La Balance du Pouvoir

Chronique d'André Savard


Les sondages avaient raison quand ils prévoyaient qu’une petite marge déciderait. Une différence étroite d’une ou deux centaines de milliers de voix sépare les trois partis. C’est ce que la compilation fragmentaire des chiffres révélait passé minuit. Le Parti Québécois obtient la balance du pouvoir.
Le Parti Québécois a chuté de cent cinquante mille votes et le parti Libéral de quatre cent mille votes. Le sondeur Jean-Marc Léger faisait remarquer que le parti Libéral obtenait le pire score de son histoire tandis que le parti Québécois récoltait la plus modeste somme de votes après celle de l’élection de 1970.
On croyait que le suspense y était. On croyait que le public se passionnait pour cette course serrée. Le public a d’ailleurs plus suivi les élections si on se fie aux cotes d’écoute et à la couverture médiatique. Pourtant le taux de participation n’a pas augmenté.
Avec chacun quatre pour cent des voix, Québec Solidaire et le Parti Vert ont pris une tranche de la clientèle électorale du parti Québécois. On ignorait quelle ampleur auraient les deux nouveaux partis. Leur impact a favorisé l’émergence de cette nouvelle carte politique menée par deux partis qui, eux, soutiennent un programme en fonction de questions, de curiosités qui ne sont pas gauchistes du tout.
Mario Dumont, dans son discours qui suivit celui de Boisclair, lança que les Québécois ne voulaient pas refaire ce qui ne marchait pas. Assurément, c’est ce que les électeurs pensaient faire en votant ainsi. La population voulait transgresser, en idée et en fait, la dualité des choix, l’axe entre souverainistes et fédéralistes.
Et ceci se préparait depuis très longtemps avec l’émergence des nouveaux partis. On voulait donner une ampleur collective, politique, à la prise de parole dans des domaines plus spécialisés, régionaux même, et faire de cette élection celle des réactions multiples.
Les repères changeaient. Et la population avait besoin de se dire que ce qui était important ne l’était plus. Dumont alla jusqu’à dire que la présence des indépendantistes n’était plus pertinente dans le débat public. La galère du Parti Québécois ne voguait plus après la reconnaissance de la nation québécoise, insistait Dumont.
Le conflit entre souverainistes et fédéralistes était synonyme de ce qui est fermé, définitif. Mais cette préoccupation pour de nouveaux enjeux devient soit un vote pour la catégorie, la case ou le cas. On vote pour le dossier régional ou la définition de sa région. On croit se rapprocher de l’idée apparemment moderne de transgresser une fermeture ancienne. On prétend être en train d’explorer des formes d’actions et de pensée.
Dumont qualifiait le fédéralisme de Harper de fédéralisme d’ouverture alors que son mentor n’offre pour la nation québécoise que son régime de tutelle. On peut imaginer la jubilation de Harper maintenant. Dumont sait que le mécontentement s’exprime facilement par la droite par les temps qui courent.
Dumont a vogué allègrement sur un vent de conservatisme qui a profité, il y a quatre ans, à Charest. Charest était un politicien populiste braillard qui, à titre de chef de l’opposition, accusait le gouvernement Landry de négligence criminelle. Il n’y avait pas le mouvement d’un large travail de pensée derrière la première élection de Charest. En plébiscitant cette fois un parti fédéraliste à la tête de l’opposition, on vient de donner un tour supplémentaire au jeu vieillot que l’on prétend décrier.
Les analystes parlent d’un événement historique mais la culture politique qui s’installe est largement en deçà de celle pratiquée par le parti Québécois. Après avoir remplacé l’Union Nationale, c’est un peu comme si le Parti Québécois se voyait menacé par un succédané de l’Union Nationale. Et on parle d’un défi lancé à la classe politique, bien que le politicien qui incarne cette contestation est l’incarnation forte d’un politicien de la vieille garde. Dumont, en fait, est un politicien opportuniste comme Charest.
Charest, il y a quatre ans, blâmait les subventions aux compagnies. Pour lui le capital devait bien se débrouiller tout seul si on ne lui mettait pas de freins dans les roues. Il parlait de dégraissage de l’Etat. Charest revêtait un personnage qui ressemble étrangement au Dumont d’aujourd’hui.
Sur la manière de faire de la politique, Dumont est allé à la même école que Charest. Mais les conseillers de Charest ont dit à ce dernier de coller à la peau d’un premier ministre. Si Charest montrait son côté batailleur, cela rappellerait l’ambiance de pagaille qui a marqué son gouvernement. Charest a donc été empêtré dans un rôle qui le dépassait, celui d’homme d’Etat.
Mais quel que soit le vent, le Parti Libéral compte sur trente comtés sûrs. Le Parti Libéral, en raison de cet appui indéfectible, peut survivre à quatre ans de mécontentement généralisé et au plus fort désaveu de son histoire en termes de suffrages. Dire que le Québec vient de changer son paysage politique n’est donc qu’une façon de parler. La bienveillance envers le Fédéral, le souci d’avoir une oreille à Ottawa, communs tant à Dumont qu’à Charest, dénotent que rien ne veut changer.
C’est le portrait d’un Québec qui ne dit rien de ce qui n’eût été dit. Toutes les phrases semblent avoir été prises à des politiciens qui ont vécu il y a un demi siècle. On dit passer à autre chose comme si passer à autre chose c’était prononcer des phrases autonomistes qu’on sait tout aussi éculées.
Bien que par une marge infime, une trentaine de comtés qui ont voté « oui » lors du dernier référendum ont accordé leur faveur à l’Action Démocratique. Avant la campagne électorale, on voyait bien que quelque chose basculait. Le terrain tout d’un coup était devenu mouvant. La population voulait retourner au mouvement de l’expérience concrète, l’esprit d’entrepreneurs pour l’Action Démocratique, les causes singulières et sociales chez Québec Solidaire.
Dumont a fait son meilleur coup, car c’est ainsi que l’on désigne les canulars semble-t-il, en dotant l’Action Démocratique d’une plateforme constitutionnelle. Il s’est souvenu de la dégringolade qui avait suivi son discours aplaventriste à Toronto. Dumont avait alors prôné le dévouement conjugal du Québec dans un ménage à dix.
La filière autonomiste lui donne des amis tant au sein de l’électorat nationaliste qu’à Ottawa. Là-bas il n’y a pas lieu de la craindre cette filière. Toute nouveauté québécoise s’enlise au Canada; pire encore pour ce qui n’est même pas une nouveauté. Dumont, à des fins électoralistes, avait besoin de dire aux Québécois qu’à l’Action Démocratique, il y aurait un sens des priorités où le rang du Québec figure à titre de fantasme. Il n’y aurait pas d’échéancier, pas de liste de demandes, juste une symbiose, une évolution qui succéderait aux conflits anciens.
Dumont a juste trouvé une manière de dire aux nationalistes qu’il réaliserait tout ce qu’il ne réaliserait pas. Ce n’est rien pour annoncer le premier matin du monde aux Québécois.
André Savard


