ZONES DE GUERRE

La victoire de la désinformation?

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Pas de quoi se réjouir

Avec la prolifération des conflits impliquant bandes armées et groupes terroristes, le métier de journaliste en zone de guerre est devenu plus risqué, comme l’a rappelé la décapitation de James Foley et de Steven Sotloff par le groupe État islamique. Partant de ce constat, Alain Saulnier, ancien directeur de l’information à Radio-Canada et membre du CERIUM, observe que de grands médias désertent certaines zones, laissant ainsi le champ libre à la désinformation.

Comment les grands médias, qui traversent une crise financière, s’adaptent-ils à des conflits qui rendent le travail journalistique de plus en plus risqué ?

D’abord, ce ne sont pas tous les médias qui favorisent l’information internationale. Par exemple à cet égard, c’est au Québec que nos médias proposent le moins d’information internationale en comparaison avec les médias canadiens. Aux États-Unis, les médias qui offrent des reportages en zone de guerre ne sont pas très nombreux, à l’exception des grands médias.

Par ailleurs, une nouvelle donne s’applique à certains conflits. En Syrie — c’est un cas extrême —, il n’y a à l’heure actuelle aucune région dans ce pays où les journalistes sont à l’abri des prises d’otage et des assassinats que nous y avons connus. C’est ce qui a amené l’Agence France-Presse à décider de se retirer totalement, et même à ne plus rien acheter aux journalistes indépendants.

Les journalistes indépendants sont nombreux dans ces conflits. Y recourir est-il acceptable et viable ?

Le problème, c’est que les médias et les agences de presse abusent d’eux depuis longtemps dans la plupart des zones de guerre. Après la décision de l’AFP, il faudra voir comment réagiront les grands médias, mais à vrai dire, la situation actuelle risque d’encourager le recours à ces pigistes, ce qui pose un problème moral : acheter des « piges » dans des conflits comportant de tels risques à des prix bien souvent dérisoires, c’est plutôt indécent.

La différence de conditions dans lesquelles travaillent les journalistes des grands médias et les indépendants est tout simplement énorme. Les premiers ont suivi des entraînements particuliers pour entrer dans les zones de conflits. Par exemple, la firme AKE a formé les journalistes de Radio-Canada. Sur place, ils peuvent être accompagnés de gardes armés. C’est le cas des grands médias comme la BBC, par exemple. Ces journalistes ont aussi un soutien sur place pour compléter les informations sur le terrain, éviter la désinformation, connaître les régions qui passent sous le contrôle de nouveaux belligérants. Ils ont des assurances qui les protègent, eux et leurs familles.

Les journalistes indépendants, eux, n’ont rien de tel. Ils y vont à leur risque et péril. C’est malheureusement vu, bien souvent, comme une façon de se faire un nom. Mais le jeu en vaut-il la chandelle dans des situations comme la Syrie ?

On connaît l’expression « la première victime de la guerre, c’est la vérité », de Rudyard Kipling. Les consommateurs d’information semblent être plus d’accord que jamais avec cette maxime, car ils accordent de moins en moins leur confiance aux journalistes. Cette situation rend-elle le reportage en zone de guerre encore plus difficile ?

La guerre, c’est l’affrontement armé. Mais c’est aussi l’affrontement des mots, la propagande, entre des camps adverses, chacun cherchant à influencer l’opinion publique sur la justesse de sa lutte, de son combat. Dans les conditions actuelles, comment couvrir une zone de guerre aussi dangereuse que la Syrie ? Difficile de répondre à cette question.

Mais ne pas couvrir, est-ce souhaitable ? La vérité dont parle Kipling, c’est que pour un certain temps, dans les régions comme la Syrie, la désinformation l’emportera. Les photos, vidéos et reportages provenant de ces zones seront de plus en plus difficiles à valider — elles viendront des belligérants et des partisans d’un camp ou de l’autre. Les réseaux sociaux les relaieront, souvent sans filtre. Il est certain que dans ces circonstances, le public recevra ces informations avec plus de scepticisme que jamais. On pourra alors dire que la terreur et la désinformation ont gagné la première bataille. Mais à plus long terme, il faudra bien témoigner de la vérité.


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