Pour ne pas servir de la poutine au 400e

Chronique d'André Savard


La délégation du Québec à Paris a fait grand honte lors des dernières célébrations du 24 juin en servant de la poutine dans des barquettes de plastique à ses invités. Aurons-nous honte lors des festivités entourant le 400 ème anniversaire? Elles demanderont un savoir-faire gastronomique. Le Québec ne manque pas de gastronomes ni de fins cuisiniers mais lors de la composition des menus, il fait montre d’une ignorance crasse au sujet de son patrimoine culinaire.
Dans un sondage récent, le pâté chinois a été élu “mets national des Québécois”, le fameux “steak, blé d’Inde, patates” qui inspirait tant de moqueries de la part des personnages de la série télévisée La Petite Vie. La cuisine québécoise est pourtant très riche, étonnante, et elle ne se limitait pas au ketchup et aux grosses sauces brunes.
Pour ce qui est des soupes d’abord, il est à espérer que ceux qui confectionneront les menus redécouvriront la soupe aux fines herbes, celle qui demande une tasse de cerfeuil et une tasse de cresson, de même que des feuilles de sauge. On devrait éviter la soupe aux pois, trop connue, et aller vers les nombreuses soupes québécoises négligées: la soupe aux navets blancs, la soupe à l’oseille, la soupe à l’orge à l’ancienne qui demande un os de gigot d’agneau et qui se parfume à la sarriette.
Pour ce qui est du plat principal, on devrait rester axé sur la redécouverte. La cuisine du terroir compte de nombreuses recettes à base de pigeons. Dans la tradition, on faisait revenir les pigeons dans le saindoux. Une fois bien dorés, on l’apprêtait avec plusieurs tasses de bouillons, de l’ail et de l’herbe salée. Ou encore, on les nettoyait à l’eau additionnée de vinaigre, on les faisait revenir dans le lard salé. Ensuite on les faisait mijoter avec des oignons, du thym, de la sauge et de la muscade. Le pigeon a une excellente viande brune.
Le problème toutefois avec ces recettes au pigeon, outre la difficulté de trouver une épicerie qui en fournit, ce sont les quantités: elles comptent six pigeons, le menu des familles de douze. Tous ceux qui connaissent la cuisine savent que les réajustements dans les quantités conduisent parfois à des catastrophes.
On trouve de nombreuses recettes québécoises de lièvres, de canard, du poulet cuit à l’avoine, aux choux, au miel, aux oignons et à l’orge. Il n’y a aucune raison de penser que notre cuisine se limite au ragoût de pattes et à la soupe aux pois, encore moins à la poutine et au pâté chinois. D’ailleurs, il existe une recette traditionnelle de pâté chinois qui demande du poivre rouge, de la sarriette, du macis et de la muscade. Thérèse, le personnage de la petite vie, aurait beaucoup plus à mémoriser que le sempiternel « steak, blé d’Inde, patates ».
La cuisine québécoise ne négligeait ni les épices ni la variété des viandes. Elle savait tirer parti de toutes les parties du corps d’une bête. Il existe une recette de queue de boeuf du Saguenay excellente si on fait revenir la queue coupée en petits morceaux dans de la bonne graisse de rôtie. La gibelotte de Bonaventure se compose de têtes de morue. On mangeait aussi de la cervelle, celle du veau notamment parce qu’on savait enlever la membrane et faire blanchir la viande au vinaigre pour la rendre ferme.
Donc, si on se croit confiné aux barquettes en cellophane remplies de poutine, c’est parce qu'on se montre obnubilé par le maigre horizon contemporain. Face à la cuisine québécoise, il faut se garder contre un dédain trop prompt. Oui, nos ancêtres mangeaient par exemple des feuilles de pissenlit qu’ils faisaient revenir dans de la graisse de rôti. En premier lieu, on faisait revenir un oignon dans la poêle. Le plat est succulent.
La salade de pissenlit servie à la québécoise est également excellente. Les feuilles de pissenlit sont combinées avec de la ciboulette, des pommes de terres cuites et de la crème fraîche. Les feuilles des betteraves se mangent aussi. On utilisait les feuilles de betteraves qu’on faisait cuire dans de l’eau salée. On les arrosait ensuite de beurre fondu aromatisé de muscade.
Il existe plusieurs recettes de poissons, anguille, pains de morue. Le contexte social ayant changé il est plus difficile de parler des nombreuses recettes à la marmotte. Il existe même parmi les nombreuses recettes de gibier du ragoût d’écureuil aux “grands-pères”, de l’écureuil au beurre qui demande sauge, laurier et muscade.
Ce n’est sans doute pas mauvais quoique, la chasse à l’écureuil n’étant pas un passe-temps recommandable, il est préférable de faire découvrir à nos hôtes le fricandeau, le ragoût d’agneau aux pois verts avec laurier, thym et moutarde sèche. Par la même occasion, ce serait bien d’inviter les membres des délégations québécoises pour qu’ils connaissent eux-mêmes les vrais classiques du terroir.
Si la poutine passe pour le fleuron de la tradition culinaire québécoise, elle est pourtant d’invention récente. Le mot “poutine” en cuisine désignait en fait, au Québec, un dessert particulier. On fait bouillir de l’eau dans une grande marmite et on met de côté une portion de raisins secs enfarinés. On mélange une pâte dans un grand morceau de coton. On referme le morceau de coton avec assez d’espace pour permettre à la pâte de lever et on coud le coton.
Ce simple geste disqualifie tous ceux qui ne savent pas coudre. On met le sac dans l’eau bouillante. On cuit dans l’eau bouillante et on dépose la pâte dans un moule graissé pour deux heures de cuisson à la vapeur. On servait chaud avec la sauce de son choix, le seul trait commun que la poutine contemporaine a conservé.
Cette chronique du premier janvier, épicurienne, aura préféré parler de pigeons à la broche, de pigeons à la canadienne et de têtes de morue sans toucher à la politique. On aura le temps de se reprendre! Bonne Année! Et à votre bonne santé!
André Savard


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