Commission Bouchard-Taylor - Mémoire

La capitale nationale et ses accommodements

Mémoire du Conseil de la souveraineté de la capitale nationale

Commission Bouchard-Taylor - documents et mémoires

La capitale nationale et ses accommodements


Mémoire présenté à


La Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement
reliées aux différences culturelles


par


Le Conseil de la souveraineté de la capitale nationale


Le 3 octobre 2007


La capitale nationale et ses accommodements


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Présentation du groupe qui soumet le mémoire
Le Conseil de la souveraineté de la capitale nationale constitue l’une des tables régionales du Conseil de la souveraineté du Québec. Il a pour mission de promouvoir, par des moyens pédagogiques, éducatifs et culturels, la souveraineté du Québec dans la ville et dans la région de Québec.
Son conseil d’administration est composé de douze personnes, dont neuf élues par l’assemblée générale et trois désignées par les partis souverainistes régionaux.
La présidente : Francine Lavoie

Le vice-président : Jacques Beaumier

La secrétaire : Nicole Paquin

Le trésorier : Marc-André Deschênes
Les conseillères : Mona Fortin

Sylvie Morel
Les conseillers : Luc Faucher

Grant Hamilton

Frédérick Laberge
La représentante du Parti québécois : France Salvaille

Le représentant du Bloc québécois : Jean-Pierre Tremblay

La représentante de Québec solidaire : Marie-Caroline Germain
Intérêt manifesté par le groupe
L’actualité politique et sociale des derniers mois a fortement interpellé les membres du Conseil de la souveraineté de la capitale nationale, à cause, d’une part, du constat des problèmes engendrés par les dérives des « accommodements raisonnables » et, d’autre part, des pouvoirs limités de l’État québécois confronté à cette situation.

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La capitale nationale et ses accommodements
Plan de l’exposé
A. Introduction
La capitale du Québec et le multiculturalisme canadien
B. Rappel historique
1. Le métissage avec les Amérindiens
2. Les minorités culturelles
C. L’immigration à Québec
D. Des conceptions différentes
1. Une conception libérale
2. Une conception républicaine
E. Conclusion
Pour en finir avec le multiculturalisme canadien : l’indépendance nationale
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La capitale nationale et ses accommodements
Résumé
Le problème des accommodements provient, à notre sens, de la condition politique de dépendance que le Québec subit à l’intérieur du Canada. Quand le Québec sera un État souverain et la ville de Québec, une véritable capitale, la situation sera plus claire. La langue commune demeurera la langue française et les nouveaux arrivants, comme les descendants des minorités anglophones avant eux, choisiront en toute connaissance de cause de vivre en harmonie avec la majorité francophone de la ville de Québec.
Bien sûr, Québec est une ville où l’immigration prend peu de place, ce que déplorent nos gens d’affaires qui aimeraient profiter davantage d’une « ressource immigrante ». Nous leur répondons que Québec n’est pas une ville à vocation commerciale, comme Montréal, mais une ville d’abord politique. Et c’est à ce titre qu’elle aurait tout à gagner à passer du statut de capitale provinciale à celui de capitale nationale, entraînant dans ce sillage une effervescence diplomatique jamais vue dans toute son histoire, avec tout le développement économique qui s’ensuivrait.

