La bataille des Plaines

les événements dramatiques ou ressentis comme tels, qu'il s'agisse de défaites majeures, de catastrophes naturelles ou de génocides, ne sont jamais commémorés dans l'atmosphère d'une fête touristique

Avis aux imbéciles!


Retour sur ce projet de commémoration de la bataille des plaines d'Abraham. Après m'y être opposée, samedi dernier, j'ai reçu nombre de courriels approbateurs qui me laissent croire qu'en plus des touristes, il se trouvera beaucoup de manifestants sur les Plaines et que l'événement qu'on voulait «objectif» et serein sera plutôt le théâtre d'affrontements stériles.
Mais ce n'est pas la crainte de manifestations hostiles qui devrait inspirer la Commission des champs de bataille. C'est le respect dû aux descendants directs du peuple défait. Je n'ai rien d'une passéiste, je reconnais volontiers que la Conquête n'a pas eu que des effets négatifs et pour tout dire, je suis attachée à ce que le Canada est devenu: 250 ans plus tard, bien de l'eau a coulé sous les ponts du Saint-Laurent.

Il reste qu'il serait indécent de célébrer (c'est le second sens du mot «commémorer»), par des reconstitutions, des bals costumés et des ventes de «souvenirs» (et tant qu'à y être, pourquoi pas des spectacles d'humoristes!), ce que [Jacques Keable décrivait cette semaine dans Le Devoir comme «la mise en spectacle de la défaite du peuple français en Amérique» et «une joviale opération d'humiliation collective».->17493]
Si c'est l'histoire que l'on veut enseigner - voilà un objectif louable - alors qu'on le fasse sérieusement, avec des colloques, des documentaires ou des docufictions, voire avec des bandes dessinées pour ceux qui sont allergiques à l'écriture. Mais pas en transformant en attraction touristique l'événement qui a amorcé la quasi-extinction de la culture française sur ce continent. Un bon début, incidemment, serait de recommencer à bien enseigner l'histoire dans nos écoles, mais c'est un autre problème.
J'ai bondi quand l'adéquiste Éric Caire a comparé cette commémoration, qu'il approuve, au camp de Dachau «ouvert aux touristes», histoire de démontrer que les événements les plus tragiques font l'objet de commémorations. Erreur, M. Caire, erreur. On parle ici de toute autre chose.
Il se trouve que je suis allée à Auschwitz l'été dernier, lors d'un séjour à Cracovie, la seule grande ville polonaise que les nazis n'ont pas eu le temps de détruire, et qui est à une heure du camp de concentration. Oui, l'immense camp est devenu un site touristique, mais comme le serait un temple ou un cimetière. Le silence est de rigueur. On vous donne des écouteurs pour que les voix des guides n'entachent pas l'atmosphère de recueillement qui s'impose. Les panneaux explicatifs sont sobres et précis. On ne vend rien sur le site, même l'entrée est gratuite, les touristes ne paient que pour le transport en autocar. Et, faut-il le préciser, on n'y monte pas de reconstitutions historiques, avec figurants déguisés en prisonniers et mise en scène de l'extermination. Il y a les baraquements, les photos, les objets arrachés aux détenus. Et l'horreur, nue.
Le fait que le site soit envahi, durant la saison touristique, par des milliers de gens, provoque certainement un malaise. On a le sentiment que la Shoah s'en trouve en quelque sorte banalisée, à tout le moins désacralisée. Mais il n'y a aucun doute que l'ouverture du camp aux visiteurs soit une chose utile: pour le devoir de mémoire, pour réfuter les absurdes fables des «négationnistes», pour dire que jamais plus...
Je ne veux surtout pas proposer ce modèle pour la commémoration de la bataille des Plaines, un événement qui n'est pas du même ordre que la Shoah. Mon propos est simplement d'expliquer que, contrairement à ce que dit M. Caire, les événements dramatiques ou ressentis comme tels, qu'il s'agisse de défaites majeures, de catastrophes naturelles ou de génocides, ne sont jamais commémorés dans l'atmosphère d'une fête touristique.


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