La fracture linguistique

Montréal - le choc


Le maire Gérald Tremblay a obtenu ses pires résultats dans des arrondissements à forte majorité francophone. Et c'est dans d'anciennes villes fusionnées à Montréal, où vivent une forte proportion d'anglophones ou d'immigrés, qu'il a enregistré ses victoires les plus marquantes.
Plusieurs facteurs expliquent cette fracture. Le plus important : associée à la fois aux fusions forcées et au mouvement souverainiste, Louise Harel n'a pas réussi à percer le mur d'hostilité auquel elle se heurte dans l'électorat anglophone.
Le fait que Mme Harel ait été ministre dans un gouvernement du Parti québécois posait problème dès le début, souligne Jack Jedwab, directeur de l'Association des études canadiennes. «Les stratèges de Vision Montréal ont pensé qu'elle pouvait gagner sans l'appui des anglophones, mais ça n'a pas été le cas», constate-t-il.
La candidature de Louise Harel était très «polarisante», renchérit Jaideep Mukerji, de la firme de sondages Angus Reid. Il rappelle que Mme Harel obtenait à peine plus de 10 % d'appuis chez les anglophones. Ses défaillances linguistiques ne l'ont pas aidée à remonter la pente. «Le fait qu'elle ne pouvait pas s'adresser directement à la communauté anglophone lui a fait mal», croit M. Mukerji.
Les électeurs anglophones auront retenu une image de Mme Harel : celle où elle n'a pas voulu répondre à des questions en anglais, à la fin du débat à Radio-Canada. «Elle a refusé avec un air fâché», rappelle Jack Jedwab.
Selon lui, si les Anglo-Montréalais n'ont pas hésité, dans le passé, à voter pour des souverainistes tels que Jean Doré ou Pierre Bourque, c'est parce que ces derniers n'avaient jamais joué de rôle de premier plan au Parti québécois, et aussi parce qu'ils avaient réussi à construire leur «identité montréalaise».
Ce n'est pas le cas de Mme Harel, qui est arrivée sur la scène municipale à la dernière heure, avec plusieurs squelettes dans son placard.
Le poids des fusions
L'un de ces squelettes, ce sont les fusions municipales. Il est intéressant de constater que cinq des six arrondissements où Gérald Tremblay a obtenu ses plus fortes majorités - c'est-à-dire plus de voix que ses deux adversaires réunis - sont en fait d'anciennes villes qui avaient été fusionnées à Montréal à leur corps défendant. Il s'agit de Saint-Léonard, Saint-Laurent, LaSalle, Lachine et Pierrefonds-Roxboro.
À l'époque de la «défusion», ces villes ont choisi de ne pas faire sécession en échange de nouveaux pouvoirs. Or, Louise Harel avait annoncé ses intentions centralisatrices. La pilule passait mal.
«Les électeurs ont plus de mémoire qu'on ne croit», souligne à ce sujet le politicologue Jean-Herman Guay.
Candidat défait à la mairie de Villeray-Parc-Extension-Saint-Michel, Marcel Tremblay est d'ailleurs convaincu que si Mme Harel avait été élue, ces cinq arrondissements auraient tenté de se séparer de la métropole.
«C'est parce qu'elles s'étaient assurées de garder leurs services de proximité que ces anciennes villes avaient accepté de rester avec nous», souligne-t-il.
Marcel Tremblay est par ailleurs le premier à reconnaître que la candidature de son frère Gérald ne passait pas très bien chez les francophones.
À un point tel que, dans son propre arrondissement, il s'est contenté de faire campagne dans les quartiers multiethniques de Parc-Extension et de Saint-Michel, laissant
carrément tomber les électeurs de Villeray.
«Ça ne me donnait rien de perdre mon temps là-bas», explique-t-il, fataliste.
Pas étonnant que Gérald Tremblay ait obtenu des résultats faméliques dans des arrondissements fortement francophones, comme Mercier-Hochelaga-Maisonneuve et Rosemont-La Petite-Patrie, où moins du tiers des électeurs lui ont accordé leur confiance.
Et le «facteur Bergeron» ? Selon Jack Jedwab, les anglophones étaient beaucoup moins réfractaires à accorder leur voix au leader de Projet Montréal qu'à Louise Harel, malgré ses opinions excentriques.
Plusieurs d'entre eux se sont peut-être rabattus sur Gérald Tremblay en voyant les résultats du dernier sondage, publié dans La Presse, qui donnait l'impression que les trois candidats étaient quasiment à égalité. Et que Richard Bergeron avait donc des chances d'accéder à la mairie.
«Quand ils ont vu qu'il pouvait gagner, des électeurs ont probablement eu peur», avance Jaideep Mukerji. Et dans l'électorat anglophone, ces convertis de la dernière heure ont majoritairement voté pour Gérald Tremblay.


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