La Caisse de dépôt est de nouveau sans patron

L'affaire de la CDPQ — le scandale

François Desjardins - Pour la deuxième fois depuis mai 2008, le conseil d'administration de la Caisse de dépôt et placement du Québec doit trouver un nouveau grand patron. En congé depuis la mi-novembre sur les conseils de son médecin, Richard Guay, président depuis le mois de septembre, quitte ses fonctions et les troque pour un poste de conseiller spécial.
Ce départ, qui aura lieu demain, survient à un moment crucial pour la Caisse, qui fait face à une crise financière d'ampleur historique, émerge d'une année difficile en raison de ses problèmes avec le papier commercial et doit bientôt dévoiler des résultats très attendus pour son exercice 2008. La Caisse, qui gère l'argent de plusieurs fonds de retraite au Québec, est le plus gros investisseur institutionnel du Canada.
«M. Guay quitte [son poste] pour des raisons personnelles», a dit le président du conseil, Pierre Brunet, lors d'un entretien. «Depuis le début de son congé, les choses ont évolué et, à la suite d'une réflexion, il a récemment décidé qu'il serait préférable de quitter son poste.» Il avait d'abord pris congé en novembre pour quatre semaines. Le 8 décembre, toutefois, ce congé avait été prolongé jusqu'au 5 janvier.
Un courriel à M. Guay, qui travaillera à temps plein dans un poste créé spécifiquement pour lui, est demeuré sans réponse. Il relèvera directement du président.
Le conseil ne regrette pas la nomination de M. Guay, a assuré M. Brunet, car personne ne doutait de sa compétence. «Que deux départs surviennent en moins d'un an, l'idéal serait que ça n'arrive pas, mais l'équipe est prête à composer avec ça», a-t-il dit.
Le vice-président du groupe immobilier, Fernand Perreault, a été reconduit dans ses fonctions de président par intérim pour une période de six mois, jusqu'au 7 juillet. En coulisse hier, plusieurs observateurs se demandaient déjà ce qui pouvait justifier un délai aussi long pour nommer un successeur permanent à M. Guay.
Poste unique
La présidence de la Caisse de dépôt, un établissement dont les faits et gestes pèsent lourd sur les marchés, est un poste unique en ce sens qu'il exige un sang-froid sans égal devant les caméras, une carapace à toute épreuve et un tact politique hors du commun.
Le président par intérim, Fernand Perreault, a «20 ans d'expérience à la Caisse et jouit de la confiance du conseil et de l'équipe», a dit M. Brunet. La période de six mois est nécessaire, car les résultats ne seront publiés qu'à la fin du mois de février, selon lui. «Il faut que ça soit publié de façon efficace et transparente, et une fois que ça sera fait, on mettra en place le processus de recrutement.»
«Le mandat de six mois est étonnant», a dit Michel Nadeau, un ancien vice-président de la Caisse qui se spécialise maintenant dans la gouvernance. «Est-ce que c'est parce que le gouvernement veut avoir le temps de faire des nominations qui sont dues au conseil? Le mandat de plusieurs membres arrive à échéance, donc ça serait légitime pour le gouvernement de dire "Ne nommez pas un président trop vite parce que vous, comme membres du conseil, vos mandats sont échus".»
Le journal La Presse avait écrit en novembre que M. Guay n'était pas le premier choix du conseil d'administration. Ce premier choix, selon le quotidien, était plutôt Jean-Guy Desjardins, un acteur bien connu dans le milieu de la finance montréalaise qui a des liens avec l'ADQ. L'opposition du cabinet du premier ministre Charest aurait toutefois forcé le conseil à opter pour M. Guay. Le premier ministre avait refusé de commenter cette allégation, se limitant à dire que plusieurs candidatures avaient été étudiées.
Travaillant pour la Caisse depuis 1995, notamment comme vice-président à la gestion du risque, M. Guay était devenu président par intérim le 30 mai 2008, en remplacement d'Henri-Paul Rousseau qui a choisi de retourner au secteur privé, chez Power Corporation. Ironie du sort, M. Rousseau vient d'entrer dans ses nouvelles fonctions il y a quelques jours.
Quoi qu'il en soit, M. Nadeau a dit qu'il est dommage que la Caisse se retrouve sans capitaine pendant aussi longtemps. M. Perreault est un homme compétent, selon lui, mais un président par intérim n'a pas toujours une très grande marge de manoeuvre pour prendre des décisions difficiles.
Réactions
L'attaché de presse de Jean Charest, Hugo d'Amours, a indiqué hier que le gouvernement apprécie le travail que M. Guay a fait à la Caisse mais que l'établissement «n'est pas l'affaire d'un seul homme».
De son côté, François Legault, le porte-parole du Parti québécois en matière de Finances, a déploré que la Caisse, qui vient de traverser une année horrible sur les marchés boursiers alors qu'une récession vient de commencer, perde son grand patron encore une fois.
«Alors que les Québécois sont, à juste titre, inquiets quant à la santé financière de leur bas de laine collectif, la Caisse se retrouve sans capitaine au moment où se confirme le début d'une crise économique majeure. Le gouvernement Charest n'a manifestement pas fait le bon choix et a manqué de transparence dans sa décision de nommer M. Guay à la tête de la CDPQ. Il aurait été profitable que le processus soit davantage transparent», a dit M. Legault dans un communiqué.
Lors d'un entretien, M. Legault a trouvé bizarre qu'il faille une trentaine de jours pour élire un nouveau gouvernement et six mois pour trouver un président à la Caisse de dépôt.
Pour l'exercice 2007, le rendement de la Caisse s'était chiffré à 5,6 %, ce que l'ancien patron, Henri-Paul Rousseau, avait qualifié de «très bonne année comparativement à nos pairs». La Caisse avait notamment radié 15 % de la valeur du papier commercial en sa possession, ce qui s'était traduit par un impact de 1,9 milliard dans ses livres.
Autres candidats
Le conseil d'administration doit de nouveau se plonger dans les listes de candidats à la présidence. L'an dernier, plusieurs noms avaient circulé, dont Jean Houde, le sous-ministre des Finances, Luc Bertrand, patron de la Bourse de Montréal, et Christiane Bergevin, présidente de SNC-Lavalin Capital.
«Normalement, un des rôles du conseil est d'identifier quelques poulains qu'on pourrait avoir à l'interne ou à l'externe pour des situations qui arrivent comme ça», a dit Jean Bédard, professeur à l'Université Laval et spécialiste de la vérification et de la gouvernance. Dans le cas de la Caisse, selon lui, cela signifie qu'il faut, par exemple, garder l'oeil sur les gestionnaires de régimes de retraite ailleurs au Canada. «On doit toujours avoir une liste de candidats potentiels, toujours être en mode prospection», a-t-il dit.
Par ailleurs, les fonctions de M. Perreault à la tête du groupe immobilier seront déléguées à René Tremblay. Ce dernier, président d'Ivanhoé Cambridge, une filiale de la Caisse de dépôt, occupera ces fonctions jusqu'au 7 juillet.


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