Le déclin de la classe moyenne

La croissance n’est le fait que d’une petite minorité au sommet de l’échelle socioéconomique

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Il ne s'agit plus d'un déclin, mais bien d'une décimation

L’économie américaine se remet de la crise économique de 2008. La croissance dépasse en moyenne les 2 % par année depuis 2010 et le chômage recule. Mais ces chiffres globaux masquent la dure réalité que vit la majorité des Américains : les revenus de la classe moyenne ont stagné et même déclinent depuis peu. La situation est pire chez les pauvres. La croissance n’est donc le fait que d’une petite minorité située au sommet de l’échelle socioéconomique, dont les revenus explosent, creusant ainsi plus que jamais les inégalités.

Le creusement des inégalités n’est pas chose nouvelle aux États-Unis. Selon les chiffres de la Réserve fédérale américaine, entre 1992 et 2007, une période généralement marquée par une solide croissance économique, la moyenne de l’ensemble des revenus augmentait de 8 % tous les trois ans, tandis que le revenu médian — soit le 50e percentile de la population, signifiant que la moitié des salariés au pays gagnent moins et l’autre moitié, plus — augmentait de 4,2 %.

En clair, les plus riches devenaient de plus en plus riches tandis que la classe moyenne, qui encaisse les revenus médians, s’enrichissait moins rapidement. Mais au moins, elle s’enrichissait. Ce n’est plus le cas, héritage de la crise économique.

« De façon assez contre-intuitive, les inégalités ont chuté pendant la crise économique, entre 2007 et 2010, tout simplement parce que les revenus au sommet de l’échelle ont chuté comme tous les autres, explique en entrevue Janet Gornick, directrice du Luxemburg Income Study Center (LIS), rattaché à la City University of New York. Mais après 2010, pendant la reprise, les revenus au sommet ont embarqué très rapidement sur la pente ascendante, tandis que ceux qui sont à la base restent coincés. »

De mal en pis

Selon les chiffres compilés par le LIS, une fois les impôts et les taxes payés et les transferts fiscaux encaissés, le revenu médian par habitant était de 18 700 $ par année en 2010, en hausse de 20 % depuis 1980 en tenant compte de l’inflation. Mais, par rapport à 2000, ce chiffre n’a pas bougé d’un iota. Et depuis 2010, la situation s’envenime.

Dans sa plus récente enquête triennale sur la situation financière des consommateurs — l’une des plus approfondies sur les finances des ménages —, la Réserve fédérale américaine constate que le revenu médian a chuté de pas moins de 5 % entre 2010 et 2013. « Seulement les familles situées au sommet de l’échelle des salaires ont eu des gains significatifs entre 2010 et 2013 », note la Banque centrale américaine.

Plus exactement, ceux qui ont des revenus situés dans les 10 percentiles les plus élevés ont connu une hausse de 10 % durant cette période. Ceux qui se trouvent entre les 40e et 90e percentiles ont vu leurs revenus stagner, tandis que chez les plus pauvres, sous la barre du 40e percentile, les revenus ont « fortement » chuté.

Selon Janet Gornick, ce phénomène s’explique notamment par le fait que le marché des capitaux est retombé sur ses pattes, mais pas celui de l’emploi. La Banque centrale américaine relève pourtant que le chômage a reculé de 10 % en 2009, au pire de la crise, à 5,9 % en septembre dernier.

Mais ce n’est pas tant le niveau d’emploi qui est en cause que les types d’emploi et les salaires qui les accompagnent. Tirant ses chiffres de la Réserve fédérale, le think tank de centre gauche Center for American Progress relevait en septembre, dans son étude intitulée The Middle-Class Squeeze,que « bien que 9,7 millions d’emplois aient été créés dans le secteur privé depuis 2010, plusieurs d’entre eux se situent dans des échelons salariaux inférieurs à ce qu’ils étaient lorsque ces emplois ont été perdus pendant la crise ».

Plus exactement, les emplois à salaires moyens ne représentent que 25 % de la reprise, tandis que les gagne-pain à bas salaires, dans la restauration et le commerce de détail par exemple, en représentent 44 %.

Le coût de la vie en hausse

Il n’y a pas que dans la colonne des revenus que la classe moyenne pâtit. La colonne des dépenses lui fait mal également. L’indice des prix à la consommation pour plusieurs biens et services qui sont des piliers de la classe moyenne a crû à un rythme bien supérieur à celui de l’inflation.

Selon les chiffres du Center for American Progress mesurés après inflation, la hausse moyenne des prix entre 2000 et 2012 a été de 7 % pour les loyers, de 21 % pour les soins de santé, de 24 % pour les services de garderie, et elle atteint 62 % pour l’éducation supérieure.

En somme, le centre de recherche estime que, sur une base annuelle, une famille de deux adultes et deux enfants payait un peu plus de 10 000 $US de plus en 2012 qu’en 2000, toujours après inflation.

« C’est sans compter la montée des prix des denrées alimentaires, de l’essence et des coûts du transport en général au cours des dernières années, ce qui n’est pas négligeable, surtout dans un contexte de revenus stagnants », rappelle en entrevue Jennifer Erickson, coauteure de l’étude du Center for American Progress.

Problème politique

Le président Barack Obama reconnaît le problème d’une reprise économique affranchie de la classe moyenne. « Il est indéniable que notre économie est plus forte aujourd’hui que lorsque je suis entré en fonction, a-t-il déclaré à l’Université Northwestern le 2 octobre dernier. Par contre, il est aussi indéniable que des millions d’Américains ne ressentent pas encore les bénéfices d’une économie croissante là où ça compte le plus : dans leur vie. »

Difficile de faire fi du problème. D’un sondage à l’autre, la plupart des Américains disent voir le rêve américain plus que jamais hors de portée. Un coup de sonde du Washington Post et du Miller Center (Université de Virginie) révèle que seulement 39 % des Américains estiment que leurs enfants jouiront d’une meilleure situation qu’eux.

Près de 60 % disent craindre de ne pas pouvoir payer leurs factures et 40 % de ceux qui se situent dans la classe moyenne disent se sentir moins en sécurité sur le plan financier qu’il y a quelques années.


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