La compétition que se font ici deux systèmes d’intégration encourage une double identification qui conduit les immigrants à choisir entre devenir Canadiens ou Québécois. Pour les descendants de l’Angleterre coloniale, la cohabitation des cultures représente un signe d’ouverture sur le monde.
Nous croyons qu’il s’agit plutôt d’une juxtaposition de ghettos ethniques, repliés sur eux-mêmes et sans autres liens que les rapports d’affaires quotidiens. Mais il nous faut vivre avec La Charte canadienne des droits et libertés de 1982 qui a consacré cette vision libérale de la société et qui interfère, par l’intervention de la Cour suprême, dans la volonté du Québec de vivre en société selon ses propres règles de fonctionnement.
Le modèle de type républicain que nous privilégions met l’accent sur la liberté et l’égalité, valorisant l’intégration des nouveaux arrivants plutôt que leur assimilation, le partage des valeurs communes plutôt que le voisinage des différences. C’est ainsi que nous croyons juste de demander aux immigrants de notre capitale d’adopter, dans la plus large mesure possible, et sans accommodements déraisonnables, ce qui fait consensus au Québec : la laïcité, l’égalité hommes-femmes et la langue française.
Car pour nous, la façon logique et saine de désamorcer la friction et de créer les meilleures conditions du vivre-ensemble, c’est l’accession du Québec à son indépendance nationale.
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La capitale nationale et ses accommodements
A. Introduction
La capitale du Québec et le multiculturalisme canadien
Nous avons la ferme conviction que le problème des accommodements raisonnables, qui a mené à la mise sur pied de cette commission, provient de notre condition politique de dépendance à l’égard du Canada.
Nous ferons donc la démonstration que le Canada impose au Québec, par le biais de ses institutions juridico-politiques, le mode de relations qu’il a adopté à l’égard des nouveaux arrivants, le multiculturalisme, et que ce mode entre en collision avec celui sur lequel les Québécois ont fait consensus, l’interculturalisme.
Dès 1760, après la Conquête, les Britanniques imposeront des valeurs et des façons de gérer à un peuple qui, malgré toute la force de son héritage culturel français, verra son développement collectif être profondément bouleversé. Encore aujourd’hui, par l’action du gouvernement canadien devenu fiduciaire du pouvoir britannique, sa réalité sociale se trouve toujours déstabilisée, son identité incertaine et fragmentée.
Depuis la Révolution tranquille s’est érigée au Québec, et à Québec, une gouvernance québécoise qui devient de plus en plus une véritable parodie. Si ce peuple demeure assujetti au pouvoir canadien plus longtemps, son pouvoir politique se verra diminué et ses choix de société réduits à se concrétiser au plan strictement culturel.

Il est bon de savoir que l’on ne parle d’« accommodements raisonnables » que dans les pays où le multiculturalisme, une fois adopté, a engendré plus de ghettos que de véritable intégration. En France ou aux États-Unis, par exemple, pays où l’identité nationale fait davantage consensus, les règles régissant l’immigration visent clairement l’intégration.
Le problème vécu au Québec provient de la compétition que se font deux systèmes d’intégration des immigrants, encourageant ainsi une double identification qui les conduit à choisir entre devenir Canadiens ou Québécois.
Quand le Québec sera un État souverain et la ville de Québec, une capitale nationale, la situation sera plus claire. La langue commune demeurera la langue française et les échanges multilingues, pour des raisons professionnelles, deviendront plus enrichissants que menaçants dans un contexte international.
La ville sera alors en expansion, avec tout le développement économique qui s’ensuivra. Dans cette véritable capitale nationale, les gens se sentiront plus autonomes et cesseront de quêter leurs ressources à un autre palier de gouvernement, dominateur et ignorant de leurs véritables besoins.
B. Rappel historique
1. Le métissage avec les Amérindiens
Les Canadiens français ont été en étroite relation avec les Autochtones au temps de la Nouvelle-France, au point de marquer de façon significative leur manière de vivre et de penser. Sous le régime français particulièrement, la proximité était grande entre les colons et les premiers habitants du territoire. Le rapport entre les uns et les autres s’est fondé davantage sur le mode d’une alliance à des fins commerciales et militaires que sur celui d’une conquête.
La proximité avec les Amérindiens a été déterminante et a donné lieu à un important métissage, dès les années 1660, dû en grande partie au déséquilibre entre les hommes et les femmes dans la société coloniale.
Mais la Conquête rompit avec cet état de choses. Les Britanniques établirent une distance plus grande avec les Amérindiens. Leurs rapports avec ces derniers ont été dès le départ, plus conflictuels, notamment autour de la possession des terres agricoles. Puis, dans la logique britannique, il n’y avait pas de place pour la proximité avec des « sauvages » ne partageant pas les mêmes valeurs politiques et religieuses.
La Loi sur les Indiens, adoptée par le Canada en 1876, et dont l’objectif ultime était l'assimilation des Autochtones, acheva l’éloignement amorcé entre les Québécois et nos premiers alliés en obligeant ces derniers à fréquenter l’école anglaise.
2. Les minorités culturelles
Au milieu du XIXe siècle, à Québec, les anglophones étaient presque aussi nombreux que les francophones. Pendant que les plus beaux territoires de la province étaient réservés, comme cadeaux de guerre, aux ex-militaires et aux marchands britanniques, l’« establishment » prenait ses quartiers dans ce qui allait devenir, et pour longtemps, l’état-major militaire et gouvernemental. La garnison de Québec, avec ses fortifications, et, plus tard, la proximité des installations du 22e Régiment, façonnèrent une ville à l’allure fortifiée et à la mentalité d’enclave protégée, et qui le restera, même après les changements sociopolitiques du XXe siècle.
Québec est aujourd’hui une ville où l’immigration ne prend pas une place très importante dans une population de plus de 500 000 habitants, francophones à 98 %. Mais on y trouve de nombreux descendants britanniques, irlandais ou écossais, bien intégrés à la majorité, malgré la montée nationaliste de la Révolution tranquille qui les a rétablis dans une condition plus réelle de minoritaires.
Dans la mémoire des gens de Québec, subsiste d’ailleurs le souvenir de la communauté chinoise dont le quartier a été démantelé un jour pour permettre la construction de bretelles d’autoroute. Ils se sont dispersés dans d’autres coins de la ville, et peut-être plus loin au Québec, là où ils sont encore perçus comme respectueux de leurs coutumes, mais désireux de partager leur quotidien avec une population qui profite de leur savoir-faire dans divers domaines.
Selon le recensement de 2001, la communauté culturelle la plus importante à
Québec est de langue espagnole avec plus de 2 000 locuteurs, suivie de la communauté de langue arabe, toutes nationalités confondues, avec 1 400 locuteurs. En troisième place, trois communautés sont à égalité : l’allemande, la chinoise et la portugaise, avec environ 600 locuteurs chacune.
Nous aurons une idée encore plus précise du tableau de l’immigration à Québec, lorsque Statistiques Canada publiera les résultats du recensement de 2006. Nous savons déjà cependant que les immigrants récemment arrivés dans notre région sont plus scolarisés et ont une meilleure connaissance du français que leurs prédécesseurs. La plupart d’entre eux considèrent qu’il est normal de parler français à Québec, alors qu’à Montréal, c’est tout de suite en anglais qu’on s’entretient avec quelqu’un dont l’accent marque une différence.

