La maison d'un patriote détruite, un ex-candidat du PQ arrêté pour s'y être opposé

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Le Québec demeure incapable de protéger son patrimoine

La maison Boileau, qui a déjà appartenu à un patriote, précurseur de la rébellion de 1837-1838, est passée sous le pic des démolisseurs, jeudi, à Chambly. Un ex-candidat péquiste, qui occupait le site dans le but de stopper la destruction du bâtiment, a été arrêté par les policiers.


Construite en 1819, la maison Boileau trônait sur la rue Martel depuis près de 200 ans. Mais si le bâtiment revêtait un caractère historique indéniable, il n'était pas classé au patrimoine culturel québécois.


C'est la direction générale de la Ville qui a ordonné sa destruction, malgré l'opposition de plusieurs résidents.


« Cette décision a été principalement prise pour des raisons de vétusté du bâtiment et de sécurité, car [la maison] était devenue dangereuse pour les citoyens », explique-t-on dans un communiqué mis en ligne jeudi sur le site web de la Municipalité. « Les rapports des professionnels, les analyses des experts et les coûts engendrés pour sa réhabilitation ont également motivé cette difficile décision. »


La Ville rappelle avoir acquis la maison Boileau en septembre 2016.


« Selon le rapport d’évaluation de la structure, le mauvais entretien de la maison, avant l’acquisition par la Ville, a causé des dommages irréversibles », poursuit-elle. « Les experts concluent que les désordres structuraux sont trop importants et [que] le bâtiment ne peut être rénové et conservé. »


Une restauration, précise la Municipalité, aurait coûté plus de 2 millions de dollars, une somme jugée trop importante, car « il faut prendre en considération la capacité de payer de chaque citoyen », rappelle-t-elle.


« Différentes options pour l’avenir de cet emplacement » seront évaluées au cours des prochains mois, conclut la Ville.


La maison est ceinturée d'une clôture de métal.La maison Boileau avant sa destruction. Photo : Radio-Canada/René Saint-Louis


Le maire Denis Lavoie, présentement en convalescence, avait pourtant promis de ne pas démolir la maison, au terme d'une intense campagne de mobilisation pour la préserver, en 2016.


Le bâtiment, qui avait autrefois appartenu au notaire et patriote René Boileau, devait éventuellement être reconverti en bureau d'information touristique et en salle d'exposition.


Des parcomètres devaient être installés dans la municipalité pour financer l'opération. Ceux-ci ont fait leur apparition dans les rues de la municipalité depuis, mais l'argent a été utilisé autrement, notamment pour la réfection de l'église, explique le directeur général de Chambly, Michel Larose.


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En entrevue à Radio-Canada, M. Larose, a reconnu que c'était lui qui avait ordonné la démolition de la maison Boileau.


« Ce n'est pas une décision du maire, c'est MA décision », a-t-il appuyé. « Le maire est au courant que j'ai pris cette décision-là; je l'avais avisé il y a quelque temps que le bâtiment était insécure, qu'il était en danger [...] et qu'il fallait absolument que je le mette à terre. »


M. Larose dit avoir pris sa décision la semaine dernière, mais que les chutes de neige ont retardé les opérations.


Il a en outre expliqué que la Ville n'avait pas besoin d'obtenir de permission pour ordonner la destruction d'une propriété lui appartenant, ce qui explique pourquoi les cols bleus ont pu procéder sans permis, jeudi.


Choc et consternation


La démolition a pris tout le monde par surprise, jeudi, à commencer par Christian Picard, qui s'est rué sur place dès qu'il a appris la nouvelle. Il était toutefois déjà trop tard : la maison Boileau était déjà partiellement rasée.


« Moi, je protège le patrimoine, et puis je vais rester debout face à ça, disait-il en début d'après-midi. Parce que ça n'a pas de bon sens de détruire notre histoire comme ça. On ne laissera pas faire ça. »



Il n'est pas question que je laisse faire ça. C'est pas vrai qu'on va regarder ça et qu'on va rester passif devant la destruction de notre histoire.


