Lettre à Martine Ouellet et Mathieu Bock-Côté

La cécité de nos meilleurs soldats

Une autre confrontation malheureuse à côté de l’essentiel

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Tribune libre

Je viens de lire cet article du Journal de Montréal, « Mathieu Bock-Côté se trompe », de Martine Ouellet avec la réponse de MBC. On y voit 2 visions indépendantistes qui se confrontent mais qui pourtant, objectivement, se complètent et sont indissociables.


Les deux ont raison : il est trivial que si on ne présente jamais une offre indépendantiste aux électeurs ceux-ci ne pourront jamais la choisir. Des gens comme Nic Payne répète cela depuis des années, moi aussi et combien d’autres. C’est évident comme 2 et 2 font 4.


Mathieu Bock-Côté refuse-t-il cette évidence ? Pourtant, paradoxalement, il est un des seuls acteurs médiatiques qui a le courage de porter la Cause sur la place publique dans chacun de ses textes. Il fait ce que demande Martine ; tous les chroniqueurs et les politiciens qui partagent notre cause devraient emboiter le pas.


J’apprécie l’esprit de Mathieu Bock-Côté et son nationalisme décomplexé (même s’il a des pieds d’argile, j’y reviens plus loin) comme j’apprécie la ténacité, le courage et la détermination de Martine Ouellet. Quand MBC dit que les choses vont arriver lorsqu’une crise trop forte placera chaque camp devant les faits et les obligera à se positionner, ce n’est pas incompatible, au contraire, avec le fait de présenter clairement et de façon permanente une offre indépendantiste réelle et étoffée.


Si on a un plan d’action au moment de la crise, on augmente nos chances de réussite plutôt que de simplement espérer que le gouvernement saura résister et prendre les bonnes décisions, ou espérer que les gens se réveilleront au bon moment. Plus on sera inertes quant à nos volontés, plus on sera inertes face aux crises, l’histoire du PQ en témoigne de façon accablante.


La cécité à propos de ce que nous sommes


Depuis 250 ans notre peuple a vécu et survécu aux multiples agressions des anglais. Jusqu’aux années 1960 la nation Canadienne-française avait conscience d’elle-même, elle ne soufrait pas d’un trouble identitaire comme aujourd’hui. Au début de la Révolution tranquille, avant le PQ de 1973, l’objectif était encore la survie et l’émancipation de notre peuple. Clairement ça ne concernait pas les citoyens anglais québécois. C’était une action à leur encontre et cela ne scandalisait pas ceux qui avaient conscience de notre soumission et de notre précarité. Le projet d’indépendance avait pour but de faire du Québec le pays des Canadiens-français.


Une petite parenthèse pour être clair : il ne s’agit pas du tout de pureté ethnique, les Harvey, Johnson, etc. sont là pour en témoigner, ils sont des Canadiens-français. Même chose aujourd’hui pour des gens comme Boucar Diouf et tous ceux qui vivent vraiment avec nous et pas dans l’indifférence de notre avenir.


Tout cela a changé avec l’avènement du PQ, après les mouvements de décolonisation ailleurs dans le monde (nous avons raté le train), à une époque où le néolibéralisme et le multiculturalisme se consolidaient mutuellement, annonçant la globalisation économique, le mondialisme et la fin des nations. Tout va dans ce sens depuis cette époque.


Aujourd’hui, être nationaliste est une tare aux yeux des esprits brûlés par tant d’années de conditionnement. Pour eux, c’est-à-dire la grande majorité des acteurs publics et des commentateurs autorisés, on est progressiste ou on est barbare. Et quand on écoute la plupart des artistes, des athlètes ou autres personnalités publiques, c’est la même chanson. Un humoriste s’est même permis de traiter de racistes tous ceux qui sont pour la laïcité de l’État, en pleine télé de la SRC, et aujourd’hui on le voit dans de plus en plus d’émissions, il a eu une promotion dans ce petit monde hostile qui nous conditionne quotidiennement.


Au début des années soixante c’était une fierté d’être « Québécois ». Il était clair pour tout le monde qu’on parlait de notre peuple, que nous prenions le nom de notre État sans considérer que les anglais étaient devenus soudainement des nôtres. La fierté résidait dans le fait de notre affirmation après tant d’années de vie sous la domination anglaise.


