La fuite en avant...

Accommodements - Commission Bouchard-Taylor


Lorsque Mario Dumont a dénoncé une série d'accommodements qui semblaient faire peu de cas des droits autres que religieux, il a mis le doigt sur un problème bien réel, dont il était urgent de débattre publiquement.

Nous avons applaudi à l'idée du gouvernement Charest de nommer des commissaires dont la réputation s'était bâtie, entre autres, autour de leur réflexion sur les fondements de la nation et du multiculturalisme, plusieurs déplorant toutefois qu'aucun commissaire ne représente les minorités religieuses, sur lesquelles on voulait s'interroger, ou les femmes, dont les droits semblaient menacés.
Résolument optimistes, les commissaires se sont lancés dans une vaste consultation, débordant largement la question des accommodements raisonnables, optant pour une tournée médiatique où tout un chacun pourrait parler librement de son expérience ou, à défaut de celle-ci, de ses sentiments sur le sujet.
Le choix de placer Montréal (où se concentre près de 90% de la population québécoise immigrée) en queue de liste dans cette consultation populaire revenait à privilégier les sentiments sur l'expérience; le fait de choisir de surcroît une approche hautement médiatisée a permis aux participants plus radicaux de capter l'attention, avec les effets que l'on constate aujourd'hui.
Un autre choix, plus surprenant de la part de scientifiques et de spécialistes de la citoyenneté, a été de ne pas mettre préalablement sur la place publique les études déjà faites ou celles en cours sur la gestion de la diversité religieuse, rendant l'exercice de consultation encore plus volatil. (…)
En choisissant par ailleurs de lier la question des accommodements raisonnables à celle, beaucoup plus large, de l'intégration des immigrants, la commission a réduit - sans doute à son corps défendant - la question de l'intégration des immigrants à celle des accommodements raisonnables.
Une majorité de Québécois semble voir aujourd'hui chez les demandeurs d'accommodements religieux les représentants de leur communauté tout entière, alors qu'il n'en est rien. Les études qui ont été faites sur l'intégration des immigrants depuis les 20 dernières années nous présentent très largement des citoyens en quête de liberté et de démocratie, ravis de la convivialité et de la diversité d'une ville comme Montréal.
Énormes sacrifices
Pour les immigrants qui ont fui des régimes autoritaires, cette liberté et cette égalité ont souvent été acquises au prix d'énormes sacrifices: immigrer a consisté à perdre tout ce qu'ils avaient dans leur pays d'origine et à tout recommencer ici: apprendre une autre langue, s'insérer dans une autre culture, vivre beaucoup plus pauvrement qu'avant, refaire des cours déjà réussis dans le pays d'origine pour voir reconnaître leurs qualifications, etc. Se rend-on compte, par ailleurs, que même s'il y a de plus en plus d'immigrants allophones (les bassins de francophones de par le monde sont restreints!), le français n'a cessé de faire des progrès notables chez l'ensemble des immigrants?
Malheureusement, ce qui ressort de la couverture des travaux de la commission, ce n'est pas la sympathie pour la grande majorité des immigrants qui essaie, à grands efforts, de s'intégrer à la société québécoise ou la position de celles et ceux, parmi les anciens Québécois, qui les ont accompagnés dans cette démarche.
Les minorités se sentent de plus en plus tassées sur la place publique, et en particulier, les minorités musulmanes francophones que le Québec recrute en priorité à l'étranger depuis des années. Le patient travail fait dans les écoles et dans les divers services publics pour promouvoir un rapprochement entre les francophones et les minorités ethniques depuis l'adoption de la loi 101 semble maintenant menacé. On jette le bébé avec l'eau du bain
Les positions récentes du Parti québécois sur le projet de citoyenneté québécoise illustrent bien ce virage. A-t-on vraiment besoin d'un tel projet alors que les minorités se sentent plus que jamais rejetées des Québécois français (je ne dis pas francophones, car bien des immigrés, le sont)? Peut-on imaginer deux secondes qu'un député non-francophone à l'Assemblée nationale du Québec le resterait longtemps? Cela s'est-il jamais produit depuis les années 70? Et surtout, croit-on vraiment qu'on gagnera le coeur des minorités par la contrainte?
La loi 101 a massivement francisé les enfants d'immigrants: on n'a qu'à fréquenter un tant soit peu les écoles françaises de l'île de Montréal pour s'en convaincre. Cette loi mérite d'être protégée des récents assauts qu'elle a subis. Mais si cette loi assure à la «deuxième génération» une connaissance du français lui permettant de participer aux débats citoyens, elle n'assurera jamais aux Québécois français le coeur des immigrés: celui-ci sera gagné par l'échange, la compréhension, la solidarité. Et bien sûr, le respect mutuel.
Celui-ci n'exige pas une révision de fond en comble de nos valeurs fondamentales (démocratie, liberté, égalité) que nous devons continuer à défendre. Il suffit d'accueillir des migrants qui ne demandent que cela, dans leur très grande majorité.
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Anne Laperrière
L'auteur est professeure associée au département de sociologie de l'Université du Québec à Montréal.
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