La vision Couillard

{{Un défi insurmontable}}

En nommant son premier conseil des ministres, le nouveau premier ministre précise surtout ce que sera la «vision» Couillard au gouvernement.
La dominante, tel qu’annoncée, sera bel et bien l’économie et l’emploi. Mais derrière elle, se profile une énième vague de compressions budgétaires sur fond d’une redéfinition du rôle de l’État qui s’annonce majeure.
La vraie question : quelle forme précise prendra cette nouvelle réingénierie de l’État au fil de premier mandat du gouvernement Couillard?
1- Austérité et redressement
«Le temps des décisions difficiles est venu», lançait Philippe Couillard à ses ministres, mais surtout, aux Québécois, qui lui ont donné un gouvernement fortement majoritaire. «L’heure n’est plus aux mesures cosmétiques ou marginales, disait-il, mais aux grands changements.»
Annonçant l’ère du «redressement» des finances publiques, le premier ministre insiste sur des «dépenses» trop élevées, un «fardeau fiscal» trop lourd, un «déficit» qui se creuse, une «croissance» au ralenti, une «dette» élevée et des problèmes «structurels». Un discours qui ne va d’ailleurs pas sans rappeler celui de François Legault.
Ce discours, les Québécois l’ont déjà entendu il y a de cela presque vingt ans lors de l’imposition du «déficit-zéro» par le premier ministre péquiste Lucien Bouchard. Un dogme repris par ses successeurs, un à un, bleus ou rouges. Un dogme toujours accompagné de la même belle promesse d’un redressement qui nous mènerait à la prospérité collective et individuelle.
Or, cette belle «promesse» ne fut jamais tenue. Seules les compressions dans les services publics ont été livrées alors que la comptabilité «créative» camouflait le reste… Cherchez l’erreur. D’autant que dans cette grande rhétorique du «sacrifice» commun, la réalité fut toujours la même. Soit qu’il y en a de plus «sacrifiés» que d’autres dans la société. Et ce sont habituellement la classe moyenne, les travailleurs à petits revenus et les «pauvres» – les «vrais», comme on dit.
Cette fois-ci, le nouveau premier ministre s’engage quant à lui à doubler les mesures d’austérité de «changements structurels» dans l’administration publique et de «mesures de croissance».
En attendant, pour le détail des «sacrifices», il faudra les décoder dans le discours inaugural du premier ministre et lors du premier budget du nouveau ministre des Finances, l’économiste de renom Carlos Leitao. Mais surtout, au moment des crédits ou, si vous préférez, du détail des compressions.
2- Un État «recentré»
Cette terminologie n’est pas seule à annoncer une redéfinition du rôle de l’État. On l’entend aussi lorsque M. Couillard parle de «recentrer» l’État sur ses «missions essentielles».
Au-delà de la «santé», de l’«éducation» et de l’«aide aux personnes vulnérables» identifiées par M. Couillard comme les missions essentielles de l’État – toutes les trois déjà en voie de privatisation croissante -, doit-on comprendre que toutes les autres subiront des compressions majeures? À suivre.
Dans son discours, le premier ministre n’a aucunement hésité à utiliser le mot «austérité» :
«L’expérience internationale indique que la simple austérité sans changements structurels et des mesures de croissance peut ralentir l’économie et aggraver la situation.»
Une référence à peine voilée aux gouvernements Bouchard et Marois, lesquels refusaient d’en user, mais la pratiquaient néanmoins.
Au-delà d’un retour en force du Plan Nord de Jean Charest et d’investissements majeurs dans les infrastructures – le Klondike des minières et de l’industrie de la construction -, une autre question de taille st soulevée: comment fera le gouvernement pour générer une activité économique suffisamment forte et diversifiée capable de «préserver le caractère plus équitable» de «notre société» – pour reprendre les mots du premier ministre?
Tout nouveau gouvernement a droit à la fameuse chance au coureur – et celui-là ne fait pas exception -, il reste cependant que même les grands organismes internationaux conseillent aux gouvernements occidentaux de ne pas verser dans l’austérité.
