Le [politologue Henry Milner, qui milite depuis des années en faveur d'une réforme du mode de scrutin, posait une bonne question mardi dans Le Devoir->3578]: qu'est-ce qu'un éventuel gouvernement péquiste ferait du rapport que le ministre responsable du dossier, Benoît Pelletier, a commandé au Directeur général des élections?
Il y a cependant une autre question encore plus intéressante: qu'en fera le gouvernement Charest s'il est réélu? Au cours des six prochains mois, le DGE va simplement documenter un peu plus les diverses possibilités, mais la décision restera toujours aussi délicate pour le gouvernement.
Après quatre ans de bons et loyaux services aux Affaires intergouvernementales, M. Pelletier devrait avoir droit à une promotion. Les Relations internationales lui conviendraient parfaitement. Celui ou celle qui héritera de la réforme électorale aura alors tout le loisir de trouver une nouvelle façon de noyer le poisson.
Même s'il a entretenu par le passé de sérieuses réserves sur l'opportunité d'introduire un élément de proportionnelle dans le système électoral, il n'y a aucune raison de douter de la bonne foi de M. Pelletier, qui a fait un louable effort pour mener le dossier à terme.
Les problèmes qu'il a énumérés dans sa lettre adressée au DGE sont bien réels. Par exemple, sur quelle base devrait-on accorder les sièges compensatoires et dans quel ordre? Faut-il autoriser la double candidature? Devrait-il y avoir un ou deux votes?
Comme chacun sait, le diable est dans les détails, mais l'obstacle fondamental demeure le même sur lequel le gouvernement de René Lévesque avait buté il y a 30 ans: les députés libéraux ne voient pas plus que ne le voyaient leurs homologues péquistes la nécessité de modifier un système qui a démontré son excellence en les faisant élire et dans le cadre duquel ils estiment faire du bon travail.
Si M. Pelletier avait eu l'appui inconditionnel de son caucus, les modifications qu'il proposait d'apporter à son avant-projet l'auraient sans doute rendu suffisamment acceptable à la population pour lui permettre de passer outre aux objections du PQ.
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D'autant plus que l'attitude du PQ est parfaitement hypocrite. Dans le programme officiel du parti, il est prévu qu'au lendemain des prochaines élections, un gouvernement péquiste instaurera un mode de scrutin fondé sur la formule proportionnelle compensatoire. Il n'est question nulle part de tenir une consultation populaire, comme l'a réclamé le porte-parole officiel dans le dossier, Luc Thériault, dans le but manifeste de gagner du temps.
Il faut tout de même reconnaître l'habileté de M. Thériault. Quand il a vu que M. Pelletier avait des problèmes avec son caucus, il s'est tenu bien tranquille. Au cours de la dernière session, il n'a pas posé une seule question sur le sujet à l'Assemblée nationale.
L'ancien député de Borduas, Jean-Pierre Charbonneau, sait mieux que quiconque à quoi s'en tenir. L'élection d'un gouvernement péquiste signifierait le renvoi définitif du projet aux calendes grecques, écrivait-il dans une lettre qu'il signait conjointement avec Paul Cliche dans Le Devoir du 19 décembre dernier.
Pendant des années, M. Charbonneau a vainement plaidé qu'en favorisant une plus grande démocratie, la réforme du mode de scrutin ne pouvait que favoriser la souveraineté. Son ancien sous-ministre, André Larocque, qui y travaillait déjà sous le gouvernement Lévesque, s'évertue à le répéter: «Point de souveraineté hors de la proportionnelle.»
Au PQ, on fait une autre analyse: au-delà des considérations théoriques, en quoi la souveraineté serait-elle mieux servie par un système qui permettrait l'élection d'un ou deux députés de Québec solidaire, si c'est pour assurer la victoire aux libéraux? Il faut reconnaître qu'il y a là matière à réflexion.
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Henry Milner a pourtant raison: il se pourrait que les prochaines élections démontrent encore une fois toute l'iniquité du système actuel en donnant une majorité de députés au PQ avec seulement 35 ou 40 % des voix.
«Raison de plus pour faire la souveraineté, qui permettra enfin de corriger cette situation», pourrait répliquer André Boisclair. Dans le contexte fédéral, où le Québec est la seule province francophone sur dix, un système qui surévalue le vote francophone présente des avantages d'ordre défensif qui ne seraient plus nécessaires dans un État souverain majoritairement francophone.
Même si bien des députés péquistes répugnent autant que leurs vis-à-vis libéraux à changer le système actuel, l'adoption d'une nouvelle constitution constituerait une forte incitation au changement à laquelle il leur serait difficile de résister.
M. Milner estime qu'en manoeuvrant efficacement d'ici les prochaines élections, les partisans de la réforme du mode de scrutin pourraient peut-être amener le PQ à «se montrer soudainement désireux d'agir conformément à ses professions de foi envers la démocratie populaire, sous peine de perdre des appuis importants».
L'entreprise s'annonce difficile. Malgré des années de consultations, l'opinion publique n'a jamais eu le sentiment d'une grande urgence. Cela fait 30 ans que les experts et les politiciens en discutent sans avoir jamais abouti. Selon Jean-Pierre Charbonneau, la mise en veilleuse de la réforme promise par le PLQ est un «flagrant mensonge politique». C'est bien possible, mais de toutes les promesses non tenues, c'est peut-être celle dont on tiendra le moins rigueur au gouvernement Charest.
Dans sa lettre au DGE, Benoît Pelletier évoquait le «large consensus» en faveur d'une réforme du mode de scrutin, malgré des divergences certaines sur les modalités. Il est vrai que la population n'est pas contre l'idée, pas plus qu'elle ne s'oppose à la tarte aux pommes, mais la tarte aux pommes n'a jamais constitué un grand enjeu électoral.
mdavid@ledevoir.com
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