Avec le temps le sens de « Québécois » s’est transformé pour signifier « tous les habitants du Québec », ce qui était inévitable. Le problème est qu’on a jeté par-dessus bord notre identité propre, les Canadiens-français, on s’est mis à la dénigrer et aujourd’hui, tout le monde trouve ça arriéré. Pourtant notre situation de dominant dominé n’a pas changé. La seule chose qui a changé, c’est nous, nous avons baissé les bras, nous nous sommes laissé endormir à un point tel qu’aujourd’hui, nous n’avons plus d’autre nom que « québécois francophone », ou « majorité historique » comme le dit souvent Mathieu Bock-Côté.


Pendant 150 ans nous étions les Canadiens, nous avons fondé le premier Canada sur ce continent. Ensuite les anglais nous ont envahi et ont volé notre nom. Alors nous sommes devenus les Canadiens-Français. Puis nous sommes devenus des Québécois au début des années 1960 et encore une fois, avec le temps, on s’est fait voler notre nom. Aujourd’hui, notre façon de nous nommer équivaut à se dire Québécois-français.


Quand est-ce que ce jeu va arrêter ? Quand nous aurons disparu. Ou quand on se réveillera enfin, quand cessera notre cécité. Nous souffrons d’un grave problème identitaire. Cela n’est pas sans conséquence.


La cécité à propos de la démocratie


Aujourd’hui personne ne remet en question l’existence des nations amérindiennes mais en ce qui nous concerne, bizarrement, on préfère parler de nous comme faisant partie de la grande « nation québécoise » qui inclut les canadians. Chaque fois que le propos nécessite de parler explicitement de nous, les descendants des Canadiens-français (disons-le comme ça), on se contorsionne pour y arriver et le malaise est persistent, ce n’est jamais simple. On a intériorisé le fait que de parler juste de nous, c’est mal. Il est obligatoire de considérer l’ensemble des québécois, même ceux qui veulent nous voir disparaître.


On s’imagine que c’est la démocratie qui nous y oblige mais c’est de la poudre aux yeux.


Est-il démocratique de permettre à 20% de la population de contrecarrer systématiquement nos volontés ? Quand on parle de la question nationale on a oublié qu’il s’agit de notre nation socio-historique, les Canadiens-français, on a oublié qu’il s’agit précisément de se libérer du joug de nos ennemis, incluant ceux qui habitent parmi nous sur le territoire du Québec. La question nationale n’a aucun rapport avec la « nation québécoise », ce concept civique des anglo-saxons qui n’a aucune épaisseur historique et en conséquence, ne peut rien revendiquer (à quel titre ?) et n’a pas d’existence aux yeux du monde.


Nous avons mis la charrue devant les bœufs, nous nous sommes mis à vivre comme si nous étions déjà maitres de notre État, comme si nous étions devenus la référence dans cette province, nous avons voulu y croire très fort mais ça n’est jamais arrivé, nous demeurons une « majorité historique » qui est une minorité sur le continent, dans les faits, lorsqu’on examine les choses sous l’angle approprié. On a beau être majoritaire dans la province, ça n’a jamais permis à nos différents gouvernement d’assurer notre survie, puisque nous sommes en train de disparaître (c’est une vérité démographique documentée). Et nous continuons à vivre sous la domination de cette minorité anglophone québécoise qui est en réalité la nation canadian, cette nation autrement plus grande que la nôtre, la même qu’en Ontario et dans l’ouest.


Parler de minorité en parlant des anglais au Québec, c’est travestir la réalité, celle qui nous intéresse dans le règlement de la question nationale. Si Gérard Bouchard, par exemple, se perd tant en confusion quand il tente de faire croire en une majorité francophone québécoise menaçante pour les minorités incluant les anglais, c’est parce qu’il ne voit pas clair lui non plus. Tant qu’il s’obstinera à ne pas nommer les choses comme elles sont, ses échafaudages conceptuels comme l’interculturalisme s’effondreront les uns après les autres.


Aujourd’hui comme hier les anglais continuent de bénéficier de leurs droits de conquérant, c’est-à-dire par exemple celui de pomper l’argent des Canadiens-français pour faire fonctionner leurs institutions en santé et en éducation. Je parle du sur-financement des universités anglophones par rapport aux autres, du CUSM, etc. N’est-ce pas une preuve que nous sommes toujours sous l’emprise colonialiste de l’Empire ? Comment ça se fait qu’après toutes les années au pouvoir d’un parti supposément souverainiste, le PQ, ce genre de choses perdure encore aujourd’hui ?