Un autre indice fort de la vision du nouveau premier ministre s’entendait dans son discours. Il annonce déjà qu’une fois l’équilibre budgétaire atteint, les «surplus» seraient alloués «de manière égale à la réduction de la dette et à l’allègement du fardeau fiscal des Québécois.» Doit-on comprendre ici que les surplus, s’ils viennent un jour, n’iraient pas, même en partie, aux services publics?
3- Dépenser moins
Résumant sa pensée, selon M. Couillard : «En bref, nous dépensons PLUS que nos moyens ne nous le permettent depuis longtemps.»
Et si le vrai problème n’était pas plutôt que nos gouvernements dépensent MAL, et depuis longtemps?
Les exemples en sont tellement nombreux qu’on se limitera à ne mentionner que les milliards de dollars en argent public qui, cumulés sur plusieurs années, ont été détournés pour cause de corruption, collusion, fraude, patronage, etc.. Ce grand vol des Québécois les aura privés de services publics de meilleure qualité.
Disons-le crûment – le Québec est mal gouverné et mal géré. Philippe Couillard réussira-t-il à changer la donne?
À sa décharge, M. Couillard annonce une révision permanente des programmes. Ce que son nouveau président du Conseil du Trésor appelle en termes adoucis un «exercice de révision stratégique des programmes». Autre question: de quelle nature sera cette révision? Sera-t-elle essentiellement quantitative et comptable? Ou sera-t-elle plus qualitative, soit basée sur une évaluation objective des besoins de la population en services directs, de même que sur une débureaucratisation plus que nécessaire?
4- Un fédéralisme décomplexé
Un autre pan majeur de la vision du nouveau premier ministre est son fédéralisme décomplexé.
En nommant Jean-Marc Fournier aux Affaires intergouvernementales canadiennes – son grand conseiller de la campagne -, M. Couillard lui demande de mettre en œuvre une «diplomatie intérieure constructive» et de forger des «alliances avec nos partenaires».
Traduction : sans surprise, tout restera calme sur le front Québec-Canada pendant qu’on cherchera à promouvoir plus activement l’appartenance du Québec au Canada.
Bref, le gouvernement Couillard assumera pleinement sa vision fédéraliste du nationalisme québécois. Contrairement au PQ depuis le dernier référendum, il profitera pleinement des leviers du pouvoir pour faire avancer les convictions sur lesquelles, après tout, son gouvernement a été élu.
5- La fin de l’«épisode» charte des valeurs
Le tout nouveau nom du ministère de l’Immigration – ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion -, témoigne moins d’une ouverture au multiculturalisme à la sauce trudeauiste que d’un message fort visant à mettre fin, une fois pour toutes, à l’«épisode» polarisant de la charte des valeurs. Il parle aussi clairement à sa base électorale.
Ce changement signifiant reflète aussi une vision de l’immigration qui s’inscrit en faux par rapport à celle véhiculée par la charte des valeurs du gouvernement Marois.
6 – La «paix» linguistique
En donnant à la ministre de la Culture et des Communications la responsabilité de la «protection» et de la «promotion» de la langue française, le premier ministre ne lui donné aucune mission spécifique. Un autre rappel du gouvernement Bouchard qui, lui, avait accouché du concept alambiqué d’«équilibre linguistique» pour justifier sa propre inaction.
7 – L’énigme en Éducation
L’ex-ministre de la Santé, Yves Bolduc, hérite d’un gros prix de consolation en échange d’avoir laissé passer la Santé à Gaétan Barrette : le ministère de l’Éducation.
Mais la greffe, étonnante, prendra-t-elle? Ce sera à suivre. Quant à l’Enseignement supérieur, le premier ministre le fusionne malheureusement à nouveau à l’Éducation. Une des rares bonnes initiatives du gouvernement Marois avait pourtant été de les scinder dans la foulée du printemps étudiant.
8 – L’énigme à la Santé
Gatéan Barrette, on le savait bien, prend le contrôle du méga ministère de la Santé et des Services sociaux. Personnage controversé et ex-président de la très influente Fédération des médecins spécialistes, l’impression est que ses actions et ses décisions seront à l’avenant. Ou il étonnera en améliorant l’accès au système de santé public. Ou il échouera, comme ses prédécesseurs. Idem pour les augmentations substantielles accordées aux médecins spécialistes et négociées par M. Barrette lui-même. Réussira-t-il à alléger le trésor public en les étalant tout au moins?
