L'art de voter contre ses propres intérêts

Montréal - le choc

Avertissement: ceci n'est pas une chronique "montréalocentrique". De fait, c'est le Québec tout entier qui devrait s'intéresser de près aux circonstances entourant la victoire de Gérald Tremblay à la mairie de Montréal. Pourquoi?
1) Parce que c'est la métropole du Québec. 2) Parce que le parfum de corruption et de collusion qui y flotte porte à croire que tous les contribuables ont payé et pourraient encore payer des milliards en trop en infrastructures dont les prix sont gonflés artificiellement. 3) Parce que, malgré ces fortes odeurs de scandale, le vote non-francophone est encore et surtout allé à Gérald Tremblay. Question, en bonne partie, de ne pas se réveiller avec une mairesse vue comme une "séparatiste pure et dure".
Résultat: il fut impossible de défaire une administration discréditée. Car il aurait fallu pour ce faire que les francophones votent massivement, et avec un taux supérieur à celui des non-francophones, soit pour Louise Harel, soit pour Richard Bergeron. Grosse commande en cette ère de désengagement généralisé, de même que pour des francophones habitués à exercer une diversité dans leurs choix politiques.
Donc, le petit 38 % de participation des Montréalais n'est pas tant ce qui a aidé le maire sortant. C'est surtout la combinaison du vote des anciennes villes pré-fusion, de la concentration du vote non francophone anti-Harel et de la dispersion du vote francophone entre les trois principaux candidats, incluant un appui minoritaire à Gérald Tremblay.
Mon collègue [Michel David du Devoir résumait le tout ainsi->23086]: "Plusieurs en concluront qu'aux yeux de certains, la mafia vaut encore mieux que les séparatistes. Cela ne contribuera pas à renforcer la cohésion sociale de la métropole." C'est le moins qu'on puisse dire.
Ne pas "blâmer"
Qu'on se comprenne bien. Il n'est pas question de "blâmer" ou de remettre en question la légitimité du vote non francophone. Chaque personne a le droit de voter comme elle l'entend. Toutefois, objectivement, parce que cela a un impact sur la prise de décisions majeures, on ne peut pas faire l'autruche devant un certain refus d'une majorité de non-francophones de distinguer les enjeux liés à la question nationale de ceux qui ne le sont pas et ce, semble-t-il, pour cause d'anti-nationalisme obsessionnel. Quitte, cette fois-ci, à faire fi d'enjeux aussi majeurs que l'éthique et une saine gestion des fonds publics.
Mais le sujet gêne. Pourtant, il est évident que ce débat est devenu nécessaire. Y compris au sein même des communautés non francophones et entre la majorité et les minorités.
Alors que dans la plupart des sociétés occidentales, le "pourquoi" du vote des minorités est un sujet normal d'analyse, ici, la chose demeure délicate et est même parfois présentée comme une preuve d'intolérance.
Bien sûr, d'autres facteurs ont joué contre Louise Harel chez les non-francophones. Autant d'ailleurs que chez les francophones n'ayant pas voté pour elle. Certains ne lui ont pas pardonné les fusions. D'autres, qu'elle se soit associée à Benoît Labonté. D'autres ont douté qu'elle comprenne Montréal. D'autres, encore, appuyaient simplement le programme de Projet Montréal et cherchait un renouveau de la classe politique.
Mais il semble bien qu'auprès des non-francophones, l'allégeance "séparatiste" de Louse Harel fut tout au moins un facteur majeur. Et bien plus encore, si vous me le demandez, que son unilinguisme. En fait, même si elle avait pu réciter l'œuvre complète de Shakespeare avec l'accent de la Reine, son étiquette halloweenesque de "separatist hard-liner" l'aurait quand même disqualifiée aux yeux de nombreux anglophones et allophones.
Toujours le même phénomène: dès que la plupart des non-francophones perçoivent le moindre lien, même imaginaire, entre la question nationale et un quelconque choix électoral, leur vote bascule.
Tellement que si Richard Bergeron n'avait pas offert une alternative crédible à ceux qui, parmi les non-francophones, étaient incapables de voter Tremblay dans les circonstances, ce dernier aurait eu une victoire encore plus marquée! Je me répète: même dans une élection où l'éthique et la gestion des fonds publics formaient l'enjeu principal.
Pourtant, au fil du temps, les francophones ont élu et reconduit une brochette de maires fédéralistes. Ils l'ont fait parce qu'ils font la distinction entre la gouvernance d'une ville et la question nationale. Aussi, parce qu'ils sont habitués à côtoyer dans leur vie quotidienne, même jusque dans leurs familles, des gens persuadés du contraire d'eux sur le sujet! Ce qui est plus rarement le cas dans la plupart des communautés minoritaires.
Le plus triste est que cela crée l'impression que dès qu'ils croient apercevoir le bout du nez de la question nationale, même à tort, la majorité des non-francophones adoptent un comportement électoral surtout émotif. Comme figé dans le temps. Comme s'ils étaient encore en 1980, en 1995, ou éternellement à la veille d'un prochain référendum! Comme s'ils réduisaient la pensée et la vie de toute personne publique dite "séparatiste" à ça. À moins, bien sûr, que ce ne soit un nationaliste "soft" à la Jean Doré. Ou un converti sur le tard au fédéralisme à la Pierre Bourque.
Bien sûr, on peut comprendre que les anglophones votent dans le sens de leurs intérêts politiques lors d'un référendum. Mais lorsque autant d'entre eux votent aussi contre leurs propres intérêts de citoyens et de contribuables en contribuant à reconduire un maire discrédité en bonne partie pour éviter une mairesse "séparatiste", là, il est temps qu'on s'en parle. Calmement et dans le respect. Mais qu'on s'en parle...


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