La lutte contre la radicalisation exige de la raison

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La base arrière des djihadistes près de chez vous

L’arrestation préventive de 10 jeunes qui s’apprêtaient quitter le Canada pour la Syrie afin de rejoindre les rangs du groupe État islamique (EI) a donné lieu à une ronde d’échanges pénibles à l’Assemblée nationale. Alors que les médias assemblent au compte-gouttes les informations disponibles sur ces jeunes, la députée péquiste Agnès Maltais a déjà toutes les réponses.
Depuis l’hiver, une vingtaine de jeunes Québécois sont partis pour la Syrie, où ils ont tenté de le faire. Selon Agnès Maltais, il y a un dénominateur commun à leur engagement pour la cause de l’EI, et c’est Adil Charkaoui, qu’elle compare maintenant à un «marchand de la haine».
Depuis quelques années, Adil Charkaoui joue à un petit jeu dangereux. Il pourfend avec verve et éloquence les nationalistes, principalement au PQ et à la CAQ, qu’il accuse d’alimenter l’islamophobie et les préjugés à l’égard des musulmans.
Le courage du barbu s’estompe lorsque vient le temps de dénoncer les atrocités et la barbarie de l’EI. Il a pour ainsi dire un faible pour l’islam politique.
Pour l’heure, rien n’indique qu’il ait endoctriné les jeunes séduits par l’appel de l’EI. Il s’est d’ailleurs défendu d’avoir incité quiconque à la haine ou à la violence chaque fois que l’occasion lui a été donnée. Certains des jeunes ont fréquenté son centre culturel islamique de l’est de Montréal, mais pas tous, contrairement à ce qu’affirme Agnès Maltais.
Avant de faire un procès d’intention en bonne et due forme à Charkaoui, il faudrait un fardeau de preuve un peu plus sérieux.
On en sait encore trop peu sur la trajectoire des fervents québécois de l’EI. Se pourrait-il qu’ils aient fréquenté «l’œuvre» de Charkaoui de leur propre initiative, à la recherche de clefs pour justifier leur adhésion à une branche sectaire de l’islam ? Se pourrait-il que leur processus d’endoctrinement dépasse la petite personne de Charkaoui ?
Le chemin qui mène à la radicalisation est complexe. La période des questions à l’Assemblée nationale est un bien mauvais forum pour mener une nécessaire réflexion à ce sujet, surtout quand l’exercice sert à faire des procès d’intention à un seul homme, aussi controversé soit-il.
La ministre de la Sécurité publique, Lise Thériault, est tombée dans le panneau. Dans le feu de l’action, elle a déclaré que les jeunes partaient vers la Syrie «parce qu’ils veulent aider». «Ils le font sur une base communautaire. Ils pensent qu’ils vont sauver des vies», a-t-elle expliqué.
Et par ici les juteuses manchettes. «Les djihadistes veulent sauver des vies, selon Lise Thériault», titrait le site Internet de TVA, attribuant à la ministre des propos qu’elle n’a pas tenus. Il suffit pourtant d’analyser un peu les stratégies de recrutement, de consulter la propagande djihadiste dans Internet et de consulter des études sur la question pour comprendre que la ministre ne fabule pas.
Les recruteurs anonymes du «djihad 2.0» rejoignent des jeunes avec un cœur gros comme le monde, ainsi qu’une sensibilité exacerbée face à la souffrance et à l’injustice. Ils ne leur vendent pas une Kalachnikov, mais un rêve, celui d’un monde musulman purifié de l’impureté et de l’oppression. C’est à leur fibre humanitaire qu’ils font d’abord appel lorsqu’ils cherchent à les convaincre de prendre les armes.
Ces jeunes en pertes de repères sont récupérés, déprogrammés, reprogrammés pour grossir les rangs d’une communauté de «véridiques» qui croit avoir toutes les réponses aux problèmes contemporains. Ils verront des mécréants même chez les imams qui ne partagent par leur vision tordue du monde.
On parle beaucoup de terrorisme, mais il est aussi question de dérive sectaire dans cette histoire. Les relents eschatologiques et messianiques du discours radical sautent aux yeux.
Alors que le gouvernement Couillard s’apprête à déposer un plan de lutte contre la radicalisation (d’ici la mi-juin), une certaine prudence est de mise.
Les élus doivent éviter les réponses simplistes à une réalité complexe. Pour arriver à une solution cohérente, ils devront résister à la tentation de donner des pouvoirs accrus aux policiers. Ceux-ci n’ont pas toutes les réponses aux problèmes de radicalisation, surtout que l’engagement djihadiste est à l’intersection de la conversion à une secte.
Le PQ propose la création d’un observatoire de l’intégrisme religieux, qui relèverait de l’Assemblée nationale. C’est une bien mauvaise piste, laquelle contribuerait à la surenchère du politique face à un problème qui déborde et dépasse le politique.
Il existe déjà une communauté de chercheurs et un Observatoire sur la radicalisation. Le Québec n’a pas besoin de structures supplémentaires sous surveillance étatique. Il a besoin de donner de l’oxygène et des fonds pour encourager les initiatives, trop peu nombreuses et isolées, en matière de prévention et de déradicalisation.
Les politiciens devront laisser aux experts (policiers, psychologues, criminologues et autres) le soin d’élaborer ces programmes et d’en faire l’évaluation. Ils devront s’abstenir d’aborder la question sous l’angle de la partisanerie et des raccourcis intellectuels, comme l’a fait cette semaine Agnès Maltais.


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