La justice recherche Jean Lafleur

L'un des acteurs clés du scandale des commandites est accusé de 35 fraudes totalisant 1,6 million

17. Actualité archives 2007


Jean Lafleur a été rattrapé par son amnésie et son incapacité chronique à justifier l'obtention de juteux contrats de commandite, hier avec sa mise en accusation pour 35 fraudes totalisant 1,6 million de dollars. Un mandat d'arrestation a été délivré contre le publicitaire qui a été vu au Canada pour la dernière fois en juin 2005.
M. Lafleur, 66 ans, est l'un des acteurs névralgiques du scandale des commandites, l'homme qui a obtenu les tout premiers contrats pour assurer la visibilité du gouvernement fédéral au Québec, au lendemain du quasi-match nul référendaire de 1995. En raison de ses liens d'amitié avec Jean Pelletier et Jean Carle, respectivement chef et directeur des opérations au cabinet du premier ministre Jean Chrétien, M. Lafleur a récolté dès 1996 des contrats de près de dix millions de dollars. Quand la roue de fortune fédérale s'est finalement brisée, en 2003, l'agence de Jean Lafleur avait facturé à l'État des coûts de production, des honoraires et des commissions de 37 millions. M. Lafleur avait mis dans ses poches des salaires et dividendes de 9,3 millions, en plus de transformer son épouse et son fils -- tous deux employés de l'agence -- en millionnaires.
Le tout, pour un travail d'une rare modestie, comme en attestent les audiences de la commission Gomery. Jean Lafleur avait notamment l'habitude de confier en sous-traitance des travaux d'impression du gouvernement, tout en prenant bien soin de majorer de 100 % la facture finale acheminée au ministère des Travaux publics. Il est aussi célèbre pour avoir facturé l'équivalent de 23 semaines de travail à temps plein pour choisir l'emplacement d'une vingtaine de panneaux publicitaires au Stade olympique. Et pour ses crises d'amnésie -- «je ne me souviens pas, M. le commissaire» -- qui ont irrité au plus haut point le juge John Gomery.
Aujourd'hui, la justice a rattrapé Jean Lafleur, du moins en principe. Le substitut en chef du procureur général a déposé contre lui, et lui seul, 35 accusations de fraude pour autant de projets de commandite réalisés entre le 29 septembre 1996 et le 9 mai 2001. Le montant des fraudes varie de 366 910 $, pour la tournée du Bluenose II, à 1000 $ pour de modestes événements régionaux, comme le Festival de l'oie blanche ou le Festival western de Saint-Victor. L'homme est innocent, jusqu'à preuve du contraire.
Il était de notoriété publique que Jean Lafleur faisait l'objet d'un enquête criminelle. La Sûreté du Québec (SQ) a saisi plus de 50 boîtes de documents à l'agence de M. Lafleur, comme l'ont révélé les enquêteurs lors du procès pour fraude de l'ex-directeur du programme des commandites, Charles Guité (un autre bon ami de Jean Lafleur). Le dossier, initialement confié à la GRC, a été transféré à la SQ après que la police fédérale eut constaté qu'elle avait retenu les services du publicitaire pour l'organisation de son 125e anniversaire. De fait, M. Lafleur fait l'objet d'une accusation de fraude, d'une valeur de 108 869 $, pour son travail auprès de la GRC.
Un fugitif
Jean Lafleur est, depuis hier, un fugitif. Il n'a pas été vu à son appartement de la rue Saint-Jacques, dans le Vieux-Montréal, depuis qu'il y a emménagé, le 2 juin 2005. Un jeune avocat s'est présenté à l'appartement, il y a environ un mois, dans le but de le vider de son contenu, révèle le mandat d'arrestation délivré contre lui. Le bail, qui vient à échéance le 1er mai, n'a pas été renouvelé.
Le dernières nouvelles au sujet de Jean Lafleur ont été rapportées dans Le Devoir du 9 décembre 2005. Le publicitaire déchu avait acquis une réputation de désagréable fêtard au Costa Rica, où il séjournait depuis la fin des audiences de la commission Gomery. Des voisins avaient décrit M. Lafleur comme un homme grossier et ignorant ne faisant preuve d'aucun civisme.
L'avocat qui représentait M. Lafleur lors de la commission Gomery, Jean-Claude Hébert, n'a pas rappelé Le Devoir hier.
Selon Daniel Leblanc, le journaliste du Globe and Mail qui fut le premier à lever le voile sur le scandale des commandites, la mise en accusation de Jean Lafleur a une forte valeur symbolique. «On avait tous vu à la commission Gomery qu'il y avait des factures qui soulevaient beaucoup de doutes et on voyait que, dans certains cas, il y avait très peu de travail. Monsieur et madame Tout-le-monde se souvenaient de son témoignage et du fait qu'il avait refusé de répondre à beaucoup de questions», a rappelé M. Leblanc, auteur d'un livre sur le scandale intitulé Nom de code: maChouette.
Le juge Gomery s'était d'ailleurs montré cinglant à l'égard de M. Lafleur dans son rapport d'enquête. Il retenait que le publicitaire préférait «passer pour un imbécile plutôt que de dire la vérité».
M. Lafleur est cependant bien loin d'être un imbécile. Professeur d'éducation physique, puis commissaire scolaire à Pointe-aux-Trembles, il a fondé son agence en 1984. Jean Lafleur Communication Marketing a vivoté pendant ses dix premières années d'existence. M. Lafleur se dégageait tout au plus un salaire de 108 000 $ en 1994. Avec le programme des commandites, il a vu son salaire grimper à 815 000 $ l'année suivante, puis à 2,5 millions pour les deux années suivantes. M. Lafleur menait un train de vie flamboyant, et il lui arrivait parfois d'acheter tous les forfaits pour la pêche au saumon mis en vente lors d'encans annuels à Montréal.
L'homme savait également se montrer généraux. Sa famille, son entreprise et lui ont ainsi arrosé le Parti libéral du Canada, section Québec (PLC-Q) de contributions de plus de 150 000 $ au fil des ans. M. Lafleur a aussi consenti des contrats de 1,8 million à Pluri-Design, propriété de Jacques Corriveau. Celui-ci, un ami intime du premier ministre, a été désigné par le juge Gomery comme le père du système de ristournes mis en place pour financer le PLC-Q à même l'argent des commandites.
Par ailleurs, le procès d'un autre acteur impliqué dans le scandale des commandites, le publicitaire Jacques Paradis, s'est ouvert hier matin à Montréal. M. Paradis est accusé d'avoir détourné 58 000 $ sur une commandite des Expos de 314 200 $. Son procès, devant un jury de six hommes et six femmes, devrait durer trois semaines tout au plus.


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