Refuser la laïcité et le multiculturalisme

La République de banane du Bloc québécois

Renégocier la Constitution canadienne avant tout

17c8a3023a0728c4c78d96018d95a1da

Chronique de P-H Perrier

Le Bloc Québécois, appendice du Parti québécois au fédéral, vient de rendre publique un projet de proposition qui ambitionne de relancer le débat sur l’indépendance du Québec. Véritable pétition de principe, ce document atteste de l’autisme qui paralyse les troupes indépendantistes depuis trop longtemps. Faisant fi du contexte continental et niant les racines populaires du peuple Québécois, ce programme politique ne fait que reprendre les grandes lignes du fantasme péquiste de naguère.


Décryptage d’une proposition teintée d’aprioris idéologiques


Les auteurs du document brodent une argumentation qui consiste à faire l’apologie du rapatriement des leviers de compétences fédérales afin de bâtir une république improbable, reposant sur le socle d’un ensemble d’aprioris idéologiques qui nient la réalité dans son plus simple appareil. Décryptage de la mouture en question.



« Pour faire du Québec une République » – PROJET DE PROPOSITION PRINCIPALE / 2018-19



D’entrée de jeu, le préambule du chapitre 2, dévolu à la population et à la langue nationale, démarre sur les chapeaux de roues. Les idéologues du Bloc québécois se réclament du « nouveau nationalisme des années 1960 » – création patentée des huiles péquistes –, celui qui considère que « la nation regroupant les personnes vivant au Québec n’est plus canadienne-française, mais québécoise. Elle comprend [donc par voie de conséquence] toutes les personnes habitant le territoire du Québec, dont une majorité de descendants des français d’origine installés au Québec depuis près de 500 ans, une minorité d’origine britannique et des personnes de diverses communautés ethnoculturelles ». Voilà une formule fourre-tout qui a l’avantage de balayer du revers de la main tout ce qui fondait la nation canadienne-française à partir de son enracinement et de son ontogenèse culturelle. Exit, donc, ces Français d’Amérique qui se sont acclimatés à la réalité continentale pour s’associer aux peuples autochtones et défricher une terre appelée à fonder les assises d’une nation qui excédait les limites du territoire québécois.



La nation fantasmée


Martine Ouellet, chef du Bloc québécois, et les auteurs de ce document semblent croire qu’une nation ne représente que la somme de ses constituantes : les divers groupes ethniques ou culturels qui sont venus s’y agréger au fil du temps. Et, pourtant, nous savons que la nation n’est pas seulement un regroupement de populations, mais, d’abord et avant tout, une sommation de traditions, de valeurs et de mentalités qui est la résultante d’une mise en commun d’intérêts partagés, ce qui aura permis à ces populations de survivre et de consolider leur emprise sur un territoire donné. Et, curieusement, on semble vouloir mettre tout le monde dans le même sac, sauf les nations autochtones qui ont leurs propres cultures et leurs droits comme nation. En définitive, cette notion sui generis de « Québécois » ne désigne qu’une masse d’occupants, avec quelques vagues considérations à propos de la culture générale, alors qu’une minorité de moins de 100 000 habitants possèderait, elle, une véritable culture distincte. Tout cela ressemble à une entreprise d’auto-sabotage, dans un contexte où nous étions, de facto, des autochtones lorsque les troupes anglosaxonnes ont envahi notre territoire afin de soumettre nos ancêtres.


Un peu plus loin, poursuivant leur construction idéologique, les ténors du Bloc prônent « l’avènement d’un Québec où chacun se sentira chez lui n’arrivera pas en ignorant tout ce qui fait le cœur de l’identité québécoise, sa langue et sa culture. Ce nationalisme québécois n’est ni ethnique, ni religieux. Il englobe dans un même souci de développement humain, toutes les personnes vivant au Québec quel que soit leur genre, leur âge ou leur origine ethnoculturelle ».  Incapable de dépasser la pétition de principe, histoire de mieux définir ce fameux « cœur de l’identité québécoise », les idéologues du Bloc se précipitent sur le point central de leur argumentation, c’est-à-dire cette fameuse « ouverture sur les autres » qui fait de cette nation fantasmée une véritable éponge qu’il suffit de presser afin d’en retirer tous les bénéfices voulus. On le réalise, cette argumentation délétère fait la part belle aux nouveaux arrivants qui ont tout le loisir de demander des comptes à cette République molle, sorte de construction résiduelle qui se modèle à partir du changement. Et, non plus en prolongeant un corpus de traditions susceptible d’étoffer la naissance d’une véritable nation.



