On a qualifié ce qui s’est passé ce 2 mai de vague, de tsunami, de déblocage. En fait, le principal déblocage ne s’est pas produit au Québec. C’est celui au niveau du parlement canadien où un gouvernement Harper majoritaire, élu au Canada par la division du vote créée par le NPD, pourra désormais imposer sans entrave son agenda que rejette le Québec. Quant au Québec, il sera encore absent de ce gouvernement, et dans ce parlement déjà bafoué par le régime Harper, il sera privé d’une voix québécoise libre, sans compromis, remplacée par une opposition néo-démocrate divisée, même au Québec, entre fédéralistes centralisateurs et nationalistes ou souverainistes québécois modérés.
Au Québec, le parti conservateur et le parti libéral sont tombés au rang de tiers partis, sous la barre des 20%, contre 23% pour le Bloc et 43% pour le NPD. La « vague orange » est un donc un vote d’opposition aux deux grands partis qui se sont partagé le pouvoir depuis les débuts de la « confédération », un vote d’opposition dans la même ligne de pensée initiée par le Bloc québécois. En effet, le Québec ne peut être que dans l’opposition à Ottawa. Les députés du Québec dans les partis fédéralistes ne joueront plus à la défensive comme le Bloc l’a fait depuis 20 ans. Ils seront tout simplement hors d’ordre, leur opinion étant noyée, contrée, filtrée par la majorité de leurs collègues et la direction de leur parti.
Cherchons les causes possibles de ce vote NPD massif au Québec. Ce n’est pas un rejet de la souveraineté qui fait toujours 40% et plus dans les sondages. Ce n’est pas un rejet du Bloc et de son chef dont tous reconnaissent la probité, l’engagement et la compétence. Ce ne peut être la connaissance du programme du NPD et de ses candidats dont on ignore presque tout, ni un vote stratégique puisque ce parti ne pouvait espérer former le prochain gouvernement. Qu’est-ce qui explique cette « vague orange » ?
Victime de l’attentisme
Le Bloc est victime de l’attente des « conditions gagnantes » qui a caractérisé le camp souverainiste depuis le match nul référendaire de 1995. Pendant les 15 dernières années, nous avons eu au Québec des élections de « bon gouvernement » où le Parti québécois se présentait comme une simple solution de rechange au gouvernement provincial en place. De façon similaire à Ottawa, le Bloc faisait des élections de « bonne opposition » pour y défendre les intérêts du Québec. L’effet pervers de ces campagnes électorales a été de situer le débat sur un autre plan que celui du changement de statut politique et de l’avenir national du Québec. Le terrain a été celui de questions importantes certes, mais accessoires par rapport à notre avenir national: qui fera le meilleur premier ministre? Quels sont les engagements électoraux les plus intéressants? Qui pourra le mieux défendre les intérêts du Québec dans le cadre du régime canadien actuel?
De telles campagnes électorales ont permis au mieux une critique négative du fonctionnement du fédéralisme canadien, de sorte que les souverainistes ont créé une image non méritée d’éternels plaignants, sans nécessairement faire avancer leur option. Pour cesser de faire du surplace, pourquoi pas alors une nouvelle forme d’opposition positive, mais tout aussi opposée à l’agenda conservateur? Une autre bonne opposition? D’autant plus que dans le régime actuel où le gouvernement central empiète sur les compétences des provinces, peu d’engagements électoraux peuvent se réaliser sans une participation financière du gouvernement d’Ottawa (avec notre propre argent bien sûr). Cette acceptation implicite de la dépendance et du quémandage est dévalorisante et pernicieuse, mais elle a joué un rôle dans le changement d’allégeance du 2 mai.
Faire campagne pour l’indépendance
Mais il y a encore plus grave. Les périodes électorales sont les moments où la discussion politique est la plus intense, ceux où les citoyens sont à l’écoute. Pendant que les souverainistes expliquent que l’on doit faire « une chose à la fois » et attendre le référendum, rien n’empêche les adversaires de dire tout le mal qu’ils pensent de la souveraineté et d’accuser les souverainistes de cacher une option qui ne serait pas défendable. Dans cette élection, le Bloc s’est affiché pour ce qu’il est, un parti souverainiste, mais il n’a pas fait campagne pour son option, en présentant l’option indépendantiste pour ce qu’elle est : une démarche positive, la seule façon de mettre fin au blocage constitutionnel et à la dépendance du Québec, la seule façon de renforcer le français au Québec français, de réaliser des projets d’indépendance énergétiques et de lutte à la pauvreté, de participer directement à une autre mondialisation.
Maintenant que les dés ont été jetés, il faut revoir le cadre stratégique au sein du Parti québécois, du Bloc et des autres partis souverainistes. Il faut surtout construire un mouvement citoyen fort, capable de mener une campagne permanente et déterminée pour l’indépendance, avant, pendant et après les élections. L’indépendance est d’abord l’affaire du peuple. Il faut accélérer notre progression vers un moment majoritaire en se dégageant des luttes partisanes toujours aléatoires auxquelles aucun parti politique ne peut échapper. Il y a un côté positif à cette élection. Un mouvement populaire est possible au Québec, un mouvement populaire qui dépassera le stade de l’opposition et des voies sans issues.
Cap sur l’indépendance!
La vague: un effet de bord de l'attentisme
Chronique de Gilbert Paquette
Gilbert Paquette68 articles
Ex-ministre du Parti Québécois
_ Président des Intellectuels pour la souveraineté (IPSO)
Gilbert Paquette est un chercheur au Centre interuniversitaire de recherche sur le téléapprentissage (CIRTA-LICEF), qu’il a fondé en 1992. Élu député de Rosemont à l’...