Il faut comprendre que la démocratie est un outil qui s’applique autant aux nations qu’aux individus. Nous devons nous comporter comme les nations qui se respectent si nous voulons avancer. Nous voulons être traités d’égal à égal : en incluant de force les canadians du Québec à notre peuple nous nous trouvons à demander la permission à nos maitres, dans les faits, lorsque nous leur permettons de se prononcer sur notre avenir. Pourquoi faisons-nous cela ?


Pendant ce temps-là les nations amérindiennes se font entendre à l’ONU, et personne ne songerait à s’immiscer dans leurs affaires sous le prétexte d’une citoyenneté canadienne ou québécoise, puisque c’est hors sujet.


Notre problème national ne concerne que nous, la nation socio-historique, nous seuls vivons le problème et nous seuls sommes intéressés à ce que les choses changent. Et seule la nation socio-historique a des droits à revendiquer, elle seule est opprimée et mérite réparation de la part de ses oppresseurs, ça ne concerne pas les autres citoyens de la « nation québécoise ». Pourquoi donc nos ardents soldats, qui sont sincères dans leur action, refusent-ils cette évidence ? Est-ce simplement qu’ils n’envisagent aucune autre possibilité d’action qu’un 3e référendum pan-québécois pour faire apparaître le pays par magie ? Svp, oubliez un instant les référendum, il y a plus pressant.


Pendant près d’un demi-siècle nos leaders ont été mous, ils n’ont pas su tenir le cap, ils se sont laissés entrainer par la rectitude de ce monde anglo-saxon dans lequel nous vivons. Ils en ont pris les contours et pensent dorénavant comme eux. Ils ont abandonné eux-aussi la nation, notre nation, au bénéfice des seuls individus. Le droit des individus qui contrecarre le droit des nations. N’était-il pas évident qu’en agissant ainsi on se tirait dans le pied ? Des gens comme François–Albert Angers nous ont pourtant mis en garde dès le début.


Il n’y a pas de nation socio-historique québécoise, la nation québécoise n’est qu’un concept civique qui se croit plus démocratique que tout mais qui n’aura plus aucune utilité pour nous lorsque nous passerons sous le seuil des 50% de la population, ce qui arrivera avant 2050 selon les projections démographiques. Si nous nous reconnaissons enfin pour ce que nous sommes, peu importe le nom qu’on se donne, nous agirons au nom de notre nation réelle et nos droits pourront être défendus sur la scène internationale indépendamment de notre poids démographique.


Une première grande victoire historique depuis la Conquête


En 1995, 65% des Canadiens-français ont voté Oui. C’était la première fois que la nation se prononçait majoritairement, dans un exercice démocratique, pour que les choses changent.


Mais les choses n’ont pas changé. L’histoire ne retient que la défaite. Nous avons tenu un référendum pan-québécois, donc incluant les anglais qui pourtant, ne sont pas concernés par notre avenir, et ils ont voté à 99% contre nous comme ils le font systématiquement à toutes les élections. Il y a eu de nombreuses irrégularités au point où il est admis qu’on s’est fait voler.  Même le résultat quasi égal n’a pas inspiré de dialogue aux anglais pour accommoder tout le monde, non. Nous sommes rentrés dans le rang comme si rien ne s’était passé, et nous continuons à être traités comme des citoyens de seconde classe.


Mais le fait demeure que la majorité des Canadiens-français a voté Oui. Dans les faits nous avons gagné en 1995.


Quand on dit que le peuple ne suit pas, qu’il ne comprend pas, qu’il n’est pas prêt, etc., franchement, quelle insulte ! Le PQ est mort de nous avoir tant insulté.


La réalité est tout le contraire, notre peuple a dit à ses leaders d’y aller, de faire ce qu’il faut pour changer les choses, et ce sont nos leaders qui nous ont laissé tomber.


La cécité de nos leaders


Parizeau m'avait fait croire qu'enfin, nous avions un leader solide. Mais il a démissionné sans se battre. Parce que pour lui aussi, comme pour nous tous, nous n’étions plus des Canadiens-français, nous étions des québécois parmi les autres. Notre trouble identitaire ne date pas d’hier.


Nous avons perdu de vue notre objectif depuis 250 ans : la survie et l'émancipation de notre peuple, notre nation réelle, socio-historique. L’objectif s'est transformé lamentablement en "avoir un pays coute que coute peu importe qui l'habite".


C’est un scandale mais comme tout le monde y prend part, on le tait et ça ne dérange personne. Et nous continuons à disparaître. Si demain matin le Québec devenait un pays ça ne changerait rien au sort qui nous attend.


