La boîte de Pandore

Crime organisé et politique - collusion (privatisation de l'État)

Malgré des révélations de plus en plus troublantes, on peut comprendre l'hésitation du gouvernement Charest à donner le feu vert à la tenue d'une enquête publique sur l'industrie de la construction, que l'opposition réclame à grands cris. Politiquement, il a beaucoup plus à perdre qu'à gagner.
Robert Bourassa pensait bien faire en septembre 1972, quand il a créé la Commission d'enquête sur le crime organisé (CECO), puis la commission Cliche sur l'industrie de la construction en 1974. Dans un cas comme dans l'autre, la société québécoise y a gagné, même si la victoire contre le crime organisé ne peut jamais être définitive. En revanche, le PLQ en a certainement pâti.
Il est facile d'instituer une commission d'enquête publique, mais on ne sait jamais comment elle va finir, ni l'effet qu'elle aura sur la population. Paul Martin peut en témoigner. Lui aussi croyait bien faire en demandant au juge Gomery de faire la lumière sur le programme des commandites. Cela a été la fin de sa carrière politique.
Au départ, la CECO visait à démanteler les réseaux de drogue, de jeu et de prostitution. De fil en aiguille, elle s'est cependant intéressée à d'autres sujets: la viande avariée, le prêt usuraire, la corruption dans l'industrie du vêtement, etc. Cela n'en finissait plus.
Les choses ont carrément mal tourné pour le gouvernement Bourassa quand la commission a entrepris d'examiner les liens entre la mafia et l'ancien ministre Pierre Laporte, assassiné par le FLQ quelques années auparavant.
Cela ne s'est pas amélioré quand la commission Cliche a découvert que l'éminence grise du régime, Paul Desrochers, dînait au Club de la Garnison avec le parrain de la FTQ-Construction, André «Dédé» Desjardins, lié à des criminels notoires.
Au bout du compte, ces enquêtes ont renforcé l'impression d'une corruption généralisée qui a puissamment contribué à la défaite libérale en 1976. D'ailleurs, quand il a repris le pouvoir en 1985, M. Bourassa n'a plus jamais créé de commission d'enquête publique.
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Si la pression de l'opinion devient telle que le gouvernement Charest doive se résoudre à ordonner une enquête, le problème sera d'en restreindre suffisamment la portée pour minimiser le risque de dérapage.
Le saccage du chantier de la baie James, survenu à une période d'intense maraudage, avait permis de limiter le mandat de la commission Cliche à l'exercice de la liberté syndicale dans l'industrie de la construction.
Les informations qui s'accumulent depuis plusieurs mois témoignent toutefois d'un problème généralisé: collusion systématique renforcée par l'intimidation, présence de la mafia, connivence de dirigeants syndicaux, corruption de fonctionnaires, complaisance d'élus municipaux, etc.
S'il est exact que la «mafia italienne montréalaise» contrôle l'ensemble du système et touche 3 % sur chaque contrat, comme un ancien ingénieur du ministère des Transports l'a déclaré devant une caméra de télévision, cela suppose que bien des gens ferment les yeux.
À Québec, on semble avoir déjà exclu l'hypothèse d'une commission composée de plusieurs membres, comme celle qu'avait présidée le juge Cliche, assisté de Brian Mulroney et de Guy Chevrette. On envisage plutôt la formule d'un seul juge assisté d'un procureur.
Peu importe la formule retenue, une enquête publique risque de se transformer en boîte de Pandore, dont il ne sortirait rien de bon pour le gouvernement Charest. Même si aucune irrégularité n'était constatée de son côté, on découvrirait sans doute que nombre de bénéficiaires de contrats gouvernementaux ont également contribué à la caisse du PLQ. Cela n'impliquerait pas nécessairement une relation de cause à effet, mais l'opposition ne s'embarrasserait pas de pareilles nuances.
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Avec la désinvolture arrogante qui lui devient coutumière, le ministre des Finances, Raymond Bachand, a écarté une fois le plus le «spectacle d'une commission d'enquête», au profit des enquêtes policières.
Son collègue ministre du Travail, de l'Emploi et de la Solidarité sociale, Sam Hamad, s'est dit heureux s'apprendre que, dans le cas de Boisbriand, où l'entrepreneur Lino Zambito a accaparé plus de la moitié des contrats depuis cinq ans et a tenté d'y empêcher la tenue des élections le 1er novembre, une enquête avait été ouverte par le... Directeur général des élections.
Certes, il importe que le scrutin se déroule dans un climat serein, mais il faudrait peut-être s'intéresser aussi aux contrats de M. Zambito. Au moment où le gouvernement annonce qu'il faudra se serrer la ceinture et laisse entrevoir d'importantes hausses de tarifs, la gabegie est d'autant plus choquante.
Il est vrai que la tenue d'une enquête publique ne garantirait pas nécessairement que des bandits seraient jetés en prison, comme M. Bachand dit le souhaiter, mais les enquêtes policières se sont succédé au cours des dernières années sans donner lieu à la moindre poursuite.
«Il est certain que la patience a des limites», a lancé hier le ministre de la Sécurité publique, Jacques Dupuis. En général, le degré de patience des gouvernements est fonction de l'humeur de la population. À moins de trouver rapidement des coupables à lui jeter en pâture, il deviendra impossible de justifier le refus d'une enquête sans donner l'impression d'avoir quelque chose à cacher.


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