Les nouveaux arrivants n’ont donc pas vraiment le choix, comme les descendants des minorités anglophones avant eux, de vivre en harmonie avec la majorité francophone de la ville de Québec. Peut-on alors parler d’intégration ? Nous disons que oui. Ils sont encore trop peu nombreux, dit-on, mais ceux qui sont là ont compris qu’ils ont tout à gagner à trouver des intérêts communs et à partager leurs valeurs avec leurs nouveaux voisins.
C. L’immigration à Québec
Certains de nos gens d’affaires déplorent pourtant le fait que la ville de Québec ne réussisse pas à profiter davantage de la « ressource immigrante », pour employer leur expression, et se désolent de constater qu’il n’y a que 3 % des immigrants reçus qui, chaque année, s’installent dans notre ville. Selon eux, il faudrait « optimiser cette ressource », sous-entendant, bien sûr, qu’il n’y a que Montréal qui en profite. Comment ne pas voir derrière ces euphémismes une cupidité à peine déguisée qui révèle l’image que l’on a encore trop souvent de l’immigrant : une main-d’œuvre docile et bon marché.
Si les immigrants se retrouvent toujours, presque partout dans le monde, dans les grandes métropoles commerciales, c’est parce que les grandes villes offrent davantage de possibilités de travail et de recomposition de la vie culturelle du pays d’origine.
Nous ne croyons pas que l’immigration soit une « ressource à optimiser ». L’immigrant est d’abord un citoyen que nous convions à s’intégrer à notre société par le biais de la langue française, sans renier pour autant sa culture d’origine, tel que le préconise l’interculturalisme, ce mode d’intégration accepté des Québécois. Parce que nous sommes une petite société, nous avons besoin que ceux qui viennent vivre avec nous acceptent de partager une culture et une langue commune.
Mais il y a plusieurs autres mauvaises raisons pour vouloir augmenter le nombre d’immigrants. L’une d’elles, fréquemment mentionnée, serait que l’immigration est nécessaire pour contrer le déclin démographique, expression utilisée, en fait, pour aborder deux réalités fort distinctes : le déclin démographique des régions et la réduction du poids démographique du Québec dans le Canada.
Pour pallier le déclin démographique, ce qui nous préoccupe le plus à Québec, nous croyons que la régionalisation de l’immigration est illusoire. Si les jeunes quittent Québec pour aller trouver du travail ailleurs, pourquoi un immigrant, dont la principale motivation est d’améliorer sa situation économique, choisirait-il de venir s’installer ici ?
Cessons de rêver à vouloir faire de Québec un autre Montréal et imaginons plutôt ce que pourrait être Québec, si nous tenions compte de sa véritable personnalité, celle de capitale politique.
Quant à l’autre raison pour augmenter le taux d’immigration au Québec, soit contrer la baisse de notre propre poids démographique dans le Canada, elle nous apparaît aussi mauvaise que la première. Nous n’avons probablement pas besoin d’élaborer davantage pour faire connaître la solution préconisée par le Conseil de la souveraineté de la capitale nationale pour éliminer ce fâcheux phénomène.
Si Québec n’attire pas les immigrants, ce n’est pas parce que sa population demeure fermée à l’égard des étrangers, c’est plutôt parce que Québec n’est pas une ville commerciale, mais une ville politique. Tout comme Ottawa n’est pas Toronto, Washington n’est pas New York, Québec n’est pas Montréal. Une ville politique n’attire pas le même type d’immigration qu’une ville commerciale. Tout simplement.
Le passage de la ville de Québec, du statut de capitale provinciale à celui de capitale nationale, entraînerait une effervescence diplomatique jamais vue dans toute l’histoire de cette ville : personnel d’ambassades et de consulats, employés d’agences de presse internationale, traducteurs de langues étrangères, afflueraient dans la nouvelle capitale.
Sans compter la possibilité du développement des centres de recherche et entreprises de haute technologie, qui se marient bien à une capitale politique, et dont le nouvel État souverain ne manquerait pas d’encourager la venue, tout comme a fait le gouvernement canadien avec sa propre capitale.
D. Des conceptions différentes
1. Une conception libérale
Depuis trop longtemps déjà, les Québécois de la ville de Québec subissent une campagne systématique de dénigrement, venant de plusieurs directions à la fois, sur le fait que leur ville est trop blanche, trop homogène, trop provinciale et pas assez urbaine. Bref, pas assez moderne, trop arriérée. Et la preuve évidente de tous ces défauts serait sa difficulté à attirer les immigrants.
