La Conquête, prise 2

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Il y a quelques années, je m’étais permis d’écrire combien je trouvais incongru que la ville de Québec ait glorifié les vainqueurs de Montcalm en leur attribuant des noms de rues. Pas n’importe lesquelles, les plus élégantes.
Je ne vois pas Murray comme un héros mais comme un bourreau. Le bourreau des Français du Canada !
Et que dire de Saunders, de Monckton et des autres ?
À l’époque, je m’étais fait sèchement apostropher par une réputée collègue : « C’est notre histoire et tu n’y connais rien ». Son regard furibard disait : « Maudit donneur de leçon ».
N’étant pas né par icitte, n’est-ce pas... N’empêche, je persiste et signe. Nous serions bien avisés de nous questionner sur la nécessité de continuer à honorer ceux par qui la honte et le malheur se sont abattus sur ce pays.
Madame la mairesse, changez-nous ça. Et le prochain coup, je vote pour vous.
Je viens de lire un bouquin qui se pose les mêmes questions que moi. Et qui propose cette réponse : il faut jour après jour rappeler aux Français du Canada que ces messieurs les Anglais leur ont donné une sacrée branlée. Il faut jour après jour leur rappeler qui sont les seigneurs et maîtres de ce pays.
D’ailleurs, n’a-t-on pas coutume de parler de la Conquête ? Méprisante façon d’évoquer la prise de possession de l’âme et du corps de tout un peuple !
À propos, pourquoi le conquérant a-t-il érigé une colonne en plein cœur de Montréal pour y jouquer la statue de Nelson ? Quel rapport avec l’histoire de ce pays de neige et de froidure ?
Aucun ! Mais il fallait dire aux habitants que le Napoléon dont ils étaient si fiers et dont ils espéraient un miracle avait été battu par un marin britannique.
À Trafalgar, obligé d’affronter une flotte franco-espagnole supérieure à la sienne, l’amiral Nelson a fait preuve de génie. C’est un fait notoire. Mais en quoi cela concernait-il les montréalais ?
Tout amateur d’histoire vous dira que Guderian et Rommel ont été des officiers dignes de respect et d’admiration. Pourtant, il ne viendrait à l’idée de personne d’honorer d’une façon ou d’une autre la mémoire de ces deux surdoués de la Wehrmacht.
***
Le bouquin dont je fais mention plus haut, c’est La taupe. Un roman à saveur historique signé Jean Chartier.
Jean Chartier ? Un journaliste à l’ancienne mode. Un type au physique romantique. Le regard sombre et la voix profonde.
Je l’ai connu autrefois alors qu’il collaborait à la section économique du quotidien indépendantiste Le Jour. Un bon copain, à l’époque.
Quand Yves Michaud et l’état-major du Parti Québécois ont décidé que la comédie avait assez duré, la plupart des scribes de ce singulier journal se sont retrouvés un emploi à... devinez ? C’est ça : Radio-Canada.
Donc, Jean Chartier a fini par aboutir à la télévision d’État. Il y est resté quelques temps avant d’être enrôlé dans une publication dont la ligne éditoriale était plus en conformité avec ses vues, « Le Devoir ».
Un jour, comme tant de journalistes, il s’est laissé séduire par les sirènes de la politique. Conseiller aux communications de Richard Le Hir, ministre délégué à la Restructuration.
C’était au milieu des années 90. Jacques Parizeau exerçait le pouvoir à Québec et Lucien Bouchard était en embuscade à Ottawa. Le temps béni de l’Élysette, quand le gotha local y festoyait et que le chat de la première dame allait jouer les matous dans la ruelle d’en arrière.
Vous souvenez-vous de Richard Le Hir ? Un ancien lobbyiste qui a longtemps dirigé l’Association des manufacturiers canadiens. Il avait été chargé par Big Jacques de faire procéder à des études économiques sur les avantages de l’indépendance. Au total, une quarantaine d’études.
C’est tout ça que raconte Jean Chartier dans « La taupe ». Un roman à saveur historique, prétend son éditeur. En réalité, le témoignage à peine romancé et superbement écrit d’une page d’histoire dont le Québec commence tout juste à s’affranchir.
Jean Chartier a une belle plume. Riche, colorée, précise, documentée.
Rien d’étonnant qu’il ait obtenu la mention « très grande distinction » après avoir soutenu une thèse de doctorat en littérature française à Paris, en 1994.
***
Les opinions véhiculées dans « La taupe » devraient conforter Patrick Bourgeois, l’auteur de « Nos ennemis les médias », une logorrhée dont j’avais salué la publication ici même dans ces pages, le 6 novembre.
Sachant comment se fricote la cuisine journalistique, Jean Chartier affirme lui aussi que la bataille référendaire, en 1995, n’a pas été une bataille de l’intelligence dans les médias québécois. Au contraire.
Il traite le journal « La Presse » de torchon et dit d’Alain Dubuc que c’est un pamphlétaire.
Il note encore qu’à Québec, les correspondants parlementaires n’ont pas la bosse de l’économie et qu’ils ont plutôt tendance à s’en méfier: « Ils ne veulent pas avoir l’air de favoriser le camp du OUI. Ils cherchent à paraître objectifs dans le traitement de la nouvelle au risque de faire banal. Les journalistes de langue française n’approfondissent pas les documents qui traitent des différents aspects du passage à la souveraineté alors que les journaux de langue anglaise n’ont pas ce genre de réticence. »
Jean Chartier est dans les patates. Si les journalistes se méfiaient, c’est parce que le camp du OUI cherchait à rouler les Québécois dans la farine.
Et ça continue.
Il n’y a qu’à écouter le discours des politiciens. On y use et abuse du mot « souveraineté » au lieu du mot « indépendance ».
Et pourquoi donc ? Parce que les Québécois sont schizophrènes. Sont en faveur de la souveraineté tout en étant contre l’indépendance.
C’est à n’y rien comprendre, mais c’est comme ça !
Pour éviter des lendemains qui déchantent, l’honnêteté politique consisterait à parler de l’indépendance et non de la souveraineté.
***
Dans ce roman bourré de références historiques toutes plus pertinentes les unes que les autres, on ne sait pas qui est La taupe. Faudra attendre la suite.
Au fil de la narration, une idée m’a effleuré l’esprit: quoique l’ambassadeur James Blanchard ait pu dire durant la campagne référendaire de l’automne 1995, l’indépendance du Québec servirait magistralement les intérêts de l’Oncle Sam.
Dans son livre, Jean Chartier évoque l’avis de deux juristes américains sur les conséquences de l’accession du Québec à l’indépendance.
En gros, William Silverman et David Benstein disaient: 1. Washington ne s’opposerait pas à l’indépendance du Québec ; 2. les traités bilatéraux liant le Canada et les États-Unis s’appliqueraient à un Québec indépendant en vertu du principe de succession.
Allons plus loin. L’indépendance du Québec affaiblirait le Canada et le rendrait très vulnérable. À qui profiterait cette vulnérabilité ? Aux Américains, eux qui rêvent de mettre la main sur l’eau du Canada.
Le pétrole ? Non, c’était déjà fait.
L’enjeu majeur, c’est l’eau. L’eau et rien d’autre.
JEAN CHARTIER. La taupe, Acte 1: les Américains à Québec. L’instant même. 334 pages


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