La démocratie en pâture

1997

5 mars 1997

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"Me comprenez-vous, ô mes frères? Comprenez-vous cette nouvelle loi du flux et du reflux? Nous aussi nous aurons notre heure."
_ - Nietzsche
La Cour suprême et ses juges nommés par Ottawa ne chômeront pas cette année. Dès ce printemps, Robert Libman, ancien chef du Parti Égalité, y contestera la Loi référendaire du Québec. Cet automne, la même cour se prononcera - à la demande du fédéral - sur la «légalité» d'une proclamation de souveraineté par 1'Assemblée nationale suivant un OUI majoritaire. Dans son argumentation, Ottawa soutient qu'une telle proclamation serait illégale en vertu de la Constitution canadienne et du droit international. En annexe, un juriste de Cambridge y prétend même qu'une sécession ne serait possible que par guerre (!) ou avec l'approbation du Canada. Mais trêve d'arguties de juristes en service commandé. L'important ici est de comprendre les objectifs politiques se cachant derrière ce paravent de faux légalisme.
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Premièrement, le renvoi à la Cour suprême vise, avant toute chose, à nier l'existence de la nation québécoise, au Canada et devant la communauté internationale. C'est ainsi que l'on nous fait comprendre que le pouvoir décisionnel ultime appartiendrait aux Canadiens anglais puisqu'on veut leur accorder le dernier mot sur le droit des Québécois à décider de leur avenir. N'est-ce pas ce que dit Ottawa lorsqu'il prétend qu'une sécession ne peut se faire sans l'approbation du Canada et des provinces anglaises? Un peu comme si le Québec vivait une seconde Conquête...
Deuxièmement, le renvoi du fédéral à la Cour suprême fait partie d'une stratégie visant à effrayer suffisamment de Québécois pour empêcher la tenue d'un référendum ou pour le défaire.
Troisièmement, Ottawa cherche à encourager l'opposition des minorités non-francophones en créant l'illusion qu'un OUI ne serait ni décisif, ni final. Ce faisant, on leur dit aussi qu'il leur est inutile de réfléchir à l'éventualité d'un Québec souverain.
Quatrièmement, si le prochain référendum récolte tout de même un OUI, l'avis de la Cour suprême contribuerait à empêcher la reconnaissance internationale d'un Québec souverain en transformant tout geste de reconnaissance en un affront direct à 1'Etat canadien. Car Ottawa prétendra qu'il n'empêche pas le Québec de quitter mais qu'il cherche simplement à "encadrer légalement" le processus. C'est pourquoi - aidé de son bras droit, la Cour suprême - le fédéral entend fabriquer l'illusion d'un processus «légal» d'accession à la souveraineté auquel le Québec refuserait d'obéir. A la face du monde, le Québec serait alors le méchant, et le Canada, le bon... .
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Bref, le renvoi à la Cour suprême fait partie de l'arsenal de plus en plus étoffé du fameux plan B, lequel confirme qu'Ottawa refuse toujours de lutter par la persuasion positive. Ottawa préfère peaufiner ses arguments de "peur", un thème dominant de sa propagande pondue dans les officines de son Conseil privé ou de son Bureau d'information. Mais rien de cela n'est vraiment nouveau. En 1980, le plan B, c'étaient les peurs et les menaces économiques: "Si vous votez OUI, vous perdrez vos pensions de vieillesse, votre aide sociale, votre assurance-chômage, vos emplois, etc."
Depuis octobre 1995, c'est une nuée d'oiseaux de malheur qu'Ottawa et ses alliés nous dépêchent: peur du "chaos", de l'"illégalité", de la partition, d'une répression des minorités, etc. Mais attention! Le grand leitmotiv de la peur est confectionné sur mesure pour des clientèles bien ciblées.
Ainsi, on brandit le spectre du chaos, de l'illégalité et de la partition pour affoler les francophones. On salit ou on laisse salir la réputation du Québec quant à son traitement des minorités pour mieux effrayer celles-ci et ameuter une communauté internationale à laquelle on raconte les histoires les plus délirantes. Un Québec congénitalement "anglophobe" ou repère immonde d'antisémitisme - et tout y passera de plus en plus...
Voilà bien toute la mesure du mépris d'0ttawa et de certains de ses alliés pour la démocratie québécoise. Avec le plan B actuel, le "couperet" politique que Léon Dion proposait d'appliquer sur la gorge du Canada après l'échec de Meech se retourne maintenant avec bien plus de force sur celle du Québec. Dans un tel contexte, les membres québécois du gouvernement Chrétien - francophones et anglophones - devraient avoir honte de se prêter à une stratégie qui débouche sur la négation du droit du Québec à décider de son avenir et non sur un combat positif et honnête pour le Canada. Et ils devraient avoir honte de semer des peurs indues. À ce chapitre, Stéphane Dion en remet un peu, trop. La semaine dernière, alors qu'il commentait à RDI le renvoi à la Cour suprême, il déclarait que si le Québec devenait souverain sans l'approbation du Canada, Lucien Bouchard poserait alors «un geste anarchique». Lucien Bouchard, un anarchiste! Les mots n'ont-ils plus de sens?
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Le plan B est le symptôme d'un pays de plus en plus mal en point. Mais en attendant l'avis final de la Cour suprême, le Québec doit se préparer à riposter avec vigueur. Du moment où la cour confirmera la négation du droit du Québec à sa pleine autodétermination, son gouvernement n'aura d'autre choix que d'aller en élections car un tel avis de la cour sera pour le Québec un ultime moment de vérité dont la signification sera nettement plus puissante que celle de l'échec de Meech. C'est donc a ce moment que le Québec devra se comporter en nation véritable. Et c'est par le moyen d'une élection - non pas «référendaire» mais portant sur son plein droit à l'autodétermination - qu'elle pourra dire son existence à la face du Canada et du monde. Mais il faudra agir vite.
Primo, parce qu'il est probable que le présent renvoi à la Cour suprême soit suivi d'un autre portant sur la formule d'amendement qui serait imposée au Québec pour "permettre" sa sécession. Ce qui ajouterait au droit nouveau qu'Ottawa tente de créer contre le Québec.
Secundo, parce que le plan B nie la démocratie québécoise et la jette en pâture aux juges de la Cour suprême. Et on sait avec quelle célérité ces juges d'Ottawa ont déchiqueté des pans entiers de la Loi 101 et comment ils ont permis le rapatriement de la Constitution sans l'approbation du Québec.
Tertio, il faudra agir parce que le respect des autres ne peut venir sans le respect de soi-même.


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