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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    27 mars 2007

    Bravo au peuple québécois!
    Le peuple a gagné cette élection!
    Enfin le peuple québécois s'assemble pour former la puissante majorité électorale qu'il a besoin!
    La voie est libre!
    Pas de temps à perdre, il est temps de former le mouvement indépendantiste national!
    Lâchez le PQ. Même après cette deuxième râclée il ne comprendra pas plus.
    Il nous faut encourager et unir cette nouvelle force.
    Le multiculturalisme est le nerf de la guerre, on en a la preuve avec cette élection.
    Il n'y aura pas d'autre occasion. C'est maintenant où jamais. Faîtes pas comme le PQ et attendre 4 ans. Attendez pas le PQ.
    Faut se mettre au boulot maintenant!

  • Jean Pierre Bouchard Répondre

    27 mars 2007

    Plusieurs personnes sont en colère. Des gens de gauche même parmi ceux qui ont voté QS. Des souverainistes qui sont férocement sceptiques envers les faux calculs stratégiques de souverainistes également.
    Nous sommes presque aujourd'hui en 1968 ce 27 mars 2007. QS fantasmera sur l'incorporation ou la fusion avec le PQ, le gouvernement et l'opposition officielle sont aux mains de comptables, de petits entrepreneurs obsédés par une conception hystérique de la stabilité politique. Seule la minorité de gouvernement diffère ce scénario.
    Les gouvernements péquistes de 80 et 95 ont tout fait pour réaliser la souveraineté dans la plus grande stabilité possible et au delà de la question de la tricherie fédérale ça n'a pas marché. Aujourd'hui, les Québécois voudraient retourner à l'autonomie afin d'obtenir quelques moyens d'Ottawa dans la plus grande stabilité possible.
    La boucle est bouclée? Serions nous que des nord américains standards qui parlent français?
    Un mot sur A.Boisclair. L'humeur sociale, l'engrenage mal en point du PQ déterminent pour 60% ce qui est arrivé hier. Néanmoins il y a un 40% de causes où son leadership ne passe pas. L'homophobie régionale à son mot à dire de même que l'épisode de la cocaïne dans cette troisième place du PQ associé au style d'un chef fonctionnaliste qui n'a pas passé.
    M.Boisclair doit quitter ses fonctions le plus vite possible.
    Jamais il ne passera devant Dumont en alternative aux libéraux.