Se faire tirer le tapis sous les pieds


Les auteurs de ce projet de proposition nous préviennent qu’« on assiste actuellement à une opposition peu féconde entre identité et respect de la diversité, comme si le progrès d’une identité québécoise française et laïque devait s’opposer au respect de la diversité de ses citoyens de toutes origines ». C’est ici que le bât blesse et pas à peu près ! Qu’il nous soit permis de détricoter cette pétition qui recèle un dangereux flou artistique. L’identité se construit par le truchement d’un processus « discriminant » qui permet d’élaguer, de faire un tri et de faire des choix qui permettront à une nation d’émerger en définitive. La diversité représente tous les affluents qui viennent se jeter dans la culture dominante afin d’enrichir le processus de cristallisation d’une nation, c’est-à-dire au gré de cette acculturation produite par la transformation des cultures d’apport.


La diversité est un concept particulièrement délétère, puisqu’il participe au grand projet mondialiste de dissoudre toute forme de nation, dans un contexte où la culture n’a plus rien à voir avec une forme ou une autre d’enracinement. Par ailleurs, le Bloc québécois se réclame sans sourciller d’une idéologie des lumières qui n’a rien à voir avec nos racines populaires lorsqu’il défend « le progrès d’une identité québécoise française et laïque ». Il s’agit là, sans autre forme de procès, d’une identité fantasmée et imposée par la force du poignet au gré d’une « Révolution tranquille » qui n’a contribué qu’à nous éloigner de nous-même. En effet, la naissance de cet « homme nouveau », hors-sol, – produit d’une idéologie et d’une mode de vie étrangers à ces us et coutumes – n’a fait qu’accentuer notre aliénation dans un contexte où nous sommes, désormais, incapables de définir cette fameuse « culture québécoise » pour laquelle nous devrions nous battre.


Or donc, sans savoir qui nous sommes, nous devrions nous réclamer d’une « identité laïque » qui a été importée par les membres de l’Association des Frères Chasseurs, à l’époque où les Patriotes s’étaient exilés aux États-Unis. Il serait utile de rappeler – l’ancien ministre français de l’Éducation nationale Vincent Peillon l’a bien souligné dans une vidéo désormais célèbre – que le but premier de la laïcité a toujours été de combattre un catholicisme qui s’opposait à l’humanisme des lumières. On ne parle pas de neutralité de l’état, ici, mais bien de faire la promotion d’une idéologie de substitution. Ce qui est différent. Malheureusement, un très grand nombre de Québécois n’arrive pas à démêler l’écheveau de tout cet imbroglio sémantique et symbolique. Le Parti québécois, frère jumeau du Parti socialiste français, s’est servi de la notion de « Révolution tranquille » – oxymore de première – pour mettre de l’avant son agenda idéologique. Il s’agissait, pour faire court, d’effacer le disque dur de notre mémoire collective, afin de le reformater à partir des valeurs des lumières. Cette entreprise de déconstruction avant la lettre, de tout ce qui fondait notre identité réelle, avait pour but de préparer la montée en puissance d’un « modèle québécois » sorti de nulle part. « L’homme hors-sol » pouvait, désormais, « s’ouvrir au monde » et s’affranchir de l’emprise tutélaire d’une mémoire collective qui l’empêchait de se fondre dans le grand tout de la postmodernité.



Qui sommes-nous ?