Comment expliquer cette agressivité, accueillie et vécue par ses habitants avec de plus en plus de culpabilité ? Parce que la ville de Québec, affirmons-nous, est un symbole lourd à supporter pour ceux qui y vivent. Québec est d’abord la vieille capitale d’un empire qui aurait pu être et dont les lambeaux visuels et sonores sont encore présents le long de ce qu’étaient les grandes routes commerciales de l’Amérique coloniale : sur les côtes des Maritimes, sur les rives du Mississippi et sur les routes menant vers l’Ouest de tous les espoirs.
Mais si ce n’était que de cela, elle jouirait paisiblement des regards émerveillés des voyageurs curieux de ce lieu où le respect manifesté pour l’histoire tranche radicalement avec l’engouement de ce continent pour tout ce qui est nouveau.
Québec est un joyau du patrimoine mondial, mais n’est pas pour autant la Pompéi de l’Amérique du Nord. Elle a encore des habitants bien vivants, des commerçants dynamiques, des créateurs ingénieux, des intellectuels brillants et des politiciens ambitieux.
Québec est aujourd’hui le symbole du projet d’un peuple qui remet en question toute la géopolitique de ce continent qui n’a pas bougé depuis le XVIIIe siècle et illustre la volonté de ce peuple de vivre différemment de ses voisins immédiats.
La guerre de conquête et l’occupation qui suivirent n’ont pas réussi à niveler cette aspérité de l’histoire. Même les tentatives de l’absorber avec langue et symboles confondus ont échoué. Nous souvenons-nous encore à qui appartenait la feuille d’érable ? Et le castor représentant la vaillance des anciens ? Et l’hymne national ?
Nos « vainqueurs » ne se sont jamais complètement remis de leur rupture avec la mère-patrie. Privés du processus d’émancipation qu’ont connu leurs frères américains et de la redéfinition de leur identité qui en est découlée, ils sont demeurés des Anglais malheureux, en quête d’une identité propre. Et, ne se donnant même pas la peine de nous plagier, ils nous prirent notre nom de Canadiens ainsi que toutes nos représentations symboliques, espérant ainsi que s’ensuivrait la désintégration de ce peuple qui ne manifestait aucune intention de quitter la scène de l’histoire.
Il faut respecter cette quête courageuse qui les a amenés à se bricoler une identité avec les symboles du peuple qu’ils avaient conquis, et quelques programmes de sécurité sociale. Mais nous, nous avons été imprudents de croire que cela leur suffirait. Ils n’ont pas fini de construire leur identité et de se bâtir un pays. Après nous avoir volés, les voilà maintenant qui nous visent le cœur, le fondement même de l’identité collective : notre façon de vouloir vivre ensemble.
Ce n’est que maintenant que nous sommes en mesure de saisir le véritable sens du rapatriement de la constitution en 1982 qui leur fit rompre le cordon ombilical avec la mère-patrie. La Charte des droits et libertés, qui a suivi l’adoption du multiculturalisme une décennie plus tôt, constituait le socle sur lequel ils s’étaient entendus pour bâtir leur pays. Comment pourrait-il en être autrement ?
N’était-ce pas leurs ancêtres qui évitaient soigneusement de se mêler aux peuples qu’ils colonisaient, contrairement aux Français qui se métissaient au point de faire le désespoir de leurs curés ?
Pour ces descendants de l’Angleterre coloniale, la cohabitation des cultures où chacun entretient ses traditions et sa religion, dans des quartiers séparés, à l’intérieur des grands centres urbains, représente un signe de grande ouverture sur le monde. Ils ne considèrent pas qu’il s’agit plutôt d’une juxtaposition de ghettos ethniques, repliés sur eux-mêmes et sans autres liens que les rapports d’affaires entretenus au quotidien. Loin de voir cet arrangement comme suspect, ils y voient au contraire un signe de conception supérieure de vie en société.
Leur multiculturalisme émane directement du libéralisme du Siècle des Lumières selon lequel l’individu est au centre du monde. Le marché, laissé à lui-même, serait le lieu où se crée l’harmonie entre les individus et, lorsqu’il y a conflits, l’État sert à les arbitrer.
Selon ce modèle, la société ne procure pas d’identité commune aux individus, puisque chacun est libre de préserver la sienne et de développer son individualité. La société, par ses institutions juridico-politiques, assure à l’individu la sécurité pour sa vie, protège la propriété de ses biens et lui donne l’assurance qu’il pourra atteindre ses fins selon ses propres intérêts.
La Charte canadienne des droits et libertés de 1982 a consacré cette vision libérale de la société.

