Depuis le début des mobilisations étudiantes, si la dimension intergénérationnelle du mouvement a été signalée à plusieurs reprises, son aspect interculturel l’a été beaucoup moins.
« Viens-tu manifester ce soir ? », me texte Rima, une jeune musulmane voilée de 23 ans qui se mobilise depuis plusieurs semaines pour dénoncer la loi 78. Plus tard, Kim, québécoise d’origine vietnamienne, me demande d’apporter une casserole supplémentaire pour qu’elle puisse dénoncer la violence policière dont un de ses amis a été victime. À l’âge de 24 ans, Kim vit sa première manifestation à l’angle des rues Saint-Denis et Laurier, chaudron à la main et fierté dans les yeux.
Pendant la marche, je fais la connaissance de Daniel, un jeune homme d’origine haïtienne qui met à jour son statut sur Facebook chaque minute. Il me confie avec excitation qu’il sollicite ses réseaux d’amis tous les vendredis soir pour leur donner rendez-vous à la place Émilie-Gamelin plutôt que dans les bars habituels du boulevard Saint-Laurent. Carré rouge tatoué sur le coeur, Daniel craint les conséquences néfastes pour lui et sa famille d’une augmentation des droits de scolarité.
À 22 h, en pleine manifestation, mon cellulaire sonne. Ma mère s’inquiète et me demande si je suis en sécurité. Contrairement aux parents qui ont enseigné l’art de l’indignation publique dès un jeune âge à leurs enfants, ma famille, d’origine chinoise, m’a transmis des valeurs de conformisme, de discipline et de respect de l’autorité. La revendication sociale n’a jamais été encouragée par mes proches, encore moins la participation à des manifestations. Je rassure alors ma mère, ris avec elle pour dédramatiser ses peurs et lui promets de faire attention.
Le nouveau « nous »
Je marche et passe à côté de trois jeunes filles dans la vingtaine, l’une au teint plus foncé, l’une au voile coloré et la dernière aux cheveux blonds, toutes criant ensemble : « La loi spéciale, on s’en câlisse ! » La traditionnelle division entre les différentes communautés est remplacée par le rythme des casseroles et le son des slogans rassembleurs. Voilà le nouveau « nous » québécois qu’il faudrait reconnaître et cultiver.
On reproche souvent aux personnes issues des minorités ethnoculturelles de briller par leur absence dans les débats sociaux et politiques au Québec et de ne s’intéresser qu’à la promotion des intérêts de leur propre communauté. Or, à travers le conflit étudiant, plusieurs jeunes issus des minorités se mouillent, quelques-uns pour la première fois, au sujet de décisions politiques québécoises. Rouges ou verts, ils s’impliquent dans des enjeux qui touchent non seulement leur communauté d’origine, mais l’ensemble de la société québécoise.
Il y a d’intéressantes leçons à tirer du conflit social actuel sur les rapports entre majorité et minorités. L’engagement des nouvelles générations issues des minorités démontre qu’elles ne s’intéressent pas qu’aux seuls enjeux de leurs communautés respectives. Plutôt, leur mobilisation contribue au renforcement de notre démocratie et illustre leur attachement profond au Québec.
Ainsi, il faut souhaiter que les mouvements citoyens continuent à rassembler au-delà des différences culturelles et linguistiques, et que ce dynamisme devienne une caractéristique permanente de la vie publique québécoise.
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Cathy Wong - Juriste
Conflit étudiant
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