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La tour et la honte

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Après Mirabel, un autre éléphant blanc du fédéralisme des années Trudeau

Tout ça pour ça ! Plus de 40 ans après son inauguration, la Maison de Radio-Canada, dans l’est de Montréal, pourrait perdre son principal propriétaire qui envisage, a-t-on appris la semaine dernière, de déménager ses activités de diffusion et de production médiatique ailleurs dans la métropole. Une décision qui, si elle se concrétise, va poursuivre l’écriture d’un échec d’urbanisme gênant nourri un demi-siècle plus tôt par de la petite politique, des mauvaises décisions guidées par le goût mesquin de nuire à l’autre plutôt que l’urgence de bien construire pour tous, et ce, au mépris d’une population locale sacrifiée. Un passé pas très glorieux qu’il n’est jamais mauvais de revisiter, comme pour éviter de laisser son triste esprit se réapproprier le présent.

C’est un peu pour les 5000 expropriés du Faubourg à m’lasse, territoire du quartier Sainte-Marie, sur lequel la tour a été érigée en 1973, qu’il faut le faire. Pour Mme Kwolton, qui a perdu en 1963 sa maison et surtout son vaste jardin plein d’arbres après 71 ans de vie dans ce quartier qu’on appelait aussi le Faubourg Québec. Elle s’en désolait, avec ce mélange de timidité et d’abnégation qu’affichent parfois les « petites gens » ne pouvant qu’envisager de plier sans résistance face aux décisions venant de plus haut qu’eux. C’était au micro du journaliste de Radio-Canada Jean Ducharme dans les années 60. Pour Yvon Labbé et André Lajoie, de l’Épicerie Côté, aussi, forcés la même année d’aller se retricoter un tissu social ailleurs. Avec plusieurs décennies de recul : pour pas grand-chose.

Ruiner pour bâtir

C’est qu’à l’époque, la localisation de Radio-Canada à cet endroit n’a, malgré les apparences, rien à voir avec du développement urbain. Elle s’inscrit surtout dans ces intrigues politiques sans grandes envergures dont le milieu du siècle dernier n’a pas été avare avec, d’un côté, Jean Drapeau, maire de Montréal, qui rêve de créer sa Cité des ondes à Montréal en installant les nouveaux bureaux de Radio-Canada à la place des taudis du Red Light de Montréal, entre Sanguinet et Saint-Dominique, Sainte-Catherine et Ontario, sur l’emplacement actuel des Habitations Jeanne-Mance.

De l’autre, Maurice Duplessis, qui a l’élu local dans le nez, va profiter de l’arrivée de Sarto Fournier en 1957, un autre « monsieur mou », à la tête de Montréal pour pourrir l’existence de Drapeau, miner son projet progressiste de Cité, et ce, dans le désintérêt de tous. C’est la politique des ego, de l’intimidation, du combat de coqs et de celui qui pisse le plus loin, avec ses conséquences délétères en héritage.

L’adoption en 1956 du plan du ministre des Finances de l’Union nationale, Paul Dozois, sur l’éradication des taudis à Montréal scelle le destin du terrain de la Cité des ondes, un an plus tard, en laissant un complexe d’habitations sociales s’emparer du terrain du centre-ville que Drapeau lui destinait. Effet domino : plus à l’est, des résidences populaires de 678 familles du Faubourd Québec sont condamnées à la destruction pour faire place aux étages et au basilaire franchement brutalistes de la Maison de Radio-Canada, mais aussi à deux vastes terrains de stationnement où la tôle sur quatre roues a fait disparaître méthodiquement en 40 ans toute forme de vie dans un secteur de la ville qui n’en manquait pourtant pas.

Dégâts durables

Tout cela relevait de considérations un peu trop personnelles. Et le bien commun doit encore aujourd’hui en assumer les dégâts : les habitations Jeanne-Mance ont bloqué définitivement le développement naturel du centre-ville vers l’est — ce que la Cité des ondes n’aurait pas fait, en théorie —, donnant au Montréal de l’est de Saint-Denis, à ce niveau, ce caractère fragile, incertain, oublié, pas très inspirant, qu’on lui connaît encore aujourd’hui.

Sur le Faubourg à m’lasse, à la place des 262 immeubles rasés, la tour n’a, elle, jamais réussi à offrir un environnement de vie ou de travail à la hauteur d’une Cité, de devenir le point de départ d’un quartier neuf. Trop aseptisée au béton, forçant les humains qui la fréquentent à alimenter les déplacements en voiture, au milieu d’un nulle part qu’elle a contribué à faire apparaître, elle incarne surtout aujourd’hui ce grand vide urbain qui apparaît dans une ville, là où on laisse les élus faire n’importe quoi, là où leurs règlements de comptes se substituent tragiquement à la vision.
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