l n'aura pas fallu beaucoup de temps pour que le débat au sujet de la réforme du mode de scrutin reprenne. Faut-il oui ou non introduire un élément de proportionnalité dans notre système électoral? Ce ne sont pas les résultats des dernières élections québécoises qui offriront un argument convaincant à cet égard, ce qui n'enlève rien à la justesse du propos puisque l'enjeu dépasse largement un seul scrutin.
Le système électoral comporte bien des anachronismes et le mode de scrutin en est un, mais ce n'est peut-être pas le plus urgent à corriger. Il existe actuellement une source d'iniquités bien réelle qu'on perpétue d'élections en élections par peur d'indisposer certaines catégories d'électeurs. Il s'agit de la délimitation des circonscriptions électorales. Elle est telle que le vote des uns vaut deux fois plus que celui des autres. Pendant longtemps, ce sont les régions rurales qui ont bénéficié de ce déséquilibre, au détriment des électeurs des grandes villes centres.
L'évolution démographique récente du Canada et du Québec montre que ce sont maintenant les banlieues qui perdent au change. Selon le recensement de 2006, la population de Montréal a crû de 2,3 % en cinq ans et celle de Laval, de 7,5 %; mais la couronne, le fameux 450, a explosé. On parle d'une hausse de près de 30 % à Vaudreuil-Dorion, Blainville, Mirabel. L'Ontario vit un phénomène similaire autour de Toronto (le fameux 905), où les taux de croissance sont encore plus spectaculaires.
La carte électorale ne reflétera jamais cela parfaitement. Il existera toujours des circonscriptions peu populeuses qui bénéficieront d'un traitement particulier à cause de leur vaste étendue ou de leur isolement géographique. Peu de gens s'y opposent. Un député doit pouvoir sillonner sa circonscription et un électeur, pouvoir le contacter sans avoir à parcourir des distances irréalistes. On pense à Ungava ou aux îles de la Madeleine, par exemple. La réalité socioéconomique est souvent prise en considération. C'est le cas des quatre circonscriptions gaspésiennes et, à l'échelle fédérale, de celles des territoires. Et il y a la Constitution qui, au fédéral encore, assure à l'Île-du-Prince-Édouard quatre députés malgré une population qui pourrait tenir dans une seule circonscription torontoise.
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Au-delà de ces réalités, tout est question de formule et de choix, et c'est là que les problèmes commencent. À Québec, le critère est le suivant. Le nombre d'électeurs par circonscription doit représenter une moyenne qui est actuellement de 44 834. Une circonscription peut compter 25 % d'électeurs de plus ou de moins que cette moyenne. Si ce nombre est dépassé entre deux révisions de la carte, qui se fait normalement après deux élections, on vit avec. C'est ce qu'on a fait cette fois-ci alors que cinq circonscriptions dépassaient la limite supérieure (56 043) et que sept autres étaient sous la barre inférieure (33 626). Plus d'une trentaine s'approchaient dangereusement de ces limites.
À l'échelle fédérale, la carte est redessinée tous les dix ans, après deux recensements. La dernière révision date de 2003. La prochaine n'aura lieu qu'après le recensement de 2011. Or celui de 2006 nous a appris que 80 % des Canadiens vivaient maintenant en milieu urbain et que la population des banlieues a bondi. Si des élections fédérales avaient lieu ce printemps, les électeurs de Brampton-Ouest, par exemple, n'éliraient qu'un député alors que leur population justifierait d'en avoir pratiquement deux.
Dans la même veine, lors des élections provinciales de la semaine dernière, le vote d'un électeur de Chambly avait deux fois moins de poids que celui d'un électeur de Bonaventure. Celui d'un électeur de Prévost, à peine plus de 60 % de celui d'un électeur de Saint-Maurice. Signe du fossé qui sépare les circonscriptions, 25 députés ont été élus avec moins de 11 000 voix alors que 30 ont fini deuxième avec environ le même nombre de votes. Onze ont même fini en troisième position avec plus de 10 000 voix. Dans La Prairie, le libéral a fini troisième avec 12 253 voix, davantage que le nombre total d'électeurs aux Îles.
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Ces problèmes ne sont pas nouveaux et leurs raisons sont diverses. Au-delà des craintes d'indisposer des électeurs, on peut citer au moins deux facteurs. Permettre, comme à Québec, un écart de 50 % entre les circonscriptions conduit à des distorsions, comme on l'a vu. Les longs délais entre deux révisions de la carte perpétuent aussi le problème, que ce soit à Ottawa ou à Québec. Redessiner une carte électorale est un exercice long et fastidieux, mais le temps est peut-être venu d'alléger le processus afin de s'assurer que la carte reflète mieux l'évolution démographique et fasse en sorte que le vote des électeurs ait un poids à peu près équivalent.
Une carte plus fidèle à la réalité devrait être un enjeu pour les citoyens des banlieues et les partis qui cherchent à les représenter. Aucune carte électorale ne reflète leur réalité. Ces régions urbaines sont maintenant riches en votes mais n'offrent pas autant de sièges qu'elles le devraient. Des trois partis, seule l'ADQ a délibérément ciblé la population des banlieues en parlant aux jeunes familles qui y sont établies. Au fédéral, le conservateur Stephen Harper a usé de la même stratégie. Mais tout cela reste superficiel car personne n'a vraiment abordé les problèmes que posent, d'une part, l'étalement urbain et, d'autre part, l'incapacité des infrastructures et des services publics à suivre la croissance démographique.
Si les cartes électorales en viennent à mieux tenir compte de la redistribution de la population, on peut présumer que l'ADQ et le PC seront les premiers contents. Il y a de bonnes chances qu'ils en tirent effectivement profit. Mais cela pourrait aussi permettre un peu plus de diversité en matière de représentation politique, chaque parti ayant ses zones de force. Au bout du compte, cependant, ce seront les citoyens de ces circonscriptions et la démocratie qui en sortiraient gagnants.
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mcornellier@ledevoir.com
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