2. Une conception républicaine
Si cette vision de la vie en société peut tolérer la présence de différences culturelles et religieuses, elle ne peut tolérer longtemps la concurrence d’une autre façon de vouloir vivre ensemble.
Hubert Aquin s’indignait, en 1962, de la façon dont certains de nos compatriotes canadiens-français définissaient notre identité en voulant la confiner au plan strictement culturel. Au contraire, s’insurgeait-il, si nous croyons en la valeur de ce que nous sommes, nous devons aspirer à l’être dans toutes les sphères de l’activité humaine, y compris celle du politique.
Aquin préfigurait la nouvelle identité que nous étions sur le point de nous donner. Notre affirmation dans la sphère du politique nécessitait de déterminer le territoire sur lequel nous exercerions ce pouvoir politique. Ce qui fut fait en choisissant celui, le seul, où nous étions majoritaires, le Québec.
De là, notre nouvelle identité allait de soi et, ainsi, nous abandonnâmes notre identité de Canadiens-Français minoritaires pour adopter, dans l’enthousiasme, celle de Québécois majoritaires. De groupe ethnique, nous prétendions être désormais un peuple, prétention qui ne pouvait que nous conduire à vouloir nous asseoir à la table des nations avec tous les autres peuples.
De ce fait, nous entrions en concurrence directe avec le pouvoir canadien, qui prétendait être le seul habilité à définir les paramètres de notre vivre-ensemble. Nous ne le savions pas encore, mais la Cour suprême n’allait pas tarder à nous montrer qui détenait ce pouvoir au Canada.
Notre façon de vivre avec les autres, adoptée depuis la Révolution tranquille, est radicalement différente. Empruntée au républicanisme français, elle est plus laïque et met l’accent sur la liberté et l’égalité en valorisant davantage l’inclusion des nouveaux arrivants par le partage d’une culture commune dont la langue française est le pivot.

