Face à la Tunisie et à l'Égypte

La diplomatie française en panne

Géopolitique — Proche-Orient



On croyait qu'elle était le point fort de Nicolas Sarkozy. Depuis le «printemps arabe», la diplomatie française essuie revers sur revers. Derrière le scandale des ministres qui prennent des vacances aux frais des dictateurs se cache une diplomatie sinistrée.
Paris — On a finalement compris cette semaine pourquoi il était hors de question que la ministre des Affaires étrangères de la France, Michèle Alliot-Marie, démissionne. Peu importe qu'elle ait naïvement proposé le «savoir-faire français» en matière de sécurité au régime policier de Ben Ali alors que le peuple tunisien était dans la rue. Peu importe qu'elle ait pris des vacances en Tunisie et profité gracieusement d'un avion appartenant à des proches du dictateur alors que les protestations s'étendaient dans le pays. L'impossibilité politique d'une démission est apparue clairement lorsqu'on a appris que le premier ministre, François Fillon, avait lui-même passé ses vacances de Noël en Égypte aux frais du gouvernement d'Hosni Moubarak. Comment faire démissionner un ministre quand sa hiérarchie marche dans ses traces?
Au moment de dresser le bilan de mi-mandat de Nicolas Sarkozy, la politique étrangère semblait devoir être classée dans la colonne des profits. Le président avait utilisé la présidence française de l'Union européenne en 2008 pour obtenir rapidement un cessez-le-feu dans le conflit opposant la Géorgie à la Russie. Il avait profité de la crise financière pour accélérer la création du G20. Deux ans plus tard, l'explosion du monde arabe, avec lequel la France était censée de par son histoire entretenir une relation privilégiée, révèle au contraire une politique en déshérence.
Une politique en lambeaux
«La politique méditerranéenne de l'Europe, que ce soit la politique communautaire, ou celle des États membres, notamment la France, est en lambeaux», n'hésite pas à affirmer sur le site Slate.fr. l'ancien chroniqueur de politique internationale du Monde Daniel Vernet.
Les preuves du retard de la France à l'allumage ne manquent pas. Alors que Hillary Clinton avait exprimé dès le 13 janvier, à Doha, la sympathie ouverte des États-Unis à l'égard des revendications du peuple tunisien, la France est au contraire demeurée muette pendant des jours. Tout cela malgré les 600 000 Tunisiens qui vivent en France et les 20 000 Français qui habitent en Tunisie.
Même chose pour l'Égypte. Il faudra attendre le 29 janvier pour qu'Angela Merkel, Nicolas Sarkozy et David Cameron parlent de «revendications légitimes» et d'un «processus de changement». Depuis, la politique arabe de la France et de l'Europe semble tout entière à la remorque des avancées et des reculs américains.
La position américaine n'est évidemment pas facile. Barack Obama a navigué à vue entre les engagements répétés du gouvernement américain en faveur de la démocratie et la nécessité de préserver le seul allié arabe d'Israël et des États-Unis. Mais au moins le président a-t-il le mérite d'avoir réagi promptement. En France, plusieurs n'hésitent pas à parler d'aveuglement et de compromissions avec les potentats arabes.
Dès le 29 avril 2008, Nicolas Sarkozy n'avait-il pas affirmé que «l'espace des libertés» progressait en Tunisie? Les témoignages confirment que, contrairement aux ambassadeurs américains, les diplomates français en poste à Tunis n'ont jamais reçu les représentants de la société civile et des organisations de défense des droits de la personne. Ceux-ci étaient persona non grata. Les fuites rapportées par WikiLeaks laissent penser que la politique française relevait de l'aveuglement plus que d'un sain pragmatisme. Selon les propos d'un diplomate américain, l'ambassadeur français aurait même affirmé que «la Tunisie n'était pas une dictature». Une autre source, citée par le site Médiapart, décrit ce même diplomate comme «l'ambassadeur de Ben Ali auprès de Sarkozy et non l'inverse».
L'ami Moubarak
Nicolas Sarkozy s'était pourtant fait élire avec un programme de politique étrangère donnant la priorité à la Méditerranée. Le 13 juillet 2008, il présidait à la création de l'Union méditerranéenne rassemblant les États riverains et censée relancer l'union économique. Personne ne se doutait alors que ce projet mort-né s'appuyait sur un coprésident en sursis, Hosni Moubarak. «La principale préoccupation de ces dirigeants n'est pas d'intégrer un club de démocraties méditerranéennes, mais de sanctuariser leurs régimes et de maintenir leurs clans au pouvoir», écrivait alors dans Le Figaro l'analyste Antoine Basbous.
L'Europe «a commis une énorme bévue en percevant les régimes autoritaires arabes comme un rempart à l'islamisme», a estimé cette semaine l'universitaire tunisien Azam Majoub. Devant la liste des ministres français qui entretiennent des liens étroits avec ces régimes dictatoriaux, le mot «compromission» vient spontanément à la bouche. Selon Jean-Marie Colombani, «l'accent mis par Nicolas Sarkozy sur ses relations personnelles avec Ben Ali et avec Moubarak l'a empêché de concevoir que l'un puis l'autre puissent être si rapidement déstabilisés». Et l'ancien directeur du Monde de se demander: «Mais où est donc passé le Quai d'Orsay?»
De nombreux observateurs attribuent ces ratés à un autre facteur moins visible mais non moins déterminant, à savoir la crise grave que traverse le ministère des Affaires étrangères français depuis l'élection de Nicolas Sarkozy. En juillet dernier, l'écrivain et ancien ambassadeur Jean-Christophe Ruffin parlait d'«un ministère sinistré», à cause notamment d'une centralisation excessive de la politique étrangère à l'Élysée. Au même moment, dans une tribune du Monde, les anciens ministres des Affaires étrangères Alain Juppé et Hubert Védrine décrivaient un «instrument sur le point d'être cassé» et donc incapable d'analyser avec précision les évolutions de la conjoncture mondiale.
Au lieu de revenir sur l'ensemble de ces ratés, Nicolas Sarkozy a préféré nommer en catastrophe un nouvel ambassadeur à Tunis, Boris Boillon. Cet ancien conseiller du président a promis une «ère nouvelle» dans les relations avec la Tunisie. Plusieurs diplomates ont cependant noté que sa nomination avait été unilatérale et n'avait pas respecté la tradition qui veut qu'un ambassadeur ne soit jamais désigné sans avoir d'abord consulté le ministère des Affaires étrangères du pays qui l'accueillera. Une fois de plus, la France semble faire peu de cas de l'opinion des pays arabes. Les vieux réflexes ne se perdent pas facilement. Hier soir, en apprenant le départ d'Hosni Moubarak, Nicolas Sarkozy a été un des rares chefs d'État à rendre «hommage» à la «décision courageuse» du dictateur égyptien.
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Correspondant du Devoir à Paris


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