Oeil pour oeil, dent pour dent. Aux croyants blessés par les regards d’athées un peu trop caustiques posés sur le pan radical de leur religion, Charb, polémiste-caricaturiste-journaliste français, tombé sous les balles de deux fous de Dieu dans le sordide attentat perpétré en janvier dernier dans les locaux de Charlie Hebdo, dit : vengez-vous ! Vengez-vous… en servant aux athées de son espèce le même genre de médecine.
« Faites des journaux, des blogs, des spectacles, des marionnettes, pour vous moquer de cette absurdité que représente pour vous la vie sans Dieu […]! Caricaturez l’absence de Dieu, faites-lui un gros nez, un petit nez, des yeux de fou, des cheveux hirsutes… », écrit-il dans Lettre aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes (Les Échappés), livre-testament-malgré-lui du trublion.
L’écriture de cet opuscule a été achevée le 5 janvier dernier, deux jours à peine avant que Charb, directeur de la publication à Charlie Hebdo ne perde la vie dans l’absurde des événements sus-mentionnés. Les dessinateurs Cabu, Wolinski, Tignous, Honoré, et l’économiste-chroniqueur Bernard Maris — entre autres — l’ont accompagné dans ce mauvais scénario. En 90 pages, l’indécrottable défenseur de l’égalité des droits dresse une autopsie cinglante et lucide du concept d’« islamophobie », dérive sémantique, selon lui, qui permet désormais à des groupes aux intérêts variés (religieux, politiciens, journalistes, terroristes) d’en justifier d’autres, y compris, sans doute, celle qui lui a coûté la vie.
Danger de glissement
L’homme a la plume bien vivante. Il s’en sert d’ailleurs pour dénoncer le glissement de sens qui, dans les dernières années, après la libération de la parole raciste dans la société française par un certain Sarkozy et son débat sur l’identité nationale, rappelle le défunt, a fait sournoisement disparaître l’idée de racisme pour le remplacer par l’islamophobie. La peur de l’autre, de la différence, de l’étranger dans sa diversité, remplacée par une peur ancrée dans la religion. Réducteur et dangereux à la fois, estime-t-il.
« En ne considérant plus que l’islamophobie chez le raciste, écrit Charb, on minimise le danger raciste. Le militant antiraciste d’hier est en train de se transformer en boutiquier hyperspécialisé dans une forme minoritaire de discrimination. Lutter contre le racisme, c’est lutter contre tous les racismes, lutter contre l’islamophobie, c’est lutter contre quoi ? »
Le changement de cadre sert forcément quelques intérêts, selon lui. Celui des politiciens populistes, qui trouvent dans cette mise en islam du racisme une manière habile de minimiser leur intolérance, tout en profitant d’un bouc émissaire facile à identifier par le troupeau d’électeurs qu’ils cherchent à unifier derrière eux. Et puis laisser flotter dans l’air du temps l’idée d’une discrimination religieuse devient pratique pour cesser d’aborder la question de la discrimination sociale, ajoute l’auteur.
Le respect
L’islamophobie fait le jeu des radicaux, y compris des musulmans radicaux, qui par ce prisme, et la notion de blasphème qu’elle a fait naître, peuvent ainsi mieux exister. « Les musulmans les plus radicaux compensent leur infériorité numérique par un activisme militant intense », écrit Charb en posant la question qui tue : « Pourquoi les croyants font-ils appel à la justice des hommes pour nous punir, alors que la justice divine le fera, et bien plus sévèrement que n’importe quel juge ? Qui est donc ce Dieu qu’on prétend tout-puissant qui aurait besoin d’avocats pour nous attaquer en justice ? »
En cédant à une extrême minorité « qui ne représente qu’elle-même », on finit par « reconnaître son autorité », estime Charb, qui n’hésite pas à montrer du doigt les journalistes et médias comme vecteur d’une réduction dont ils tirent eux aussi profit. « Tout scandale qui contient le mot “islam” dans son intitulé est vendeur », même si, bien souvent, l’islam dépeint dans les médias n’est que caricature, écrit l’homme qui connaît bien la matière. Cela relève de la paresse intellectuelle, de la quête de la facilité, de la complicité, qui n’est pas sans conséquence, expose-t-il.
Son absence forcée au lancement de ce livre en témoigne, donnant du coup à cet exercice éditorial un fini qu’il n’a jamais eu. Plus qu’un testament, le livre est surtout un appel au respect de l’autre, à l’égalité sans compromis et une dénonciation en règle des menaces du communautarisme quand il se met à rimer avec obscurantisme. « On nous demande de respecter l’islam, mais ce n’est pas respecter l’islam que d’en avoir peur », écrit-il.
Lao Tseu disait : au lieu de maudire l’obscurité, mieux vaut allumer une chandelle. Sans le savoir, c’est finalement ce qu’a fait Charb, avant qu’on le force à refermer la porte.
L’appel d’outre-tombe
Dans un livre-testament malgré lui, Charb dénonce l’hypocrisie au nom de la tolérance
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