides politiquement à la tête de la Wallonie - est destructrice. Le fait que la politique de Di Rupo aura notamment comme effet d'augmenter les suicides en Wallonie est significatif de la toxicité de sa politique. Déjà, lors d'un sondage publié lundi des formations plus wallonnes (dispersées et opposées (2)) et sans vraie représentation parlementaire, acquièrent ensemble une dizaine de points. Malgré la bonne volonté qu'il a mise à saigner les chômeurs wallons, le Premier ministre perd, lui, 10 points de popularité en Flandre, pertes équivalentes à celle de son parti en Wallonie. Je n'ai jamais cru jusqu'ici à la possibilité de refaire un véritable rassemblement wallon incarné dans un parti politique qui se présenterait aux électeurs de Wallonie en 2014. Je n'y ai jamais cru, car je pensais aussi que cela n'était pas opportun. Mais aujourd'hui - sauf révolte crédible contre Di Rupo au sein du monde socialiste wallon qui pourrait se produire au lendemain d'élections communales d'octobre prochain - la création d'un tel parti me semble aujourd'hui nécessaire. Or les élections communales seront peut-être une catastrophe pour le PS. Une telle catastrophe devrait alors être transformée en voie de salut pour le Pays wallon par la création d'une alternative politique à ce parti qui, malgré toute son histoire, n'arrive toujours pas à assumer le destin wallon. Qui au contraire est en train d'agir contre la Wallonie comme jamais il n'a osé le faire jusqu'ici.
(1) Les mutuelles chez nous jouent un rôle capital et citoyen dans la politique de la santé centralisant notamment tous les remboursements accordés aux malades en général.
(2) Et parmi elles les rattachistes du RWF (3,4), le FDF (2,1), peut-être le mouvement de gauche du député écolo dissident Bernard Wesphael (1,3), mais hélas aussi, l'extrême droite avec Wallonie d'abord (3,1).

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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