La fin souhaitée des antithèses

Chronique d'André Savard


On ne sait plus parfois s’il s’agit de politique ou si on ne s’est pas assigné la tâche de partager ses grandes pensées profondes sur l’univers. Le mieux aurait été de tourner sa veste tout de suite en disant à tous ceux qui s’occupent de politique qu’ils ne sont pas le Dalaï Lama et qu’ils peuvent garder leurs grandes révélations pour eux-mêmes.
Le combat québécois a toujours été présenté en termes de thèses et d’antithèses. Le nationalisme civique contre le nationalisme ethnique, l’Etat nation contre l’Etat fédéré, l’individu contre la tribu. Cette nomenclature binaire s’est tellement imposée que le quidam comme le politicien chevronné a fini par lui prêter des bases scientifiques.
Dans les faits, la sociologie contemporaine ne trace pas une telle ligne de partage. L’individu est un processus de fabrication sociale et l’individualisation, en retour, structure la société. Que l’on parle d’individu ou de société, en sociologie, on parle de la même pâte. La société ne se situe pas comme uns abstraction civique, une planche de salut vers la transcendance pour l’ethnie qui la compose principalement, ou comme une suite de devoirs et de droits.
Ce sont les politiciens fédéralistes ou les discoureurs hâtifs qui parlent de la citoyenneté comme de l’occasion d’une rupture avec l’ensemble des conditionnements qui balisent une société, des conditionnements tout à la fois familiaux, ethniques, groupaux et individuels. Le discours politique dans le cadre du combat québécois consiste à monter de toutes pièces des concepts inexistants dès qu’on les rapporte à une méthodologie honnête. Ces concepts ne servent que des fins logistiques pour juger des termes d’opposition, élever l’un contre l’autre des facteurs qui, dans la réalité, sont dans un constant aller-retour, un appui mutuel.
La nation nourrit la société, l’un est le substrat de l’autre. Dans Génèse de la société québécoise, le sociologue Fernand Dumont intitule une partie de son ouvrage « La Construction de la Référence ». Il dépeint une nation en manque d’indicateurs de légitimation pour fonder son être en paroles et en actes.
Pour caractériser l’état de cette nation au XIXe siècle, Dumont emploie ces mots : « Nous avons vu, au chapitre précédent, que le discours qui décrit les Canadiens en fait d’abord des citoyens anglais. Pour le mieux affirmer, on s’efforce d’effacer la dualité entre Français et Anglais; seule une minorité identifiée avec la bureaucratie et ses affidés est vilipendée parce qu’elle trouble l’harmonie qui devrait régner dans un peuple de citoyens ». À cette époque, on identifiait l’oligarchie britannique à la race élue et le peuple canadien à la citoyenneté.
À cette époque, le grand indicateur qui statuait de la légitimité supérieure était le critère de la race. Les Anglais s’y identifiaient et distinguaient le peuple canadien par le critère moindre de la citoyenneté. Les peuples en concurrence cherchent toujours à s’emparer des bons indicateurs de légitimation et à en priver l’autre. C’est cela qui guide l’interaction. Les principes philosophiques sont mouvants, simples jouets, instruments pour alimenter la propagande.
Aujourd’hui, on présente les nationalistes québécois comme un empêchement accidentel à l’unité des citoyens. On utilise le mot « citoyen » dans leurs discours pour désigner un statut qui, pour emprunter les termes de Dumont, « se veut solidaire d’une population plus vaste, de l’autre société pour tout dire ».
Des intérêts sont en jeu entre deux groupes ethniques. Au XIXe siècle comme en 2008, on déguise le tout sous des enjeux philosophiques. On en fait toujours une lutte entre l’unité et le particulier alors que dans les faits il y a deux nations particulières, la québécoise voulant être le pôle de sa propre unification sociale et la nation canadienne qui veut l’assimiler. Le caractère englobant du Canada ne provient pas d’une vocation supérieure à l’universel mais, en 2008 comme au cours de toutes les années antérieures, le Canada versera à plein régime dans cette prétention.
La théorie d’une dualité entre l’unité et le particulier est installée d’entrée de jeu au Canada. Les faits ont par rapport à cette théorie un strict rôle d’illustration-confirmation. Les Québécois ont peur du voile, dira-t-on. Les Québécois redoutent les signes culturels. Chacun de nos souffles au Québec peut se traduire en « fait » prêt à être pensé comme le signe du virus dont notre petite nation serait victime faute de canadianisation suffisante.
Dans le discours canadien, la nation québécoise n’est pas un fait réel. Elle est un écran de projection, une personnification de la mauvaise conscience. Et les fédéralistes, en 2008 comme auparavant, attribueront benoîtement cette théorisation canadienne sur le dos du Québec au fruit de la diversité des opinions. Ils vanteront cette magnifique chance de vivre dans un pays qui nous invite si gentiment à l’autocritique.
Or, dans cet aller-retour entre théorie et terrain, le Québec, envers de la citoyenneté, le Québec, envers de l’égalité, le Québec, envers de la diversité, on voit la nation québécoise simple jouet intellectuel manipulé par des activistes canadiens qui en font le terme négatif dans leur perpétuelle quête de renversement. 2008 s’ouvre et la population québécoise loge dans le grand théâtre imaginaire à titre d’ethnie réfractaire. On aura des discours à la pelle pour notre anniversaire soulignant qu’il n’est jamais trop tard et qu’il faut surmonter nos mauvais penchants.
On le sait. Après la Conquête on se faisait dire que le régime anglais nous permettrait de dépasser notre ancien mode social basé sur l’autoritarisme. Nous sommes encore dans un cadre politique qui nous propose catharsis, thérapie, transcendance philosophique. Inutile de dire que cela a assez duré, que l’on est désespéré de la politique et que désormais on ne sera que des individus. Comme individus, nous n’avons d’autres choix que d’être les témoins de ces grilles de construction de la réalité.
Autant le projet de citoyenneté québécoise qu’une Constitution du Québec stipulant l’attachement de la nation québécoise à la souveraineté seraient des étapes bienvenues. Ces étapes seraient des indicateurs d’une légitimité émergente, un pari sur l’acceptabilité d’une nouvelle construction de la réalité où la nation québécoise sera enfin un fait avéré, pas un fait à tasser dans des interprétations canadiennes.
André Savard


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2 commentaires

  • Jean Pierre Bouchard Répondre

    7 janvier 2008

    Se laisser individuellement définir péjorativement par les autres est la pire des aliénations et il en va de même pour les peuples.
    La vie humaine est faite de conflits traversés par les divergences d'intérêts.
    Nous n'avons pas le choix en tant que Québécois ou sur le plan individuel d'êtres combatifs. Si il y a une dualité indiscutable c'est que nous ne sommes pas les autres et que jamais ceux ci se mettrons à notre place. Les groupes nationaux doivent connaître en leur sein un minimum de solidarité du fait que le monde est bien trop vaste pour s'intéresser aux peuples minoritaires comme le nôtre.
    La souveraineté est la voie en discussion qui doit éventuellement se remettre en route afin que notre reconnaissance nationale obtenue nous procure enfin une visibilité honnête et du respect sur cette planète.

  • Raymond Poulin Répondre

    7 janvier 2008

    Peut-être quelqu'un devrait-il offrir à Mme Marois un dictionnaire, un réveille-matin, une carte de membre du Parti québécois et lui rappeler qu'elle en est le chef puisqu'elle semble l'avoir oublié.