La prétendue intolérance des souverainistes québécois

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Diviser pour régner





Chaque fois que j’entends parler du «malheureux débat sur la Charte des valeurs», qui aurait réveillé la faction intolérante du mouvement indépendantiste, un débat qui devrait d’une manière ou d’une autre nous faire honte, j’ai quand même envie de rappeler que ce projet rejoignait une très nette majorité de Québécois. Faut-il comprendre que tous ceux qui ont répondu positivement à la Charte des valeurs étaient d’une manière ou d’une autre tentés par l’intolérance ou la xénophobie? Ou alors, qu’ils s’agissaient seulement de pantins manipulés par le vil gouvernement péquiste? Qu’est-ce qu’il y avait de malheureux dans ce débat? Fallait-il éviter de le mener parce que certains zozos en profitèrent pour dire quelques insanités?  À ce compte-là, on pourrait bien aussi dire que le printemps 2012 était malheureux épisode de notre vie démocratique parce que certains anarchistes en profitèrent pour détourner à leur avantage le mouvement étudiant ou tout simplement parce que l’ASSÉ faisait preuve de radicalisme idéologique et que certains de ses dirigeants hésitaient même à dénoncer la violence ou le simple refus de nos institutions démocratiques.


On a beau mentir depuis plus d’un an en disant qu’il a coulé électoralement le PQ, mais la réalité est têtue : la Charte des valeurs est la seule politique du précédent gouvernement qui a permis au PQ de remonter dans les sondages et de susciter un vrai appui populaire. Elle répondait à des aspirations profondes. La défaite de ce parti en avril 2014 s’expliquait par d’autres raisons – je pense ici à une campagne désastreuse qui a confirmé à quel point le PQ ne savait plus quoi faire de la souveraineté et l’a vu se retourner contre lui. Sur le fond des choses, la Charte des valeurs proposait une conception de l’identité nationale et de l’intégration marquant une rupture explicite avec l’inter/multiculturalisme dominant : elle rappelait la prédominance légitime de l’identité historique québécoise dans l’espace public. Un pays n’est pas une page blanche et celui qui s'y installe a d'abord le devoir de s'y intégrer en profondeur, d'en prendre le pli et les moeurs. La Charte des valeurs mettait de l’avant une conception décomplexée de la laïcité pour éviter que les communautarismes ne s’investissent dans la vie publique.


Poussons la chose plus loin : peut-on s’inquiéter de l’échec de l’intégration ou de seuils d’immigration trop élevés sans se faire accuser de manquer de sensibilité envers la diversité? Ceux qui ont soutenu la Charte des valeurs n’ont pas à en rougir aujourd’hui et ne doivent pas consentir à leurs adversaires d’hier le monopole du cœur, de la vertu, de la tolérance et de l’ouverture. Ils ne doivent pas faire pénitence. La Charte des valeurs n’a rien d’un épisode honteux, elle n’a rien d’un gâchis : elle marquait plutôt, pour la première fois depuis longtemps, un retour à l’offensive des souverainistes qui ne demandaient plus à leurs adversaires dans quelles limites et à quelles conditions ils pouvaient affirmer l’identité québécoise. Je note qu’elle était appuyée bien au-delà des seules limites du mouvement souverainiste. Sous une nouvelle forme, et plus tôt que tard, il faudra bien y revenir. Les événements se chargeront d’ailleurs de nous rappeler que la définition d’un cadre d’intégration plus substantiel et plus rigoureux est une nécessité vitale pour le Québec comme pour toutes les sociétés occidentales.


À la rigueur, et comme l'a noté Sébastien Bilodeau dans un texte remarquable de L'Action nationale, on pourrait dire que le caractère tendu du débat sur la Charte des valeurs venait du fanatisme de certains inclusifs qui voulaient à tout prix faire de ce débat une querelle entre le bien et le mal, entre l’ouverture et le repli, entre la diversité et la régression ethnique. Ils ne se contentèrent pas de critiquer la Charte : ils crièrent à la démocratie menacée et hystérisèrent ainsi le débat, en en faisant une lutte à finir entre les droits des minorités et la tyrannie de la majorité. On a beau dire ces choses subtilement, si on se représente ainsi le débat public, on contribue à sa dégradation et on se rend coupable de sectarisme et d’intolérance idéologique. Il y avait naturellement quelque chose de triste à voir certains souverainistes reprendre cette rhétorique, mais ce n’était pas surprenant : une certaine gauche toujours voulu se dissocier du nationalisme historique, comme si ce dernier était un pesant fardeau. Pour elle, l’indépendance a moins à voir avec l’indépendance d’un peuple devenant enfin maître de son destin qu’avec la création d’une nouvelle société soumise à leur férule idéologique. C’est le parti du souverainisme conditionnel. Il veut bien de la souveraineté, mais à condition d'en définir le contour et le contenu. Sans il, elle dédaignera un peu ce projet ou nous mettra en garde contre ses dérives. C'est ce qui l'amène en ce moment à rejeter la souveraineté parce qu'elle serait aujourd'hui réalisée par Pierre-Karl Péladeau : ceux qui ne sont pas associés à tort ou à raison au "progressisme" sont pour elle de moins bons citoyens.


En fait, j’ai bien l’impression que ceux qui prennent la pose pour s’inquiéter gravement de la part d’ombre toujours menaçante du souverainisme québécois ou de la tentation du repli qui l’habiterait veulent surtout prendre une position médiatiquement avantageuse qui les positionne comme gardiens scrupuleux de la démocratie. Le système médiatique adore les souverainistes qui accusent de déchéance morale d'autres souverainistes. À moins qu'ils ne goutent simplement le sentiment de leur supériorité morale ? Chose certaine, cette position leur permet de surplomber une base militante qui pour le meilleur et pour le pire, ne se laisse plus dicter quoi penser par une certaine élite médiatique qui travaille à la culpabilisation du nationalisme québécoise, ou du moins, qui fait tout pour le vider de sa substance, en faisant même du terme «identitaire» un gros mot, un mot toxique, un mot dangereux, comme s’il y avait quelque chose d’inadmissible à assumer l’identité d’un peuple dont on prétend faire l’indépendance, comme si l’histoire était de trop, comme si la mémoire était de trop. Ils nous pardonneront de nous passer de leur approbation et de leur rappeler qu’ils ne sont pas seuls en droit de respecter qui est politiquement respectable et qui ne l’est pas.




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