9 – Une vice-première ministre qui prendra sa place
Une grande déception est la place des femmes au gouvernement – seulement huit femmes sur 26 ministres. Elles sont également rares à diriger des ministères majeurs. Le produit, entre autres, d’un nombre d’élues également inférieur aux années récentes.
Contrairement à l’ère Charest, Philippe Couillard s’est néanmoins donné une vice-première ministre forte, Lise Thériault, laquelle a de bien meilleures chances d’exercer un pouvoir réel au gouvernement que les Nathalie Normandeau ou Line Beauchamp. Lise Thériault devient également la première femme ministre de la Sécurité publique.
Nommée à la Justice, Stéphanie Vallée hérite quant à elle du mandat politiquement délicat de proposer une «législation sur la neutralité religieuse de l’État, l’encadrement des accommodements raisonnables et la lutte contre l’intégrisme». Le tout, très précisément, «sur la base des travaux du comité présidé par le député de Fabre, Gilles Ouimet.» Traduction : la ministre reçoit la commande de ficeler l’opération rapidement en début de premier mandat.
Au Développement durable et de l’Environnement, le premier ministre ajoute la Lutte aux changements climatiques. Heureuse initiative. Pour le nouveau ministre David Heurtel, cela lui offrira l’opportunité de s’occuper un peu plus d’environnement que son prédécesseur – lequel aura été de la plus parfaite inutilité.
C’est dans la filière pétrolière et gazière que la vraie vision Couillard se révélera. Sa proximité avec une industrie controversée sera-t-elle aussi grande que celle du gouvernement précédent?
10- Montréal existera…
La nomination de Pierre Moreau aux Affaires municipales annonce une reconnaissance politique plus marquée des besoins spécifiques de la métropole du Québec. Et elle en a grandement besoin.
Le maire de Montréal, Denis Coderre, vient de trouver un interlocuteur nettement plus ouvert à la réalité montréalaise que ses prédécesseurs.
***
L’ère post-Charest
Le principal défi de Philippe Couillard est de se démarquer, concrètement de l’ère Charest et des nombreux soupçons qui l’entourent encore. Le PLQ est d’ailleurs toujours sous enquête de l’UPAC pour son financement politique sous Jean Charest. Une belle épée de Damoclès dont la chute risque toutefois d’être adoucie par un long mandat stable de quatre ans et demi. Tout comme elle pourrait l’être aussi par une application diligente des recommandations futures de la commission Charbonneau.
S’il a suffisamment renouvelé la brochette libérale de ministres avec quatorze nouvelles recrues sur vingt-six - même Pierre Paradis termine à l’Agriculture son long purgatoire sous Jean Charest -, c’est à la gouverne réelle du premier ministre que la réponse viendra à la question: l’ère Couillard sera-t-elle clairement différente de l’ère Charest? Et si oui, cette distinction sera-t-elle nettement à l’avantage du Québec et des Québécois?
En lançant son premier gouvernement sur la piste inquiétante de l’austérité, Philippe Couillard est néanmoins persuadé que son «redressement» de l’État finira par le renforcer et non pas par l’affaiblir. Bref, qu’à force de saigner le patient, il finira bien un jour par guérir.
Or, les gouvernements qui ont opté pour l’austérité ont atteint le but contraire. Ils ont affaibli l’activité économique et les services publics, de même qu’élargi les écarts de revenus entre les mieux et les moins nantis. Certains ont même provoqué des crises sociales majeures.
Le pari du nouveau premier ministre est qu’il évitera tous ces scénarios aux Québécois. Vaste programme.
S’il a vraiment trouvé la recette de la potion magique de la conciliation de l’austérité, du développement économique et de l’équité sociale, il serait bien le premier à le faire en Occident. Les Québécois n’ont maintenant d’autre choix que de l’espérer très, très fort.
Si elle réussit – et les Québécois se le souhaitent ardemment -, la «vision» Couillard mériterait alors un Prix Nobel qui reste à inventer - celui de la quadrature du cercle.


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