S
elon un sondage CROP-La Presse publié la semaine dernière, le taux d’approbation de la gestion de la crise du gouvernement de François Legault s’établit à 88 %.
Les Québécois sont donc presque unanimes derrière leur premier ministre. Lorsque celui-ci ordonne, la population suit de bon cœur même si les mesures de confinement deviennent chaque jour plus sévères.
Lundi dernier, M. Legault a mis « le Québec sur pause » pour trois semaines. Compte tenu des conséquences gravissimes d’une telle décision, on se serait attendu à ce que quelques voix s’élèvent pour dénoncer, déplorer, questionner. Pourtant, l’annonce a été accueillie par un vaste soupir de consentement.
Cela s’explique sans doute, en bonne partie, par la performance remarquable de M. Legault. Dès le départ, il a pris les choses en main personnellement. Il communique avec spontanéité. On le sent parfaitement et sincèrement conscient de la gravité de la situation et du poids du fardeau qu’il impose à ses concitoyens. Ses ministres économiques, Eric Girard et Pierre Fitzgibbon, sont compétents et proactifs.
Un appui aussi massif est du jamais-vu dans notre histoire. C’est aussi inédit dans le monde, à ma connaissance.
En effet, dans de nombreux pays, je pense au Royaume-Uni, à la France, à la Suède et aux États-Unis, les politiques gouvernementales en matière de lutte contre la COVID-19 font l’objet de scepticisme, de critiques, d’interrogations.
Il y a débat, quoi. Il serait seulement sain qu’il en soit ainsi chez nous. Comme le souligne dans Le Devoir le chroniqueur Michel David, la gouvernance de crise de M. Legault a beau être éclairée, « sa “dictature amicale” ne doit pas moins être placée sous surveillance ».
Le débat mène à de meilleures politiques. Or, au sujet des décisions du gouvernement Legault, des questions devraient être posées. Quels sont les scénarios que le gouvernement avait devant lui avant de décider de fermer le Québec pour trois semaines ? Quelles indications a le Conseil des ministres que cette « pause » va ralentir la pandémie davantage que des mesures plus respectueuses de l’équilibre entre santé publique et prospérité ?
Dans les circonstances difficiles qui sont les leurs, les journalistes font ce qu’ils peuvent. On ne devrait pas les laisser seuls gardiens de la démocratie québécoise.
DES DONNÉES CONTESTÉES
Tout se passe comme si les statistiques compilées par les épidémiologistes du gouvernement, statistiques dont seule une toute petite partie est rendue publique, étaient absolument incontestables.
Or, il se trouve d’éminents scientifiques pour croire que les données sur lesquelles se basent les décideurs aujourd’hui sont parcellaires, voire trompeuses. Selon le professeur John P. A. Ioannidis, de l’Université Stanford, « les taux de décès, comme le taux officiel de 3,4 % véhiculé par l’Organisation mondiale de la santé, font terriblement peur – et n’ont aucune signification. […] En l’absence de données, le recours aux scénarios du pire mène à des mesures extrêmes de distanciation sociale et de fermetures. Malheureusement, nous ne savons pas si de telles mesures fonctionnent. »
Mercredi dernier, des chercheurs de l’Université d’Oxford, en Grande-Bretagne, ont publié une étude montrant que le taux de mortalité de la COVID-19 était considérablement plus faible que ce qu’on croyait jusqu’à maintenant.
Ces spécialistes sont peut-être dans les patates. Mais pour tirer les choses au clair, il faut qu’il y ait débat entre ceux qui pensent comme eux et les experts qui, ayant l’oreille de notre premier ministre, ont le pouvoir de freiner toute l’économie de la province pendant un mois.
« Nous faisons cela pour sauver des vies », réplique à l’avance M. Legault à ses critiques invisibles. Évoquer les vies sauvées ne devrait pas mettre fin à la discussion. Tout gouvernement prend, régulièrement, des décisions qui coûtent plus ou moins de vies, parce que d’autres facteurs cruciaux sont pris en compte. Si ce n’était pas le cas, les gouvernements doubleraient sur-le-champ leurs dépenses en santé et limiteraient la vitesse sur les autoroutes à 50 km/h.
Le gouvernement a choisi de sacrifier l’économie de la province à une certaine vision de la santé publique.
On dit le mot « économie » comme si les conséquences économiques d’une récession, peut-être une dépression, n’étaient que financières. Or, l’économie n’est pas d’abord une question de chiffres, mais une affaire humaine. Les centaines de milliers de personnes qui sont mises à pied ces jours-ci ou qui voient leur salaire diminuer, ainsi que celles qui vivent dans l’angoisse de la prochaine facture sont des êtres humains elles aussi. Leurs souffrances doivent peser dans la balance.
Si les temps difficiles ne durent que trois semaines, le calcul du gouvernement en aura sans doute valu la chandelle. Mais sur quels modèles le gouvernement se fonde-t-il pour viser la fin du confinement dans trois semaines ? Quels scénarios a-t-il sous les yeux d’une « pause » qui durerait plus que trois semaines ?
Bien sûr, il n’est pas facile de soulever de telles questions alors que toute la population de la province appuie le premier ministre et idolâtre le bon docteur Arruda ; on risque de recevoir quelques tartelettes portugaises à la figure ! Pourtant, cela s’impose.
La crise a beau être extrêmement grave, le premier ministre a beau parler d’une « guerre », l’histoire a amplement montré qu’une société est toujours perdante lorsqu’elle met la démocratie sur « pause ».