L'argent et le vote ethnique

Montréal - le choc

À plusieurs reprises au cours des dernières semaines, Louise Harel a répété que sa candidature dérangeait l'ordre établi et menaçait des intérêts financiers puissants.
Cette semaine, lors du débat entre les candidats à la mairie organisé par la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, tout le monde a été en mesure de constater où allait la préférence de la communauté des affaires. Les partisans du maire Tremblay tenaient solidement la place.
Ceux qui l'ont applaudi à tout rompre n'ont pas semblé troublés outre mesure d'apprendre que «la réputation de Montréal comme ville la plus pourrie du continent renaît», comme l'écrivait le Globe and Mail mercredi, et que Le Monde compare la métropole à Palerme. Il est vrai qu'ils s'étaient également levés d'un bond pour ovationner Henri-Paul Rousseau en mars dernier, quand l'ancien président de la Caisse de dépôt était venu leur expliquer en primeur comment il avait perdu 40 milliards.
Il y avait sans doute dans l'assistance des gens qui partagent fréquemment une loge au Centre Bell avec les principaux membres du comité exécutif de la Ville, comme Le Devoir le révélait jeudi.
Chose certaine, les trois principaux candidats ne luttent pas à armes financières égales. Union Montréal n'aura sans doute aucune difficulté à dépenser le maximum autorisé, soit 2,3 millions. Vision Montréal en dépensera environ la moitié. Projet Montréal, à peine 200 000 $.
On a beau dire que l'argent est le nerf de la guerre, il est quasiment un handicap dans cette campagne dont la corruption est devenue presque le seul enjeu. La vertu des candidats à la mairie est présumée directement proportionnelle à la pauvreté de leur organisation.
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Certes, l'argent donne les moyens de «faire sortir le vote», mais l'ADQ a prouvé en 2007 qu'il n'est pas toujours nécessaire d'escorter les électeurs jusqu'au bureau de scrutin quand ils sont motivés par la colère ou l'indignation.
À la veille du scrutin, les résultats du sondage Angus Reid-La Presse publiés hier laissent le suspens entier, mais le simple fait que le maire Tremblay se retrouve en troisième place en dit long sur l'humeur maussade de l'électorat. Il y a longtemps qu'on avait vu une aussi belle illustration de l'adage voulant qu'on ne vote pas pour l'opposition, mais contre le gouvernement.
Même ceux qui sont trop blasés pour être écoeurés par la corruption qui règne à l'Hôtel de Ville ont dû avaler de travers hier en apprenant que, loin du simple ajustement au taux d'inflation évoqué par le maire, l'administration Tremblay prévoyait de hausser les taxes de 16 % au cours des quatre prochaines années, même s'il fallait «tenir ça mort jusqu'au 1er novembre», selon une source de La Presse. Il est toujours enrageant d'apprendre au lendemain d'une élection qu'on s'est fait rouler. Être prévenus avant est une aubaine à ne pas manquer.
Bien entendu, certains ont un seuil de tolérance à la magouille plus élevé que d'autres. Par exemple, après avoir consacré exactement six lignes et demie aux allégations de corruption, l'éditorial de The Gazette a préféré mettre l'accent sur les «accomplissements significatifs» de M. Tremblay au cours des huit dernières années et recommandé à ses lecteurs de l'appuyer «faute de mieux».
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Assez curieusement, dans son édition d'hier, La Presse n'a pas publié la ventilation des intentions de vote selon la langue des personnes interrogées. Personne ne sera étonné d'apprendre que les anglophones, dont l'unité canadienne est la priorité absolue, appuient Gérald Tremblay dans une proportion de 49 %, loin devant Richard Bergeron (27 %).
Louise Harel (11 %), qui porte les stigmates de la souverainiste «pure et dure» en plus d'être la vilaine sorcière qui a bouleversé la quiétude des riches municipalités de l'ouest de l'île, arrive même derrière Louise O'Sullivan (13 %).
Encore une fois, les deux solitudes sont aux antipodes. Mme Harel est de loin la préférée des francophones, avec 44 % des intentions de vote, suivie de M. Bergeron (32 %) et de M. Tremblay (23 %).
Les chiffres les plus intéressants sont cependant ceux qui concernent le «vote ethnique». Ceux dont la langue la plus souvent parlée à la maison n'est ni le français ni l'anglais appuient dans l'ordre: Bergeron (44 %), Tremblay (40 %) et Harel (10 %). Il est vrai qu'avec un échantillon limité pour ce sous-groupe, la marge d'erreur est nettement plus élevée (15 %), mais les écarts sont beaucoup trop importants pour ne pas être significatifs.
Pour la chef de Vision Montréal, qui a consacré beaucoup de temps aux communautés culturelles durant la campagne, ces chiffres sont certainement très décevants. Même si l'élection de lundi n'a en principe rien à voir avec la souveraineté, il est difficile de ne pas penser à la célèbre phrase prononcée par Jacques Parizeau le soir du référendum de 1995.
Clairement, le seul candidat qui a des appuis significatifs dans toutes les composantes de la société montréalaise est Richard Bergeron. Ses adversaires peuvent toujours objecter qu'il n'a ni l'expérience ni l'équipe pour gérer la métropole, sans parler des curieuses théories qu'il véhicule, force est de constater que le chef de Projet Montréal est le plus «rassembleur».


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