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Ex-ministre du Parti Québécois
_ Président des Intellectuels pour la souveraineté (IPSO)
Gilbert Paquette est un chercheur au Centre interuniversitaire de recherche sur le téléapprentissage (CIRTA-LICEF), qu’il a fondé en 1992. Élu député de Rosemont à l’Assemblée nationale du Québec le 15 novembre 1976, réélu en 1981, Gilbert Paquette a occupé les fonctions de ministre de la Science et de la Technologie du Québec dans le gouvernement de René Lévesque. Il démissionne de son poste en compagnie de six autres ministres, le 26 novembre 1984, pour protester contre la stratégie du « beau risque » proposée par le premier ministre. Il quitte le caucus péquiste et complète son mandat comme député indépendant. Le 18 août 2005, Gilbert Paquette se porte candidat à la direction du Parti québécois. Il abandonne la course le 10 novembre, quelques jours à peine avant le vote et demande à ses partisans d’appuyer Pauline Marois. Il est actuellement président du Conseil d’administration des intellectuels pour la souveraineté (IPSO).
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5 commentaires
Archives de Vigile Répondre
11 mai 2011Je m'inscrit complètement dans votre interprétation des résultats du 2 mai. Le Bloc était véritablement otage de la stratégie attentiste du PQ, et avec aucun mouvement à l'horizon plusieurs ont cherché un déblocage du statu quo ailleurs...
Le NPD ne pourra livrer sur ses bonnes intentions de réforme, et cela pour plusieurs raisons: compréhension partielle des enjeux québécois et tentation de les "négocier à la baisse" de la part de l'état-major du NPD; non volonté ou incapacité de réouvrir la boîte de pandore constitutionnelle. Cela sera d'autant plus vrai que le parti conservateur aura beau jeu de condamner toutes tentatives des "socialistes" de faire le jeu des "séparatistes" (Harper doit être littéralement mort de rire).
L'électro-choc doit en être un pour la stratégie du PQ face aux prochaines élections. Jusqu'à maintenant la chef et l'état major semble encore dormir au gaz et ne pas prendre acte de la nouvelle donne. Le plan Marois est caduc. Il faudra donc forcer les choses au niveau du discours public.
Archives de Vigile Répondre
8 mai 2011M. Bergeron,
C'est exactement de que nous sommes en train de faire. Vous avez raison. Oui nous sommes responsables, tournés vers l'interne. Nous parlons entre nous, entre convertis. Nous nous critiquons les uns les autres au lieu d'agir.
Sortir, parler, convaincre. Nous avons besoin de regrouper les forces indépendantistes non partisanes. Quant au bloc, j'ai eu la même idée en lisant les propos de Bernard Bigras hier. Le Bloc doit devenir un mouvement. La présentation de candidats aux élections du Canada, tant qu'il y en aura au Québec, est secondaire. L'important est de développer un mouvement citoyen pour l'indépendance.
Jacques Bergeron Répondre
7 mai 2011Et si nous étions les responsables de ce résultat catastrophique de la dernière élection canadian? Que faisions-nous pour promouvoir l'indépendance dans, ou en dehors, des partis politiques depuis l'arrivée du Bloc Québécois et plus tôt? À plusieurs occasions nous avons proposé de mettre sur pied, en dehors des partis politiques,(voir articles sous Jacques Bergeron,archives de Vigile et dans l'Action indépendantiste du Québec) avec l'aide des sociétés nationales et différents organismes, une consultation de nos concitoyennes et de nos concitoyens sur le genre de pays dans lequel ils et elles souhaitent vivre? Pendant ce temps,plusieurs Québécois-e-s harcelaient nos gouvernements sur le mode de scrutin, et surtout sur un mode «proportionnel» qui leur permettrait d'entrer à l'assemblée nationale par al porte arrière.Aujourd'hui, alors que nous sommes devant le présent cauchemar, il est encore temps de réagir en mettant sur pied cette consultation que nous souhaitions, et que nous souhaitons toujours,avec l'aide de nos sociétés et des structures du Bloc Québécois qui n'a d'autres intérêts que la protection des intérêts du Québec en attendant que le jour de la libération arrive, avant celui de l'Écosse, du moins nous l'espérons et le souhaitons.
Jean-Claude Pomerleau Répondre
3 mai 2011Le message que je reçois, c'est que la politique n'est pas réductible au seul parti politique. L'erreur aura été d'avoir cru qu'il suffisait de donner en sous traitance aux parti politique le mandat de nous livrer un État souverain pour qu'il advienne.
L'électrochoc salutaire de cette élection nous démontre que si on veut obtenir notre souveraineté, notre projet devra être porter par l'ensemble des citoyens qui en feront une véritable question existentiel, ce qu'elle est.
JCPomerleau
Nic Payne Répondre
3 mai 2011Bonjour !
S'il m'est arrivé de vous talonner à propos de votre démarche extra-partisane qui, me semblait-il, faisait l'économie d'une prise de parole claire sur les positions du PQ, je m'empresse de noter, aujourd'hui, que vous abordez cette question de front.
Vous dites : " Pendant que les souverainistes expliquent que l’on doit faire « une chose à la fois » et attendre le référendum, rien n’empêche les adversaires de dire tout le mal qu’ils pensent de la souveraineté et d’accuser les souverainistes de cacher une option qui ne serait pas défendable ". Là-dessus, nous ne saurions être plus en accord.
Salutations,
N.P.