Pour fin de rappel, notre identité profonde et durable était faite d’un rapport intime à la langue Française, à la religion Catholique et au territoire du Bas-Canada. Qui plus est, cette identité socioculturelle reflétait des us et coutumes qui avaient lentement pris forme sur une période de plusieurs siècles d’acclimatation avec cette terre d’accueil qui est devenue un socle d’ancrage pour la nation réelle. Le Bloc québécois nie cette réalité d’une culture née à partir de la « volonté de puissance » d’une population luttant pour sa survie et se projetant à travers une épopée construite comme un véritable « récit national ». Il préfère s’en tenir à la conception toute britannique d’une nation québécoise « laïque, ouverte sur le monde et inclusive », c’est-à-dire à une pétition de principe qui épouse les contours du multiculturalisme dans son plus simple appareil.


Les lieutenants du Bloc, à l’instar des huiles péquistes, ont beau se cacher sous les oripeaux de l’ «inter-culturalisme », on aura compris que leur DOXA prône l’avènement d’un « homme québécois » conforme aux valeurs acceptées par les chantres de l’éthos postmoderne. Célébrant les vertus d’ouverture et de tolérance propres à cette culture québécoise fantasmée, les idéologues du Bloc nous préviennent que « le Canada, par contre, s’est construit sur la volonté très nette d’assimiler la gênante minorité francophone du pays, ainsi que les nations autochtones ». Sans nier les effets délétères du colonialisme anglosaxon, on pourrait se poser la question de la pertinence d’ « assimiler les minorités » au gré du processus de formation d’une nation.


On serait tentés d’ajouter, non sans malice, que si le Canada anglais a toujours fait de son mieux pour assimiler les cultures minoritaires, alors pourquoi ne ferions-nous pas la même chose ? Sans vouloir nier l’apport culturel des nouveaux venus, à titre individuel, et confiner les autochtones dans une culture folklorique, pourquoi l’immense majorité des habitants de la Province du Québec ne prendrait-elle pas les grands moyens afin d’assumer, enfin, une certaine forme d’hégémonie culturelle ? Voilà, le chat est sorti de son sac : nous avons utilisé un chapelet de gros mots qui n’ont plus droit de cité dans l’agora de nos factices débats de vaincus.



Se projeter vers un avenir fécond


L’hégémonie culturelle, voilà le maître-mot qu’il convient de savoir bien manier lorsque l’on traite de l’avenir d’une nation, de sa projection vers un avenir fécond qui ne soit pas qu’une simple architecture de chimères improbables. En lieu et place, le Bloc québécois préfère se gargariser avec des notions molles, insipides, qui laissent entendre qu’il faille entreprendre le combat final de la libération nationale simplement pour être en mesure de faire enfin partie d’un « concert des nations » qui n’est qu’une vaste cacophonie. Héritiers d’un Marxisme culturel réel, et non pas fantasmé, nos apôtres de la laïcité et de « l’ouverture sur le monde » connaissent fort bien les vertus d’une hégémonie culturelle qui précède, invariablement, toute lutte destinée à détrôner un colonisateur, une classe possédante ou un rival trop encombrant. Les nations ne sont pas le fait d’une « génération spontanée », n’en déplaise aux auteurs de ce projet de proposition qui ne repose que sur des vœux pieux. En effet, nos laïcards ne sont en fait que des grenouilles de bénitier, incapables d’arrimer leur vision d’un Québec indépendant avec la réalité tangible qui est le lot de la nation canadienne-française. Au sens où l’entendait le très honnis Lionel Groulx, ce maître à penser de ce qu’il est convenu d’appeler les « nationalistes ethniques ».



Nous conclurons avec ce passage révélateur de la pensée magique qui anime les auteurs du document :



« L’indépendance du Québec favorisera une meilleure intégration de tous les citoyens et de toutes les citoyennes à la nation québécoise. L’adoption d’une Constitution québécoise clarifiera les principes fondateurs de la nouvelle République du Québec. Elle donnera des garanties pour le respect et le développement humain de toutes les composantes de la nation ».