René Lévesque et Jacques Parizeau furent de grands hommes, ils ont de grandes réalisations à leur actif, ils ont modernisé notre État, ils ont même fait comprendre aux Canadiens-français qu’ensemble on pourrait y arriver, ce qui n’est pas rien. Ils sont admirables et effectivement admirés. Le problème est qu’on en vient à les magnifier et considérer toutes leurs actions comme des modèles à suivre.


Comme Jacques Parizeau, René Lévesque nous a laissé tomber par son improvisation mal avisée lors du rapatriement de la Constitution canadienne. Jamais il ne fut question de nous, les Canadiens-français, nous qui sommes pourtant au cœur du problème. Même chose en ce qui concerne la loi 99 (Lucien Bouchard et Jean Charest) que bien des indépendantistes considèrent comme le socle d’une future Constitution québécoise… Quel aveuglement ! On y consacre les droits des anglais sans jamais parler de nous, notre peuple, le seul qui a besoin de cette loi. N’est-ce pas incroyable ?


Personne n’est parfait, Lévesque et Parizeau non plus et, puisqu’ils ont échoué, notre devoir pour la suite des choses est de s’ouvrir les yeux et ne pas répéter leurs erreurs. Dire cela n’est pas leur manquer de respect ni dénigrer leur œuvre, c’est juste de la lucidité.


Cela vaut aussi, à contrario, pour notre nation canadienne-française. Sans croire que tout fut parfait, tout n’est pas à rejeter comme nous l’avons fait. Quel autre peuple sur la planète a agi ainsi ?


Martine et Mathieu


S’ils acceptaient tous les deux que, en ce qui concerne la question nationale, la démocratie doit s’exercer pour la nation véritable et non pour une nation civique artificielle, ils se rejoindraient rapidement. Je ne parle pas d’un référendum tenu par le gouvernement où seuls les Canadiens-français pourraient voter, je parle de s’organiser en tant que nation et d’infléchir l’action du gouvernement à ce titre. Je parle de comprendre ce que nous faisons et de rassembler l’ensemble des gens de notre peuple avant de vouloir mettre une forme à notre statut politique futur.


Au Québec, outre les amérindiens, il y a 2 nations principales, les Canadiens-français et les canadians. Tenter de noyer les 2 nations en une seule, les « Québécois », c’est un artifice qui subjugue les Canadiens-français seulement, pas les autres. C’est un vœu pieu qui dure depuis 50 ans et qui ne change rien à la réalité, notre situation politique. C’est le vélo en tandem avec des pédaleurs qui vont en sens inverse et qui ne comprennent pas pourquoi ils n’avancent pas.


Mathieu Bock-Côté, comme Gérard Bouchard, s’entêtera peut-être encore quelques temps à défendre l’héritage de René Lévesque et poursuivre la doctrine qu’il a imposé, mais je souhaite qu’un jour il réalise que son nationalisme est un géant aux pieds d’argile parce qu’il s’appuie sur le concept de nation civique. Ce n’est pas l’objet de notre combat. J’ose croire que les intérêts de sa carrière publique dans le monde médiatique ne supplantera pas sa capacité hors du commun d’observation et d’interprétation de la chose politique.


Ce n’est pas mal de décrire la réalité. Ce n’est pas mal de parler de nous, les Canadiens-français, sans toujours inclure ces autres québécois qui nous haïssent. Quand Martine et Mathieu accepteront cela et l’intégreront dans leur discours, tout sera plus clair et les choses recommenceront à avancer.


Il faut faire les choses en plusieurs temps. Pour l’instant nous sommes en danger de disparition et il faut commencer par rassembler les seuls intéressés par notre combat, les seuls pour qui c’est vital, les Canadiens-français. Aujourd’hui on a besoin de plus de nationalisme que de progressisme, je souhaite que Martine Ouellet le comprenne, et d’autres leaders aussi. Chaque chose en son temps. Lorsque notre avenir sera assuré on pourra organiser notre société comme on voudra, nous évoluerons normalement comme les autres nations sur cette planète.



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1 commentaire

  • Gaston Carmichael Répondre

    11 novembre 2019

    Le plus bel exemple de ce que vous écrivez ici, est l'application de la loi 101 pour l'éducation post-secondaire.  En congrès, les militants étaient pour, mais l'establisment du PQ y mettait toutes ses énergies pour bloquer les résolutions à cet effet.



    Les anglophones du Québec sont objectivement des adversaires, et il faut les traiter en tant que tel.  Sans complexe!



    MBC attend qu'une crise du système survienne.  Pourquoi attendre?  Il suffirait de s'affirmer pour la déclencher cette crise.