Christian Picard, ex-candidat péquiste et citoyen engagé


Refusant de quitter les lieux comme le lui ordonnaient les agents de la Régie intermunicipale de police Richelieu-Saint-Laurent, M. Picard a été arrêté.


Si des accusations sont déposées et qu'il est déclaré coupable, il pourrait écoper d'une amende de 1000 $. Théoriquement, il pourrait même être condamné à une peine de prison.


M. Picard milite depuis longtemps au sein du Parti québécois (PQ) et du Bloc québécois. Il était d'ailleurs candidat pour le PQ aux dernières élections dans la circonscription de Chambly. Il a terminé deuxième, loin derrière Jean-François Roberge, de la Coalition avenir Québec.


Auparavant, Christian Picard avait été directeur de cabinet à l'arrondissement de Lachine et directeur de campagne pour Projet Montréal dans l'arrondissement du Sud-Ouest.


Le maire de l'arrondissement du Plateau-Mont-Royal, Luc Ferrandez, a d'ailleurs pris sa défense sur Facebook, jeudi. « Une immense partie de notre patrimoine est en bois, donc fragile; si vous n'êtes pas à la hauteur des enjeux de ce pays, retirez-vous », a-t-il lancé au maire et au directeur général de Chambly, « qui ont orchestré en secret la démolition de la maison Boileau ».


M. Picard, escorté par deux policiers de la RIPRSL.Christian Picard lors de son arrestation. Photo : Radio-Canada/René Saint-Louis


La romancière Louise Chevrier – qui a justement écrit sur la famille Boileau – a tenté elle aussi de s'interposer entre la maison et les démolisseurs, sans succès.


Membre de la Société d'histoire de Chambly, elle cachait mal sa tristesse, jeudi, comparant l'importance du bâtiment avec celle du fort Chambly, un autre lieu historique de la municipalité.


La maison Boileau, « c'est le 19e siècle, c'est l'épopée patriote, c'est les notables de Chambly », a-t-elle énuméré. « C'est aussi le lieu où l'on a préservé un fonds d'archives d'une grande importance historique pour l'histoire régionale. Et c'est aussi mes personnages : c'est leur maison qui est en train de s'envoler, de tomber en poussière. »


La conseillère municipale Alexandra Labbé a elle aussi été prise par surprise. Car un contrat de réhabilitation avait été accordé il y a quelques mois, a-t-elle indiqué. « J'avais même fait une demande d'accès à l'information pour avoir accès au carnet de santé qui a été fait par des experts sur l'état de la maison; on a eu aucune réponse, et là on passe de réhabilitation à démolition », a déploré la conseillère.


Un ministre en colère


Le député Jean-François Roberge, de son côté, s'est dit « stupéfait » de la démolition de la maison Boileau.


« À aucun moment, je n’ai été informé que des travaux de démolition étaient prévus », a-t-il déploré par voie de communiqué.



Je suis surpris et déçu de la décision de la Ville de Chambly d’ordonner la destruction de ce bâtiment plus que centenaire.


Jean-François Roberge, député de Chambly et ministre de l'Éducation du Québec


Lui aussi avait « reçu des indications selon lesquelles le bâtiment serait préservé ».


M. Roberge dit avoir tenté de stopper la destruction en communiquant d'urgence avec le ministère de la Culture et des Communications. « Celui-ci n’était cependant pas en pouvoir d’intervenir, vu que la maison Boileau n’était pas classée comme bien patrimonial. »


Le député caquiste, qui est aussi ministre de l'Éducation, a rappelé qu'en 2016, « une demande en ce sens [...] s’était d’ailleurs heurtée au refus de la ministre de la Culture de l’époque, Hélène David ».


M. Roberge « entend rencontrer la ministre de la Culture et des Communications, Nathalie Roy, pour voir comment éviter que de telles situations ne se reproduisent à l’avenir ». « Toutes les options sont sur la table, y compris la voie législative », conclut-il.


Avec la collaboration de Sébastien Desrosiers et René Saint-Louis