On peut, légitimement, se demander en quoi l’indépendance du Québec « favorisera une meilleure intégration de tous les citoyens et de toutes les citoyennes à la nation … », si ce processus ne sert, en bout de ligne, qu’à permettre à une nouvelle élite compradore de reproduire les schémas multiculturels qui prévalaient au sein de la fédération canadienne. C’est un peu comme si ce Québec fantasmé ne consistait qu’à reproduire les valeurs britanniques à l’intérieur d’un plus petit ensemble. In fine, pourquoi adopter une prétendue Constitution québécoise qui ne servirait qu’à refléter « les principes fondateurs de [cette] nouvelle République du Québec » appelée de tous leurs vœux par nos Frères Chasseurs 2.0 ? Au fait, avant de parler de république, de monarchie constitutionnelle ou de quelque régime que ce soit, pourquoi ne pas rouvrir la Constitution canadienne afin d’aller négocier ce qui nous revient, de jure, en qualité d’authentique nation fondatrice ? Ce pénible exercice, enfin mené à son terme, tout le reste nous reviendra par surcroît, pour utiliser une formule bien connue.


Nous complèterons cette analyse dans le cadre d’un second volet qui devrait être rendu public sous peu.


FIAT LUX !



Un lien : https://www.blocquebecois.org/




Squared

Patrice-Hans Perrier181 articles

  • 203 487

Patrice-Hans Perrier est un journaliste indépendant qui s’est penché sur les Affaires municipales et le développement urbain durant une bonne quinzaine d’années. De fil en aiguille, il a acquis une maîtrise fine de l’analyse critique et un style littéraire qui se bonifie avec le temps. Disciple des penseurs de la lucidité – à l’instar des Guy Debord ou Hannah Arendt – Perrier se passionne pour l’éthique et tout ce qui concerne la culture étudiée de manière non-réductionniste. Dénonçant le marxisme culturel et ses avatars, Patrice-Hans Perrier s’attaque à produire une critique qui ambitionne de stimuler la pensée critique de ses lecteurs. Passant du journalisme à l’analyse critique, l’auteur québécois fourbit ses armes avant de passer au genre littéraire. De nouvelles avenues s’ouvriront bientôt et, d’ici là, vous pouvez le retrouver sur son propre site : patricehansperrier.wordpress.com





Laissez un commentaire



1 commentaire

  • Jean Lespérance Répondre

    24 avril 2018

    Monsieur Perrier, je vous trouve bien sévère, même un peu trop. Vous élaborez alors que Martine Ouellet et son groupe, ne peuvent pas se permettre de le faire, ils peuvent juste faire voter les gens sur une pensée principale ou encore sur des enjeux primordiaux. Si le Bloc est l'appendice du PQ, les deux devraient avoir le même discours, proposer les mêmes choses et être identiques. Or Martine Ouellet ne peut même pas se permettre ça. Imaginez-vous Martine Ouellet déclarer qu'elle est en faveur des accords avec l'Union Européenne comme Lisée? Quelle risée!  Moi  je trouve qu'elle fait du mieux qu'elle peut dans le contexte présent et qu'elle a une très bonne attitude. 


    Le gros problème, c'est l'inégalité dans le discours entre les deux partis, les gens ne s'y reconnaissent pas. À Ottawa, on peut juste se permettre de dénoncer les incohérences, les injustices , les stupidités de Justin Trudeau. Mais rien n'emêche le Bloc d'exprimer sur la place publique en dehors de la Chambre des communes le but poursuivi, les objectifs à atteindre, ce que ne veulent pas les mutins. Pourquoi les mutins du Bloc refusent-ils Martine Ouellet maintenant alors alors qu'ils savaient très bien ce qu'elle pensait et l'agenda qui en découlait?  À plusieurs, ils font le jars, individuellement aucun n'est capable de s'exprimer clairement, encore moins de se présenter comme un leader, un chef de file, une vraie honte.  


    La réouverture de la Constitution est à la pire chose qui pourrait arriver, ça va être des négociations interminables ou entre minables. Si 10% de la polpulation s'y intéresse, ça va être un miracle et pour les détails ça va être encore moins que 10%. En politique, parfois il ne faut pas trop en dire et se concentrer sur l'essentiel.