Il faut l’affirmer : le Québec n’est pas moins ouvert à la diversité que le Canada. Le modèle que nous avons adopté privilégie le partage de valeurs communes plutôt que la cohabitation des différences et est tout aussi légitime que le modèle anglo-saxon pour constituer les fondements d’une société démocratique. La multiplication des accommodements raisonnables, dont nous sommes témoins depuis plusieurs années, entre directement en collision avec notre conception de l’ouverture aux autres.
Il faut aussi dire que les Québécois ont raison d’être inquiets de la possibilité qu’une proportion appréciable de nouveaux arrivants ne partagent pas ses valeurs les plus fondamentales. C’est ainsi que nous croyons juste de demander aux immigrants de notre capitale d’adopter, dans la plus large mesure possible, et sans accommodements déraisonnables, ce qui fait consensus au Québec : la laïcité, l’égalité entre les sexes et la langue française.
Car les ententes à la carte remettent précisément en cause le principe même d’un espace laïc où les convictions religieuses sont reléguées dans la sphère privée, bafouent le principe de l’égalité entre les hommes et les femmes, si chèrement gagnée, et contribuent à déstabiliser le fragile équilibre instauré par la Loi 101.
E. Conclusion
Pour en finir avec le multiculturalisme canadien : l’indépendance nationale
Dans votre cahier de consultation, vous écrivez :
« Tout comme les autres nations d’Occident, le Québec doit trouver le moyen de conjuguer des cultures différentes qui partagent un même espace et relèvent des mêmes institutions. Ce contexte de frictions interculturelles est vécu par plusieurs comme une crise, mais il peut être abordé aussi sous un angle positif, car il nous donne l’occasion de redéfinir les lieux qui nous unissent. »
Nous sommes venus vous dire que ce n’est pas avec des cultures différentes que le Québec a de la difficulté, mais avec le Canada qui a adopté un autre mode que le nôtre pour favoriser la cohabitation avec les nouveaux arrivants.
Pendant des générations, nous avons cru qu’il fallait préserver la langue et la foi. Mais aujourd’hui, de par l’actuelle confrontation entre l’approche canadienne et l’approche québécoise, nous savons que nous risquons de perdre notre identité bien avant de perdre notre langue.
En effet, le Canada interfère, par l’intervention de sa Cour suprême, dans la conception même des Québécois de vivre en société, et dans sa volonté du vivre-ensemble selon ses propres règles de fonctionnement.
Nous soutenons que la ville de Québec n’a pas à rougir d’être blanche et homogène. La diversité n’est pas plus vertueuse que l’homogénéité. Tout comme cette dernière ne condamne pas automatiquement au repli sur soi. Naître dans Montcalm ou dans Saint-Sauveur ne condamne pas irrémédiablement à être fermé sur le monde.
Nous privilégions, non pas l’assimilation, mais l’intégration des immigrants à la population de notre capitale, avec la langue française comme langue commune.
Nous comprenons que vous devrez parvenir à élaborer un « accommodement raisonnable » entre Québécois et Canadiens pour concilier des façons si différentes d’entretenir des relations avec les nouveaux arrivants.
Au Conseil de la souveraineté de la capitale nationale, nous croyons fermement que la seule façon de désamorcer cette friction est que le Québec accède enfin à son indépendance nationale.
Le Conseil de la souveraineté de la capitale nationale
Francine Lavoie,

Jacques Beaumier,

respectivement présidente et vice-président du conseil d’administration


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