L'impunité

Stupidité - Le dictateur a tué 30 000 de ses concitoyens, et la marionnette de GESCa s'interroge: "qui bono?" - Message très clair...



Au cours de la dernière décennie, de nombreux dictateurs ont dû faire face à la justice. C'est le cas de l'Argentin Jorge Videla et du Péruvien Alberto Fujimori. Slobodan Milosevic est mort pendant son interminable procès. Augusto Pinochet n'a pas été jugé, mais il a fini sa vie avec la justice à ses trousses.
Exception faite d'une tentative de poursuite avortée en France et de quelques démêlés avec la Suisse, qui a gelé l'argent qu'il avait volé à son peuple, Jean-Claude Duvalier, lui, a vécu un exil pépère, loin des juges et des tribunaux.
Pourtant, les raisons de le traduire en justice ne manquent pas. Bébé Doc a sur la conscience le sang d'au moins 30 000 de ses concitoyens. Et sa dictature était si efficace que de nombreux cas de disparition et d'exécution sommaire restent non documentés jusqu'à aujourd'hui.
Il lui fallait une bonne dose de culot pour débarquer à Port-au-Prince, dimanche, et annoncer qu'il s'en venait aider son pays. Après un séisme, un ouragan et une épidémie de choléra, Haïti n'avait vraiment pas besoin de ça. En réalité, le retour du dictateur ne fait qu'exacerber la crise politique dans laquelle est plongé le pays depuis l'élection du mois de novembre. Ne serait-ce que par toutes les hypothèses que soulève son geste inattendu.
Parmi les scénarios évoqués depuis dimanche, le plus fréquent voit dans le retour de Duvalier la main du président René Préval, qui aurait organisé une manoeuvre de diversion dans l'espoir d'assurer la survie de son régime. D'autres avancent l'hypothèse d'un plan plus machiavélique, qui chercherait à plonger le pays dans le chaos pour justifier sa mise en tutelle internationale. D'autres, enfin, croient que Jean-Claude Duvalier est rentré de son propre chef, peut-être pour régler ses problèmes financiers, en misant sur la faiblesse d'un État qui n'aurait pas les moyens de le poursuivre.
Au moment d'écrire ces lignes, il était impossible d'avancer une explication un tant soit peu convaincante. Mais il était tout aussi difficile de croire que l'ancien dictateur ait pu quitter la France et débarquer en Haïti sans bénéficier de quelques complicités, à Paris ou à Port-au-Prince. Difficile, aussi, d'imaginer qu'il aurait pris ce risque sans avoir été assuré de pouvoir échapper à la justice.
Inconnu de plus de la moitié des Haïtiens, trop jeunes pour avoir vécu sous son règne, Bébé Doc n'a pas des tonnes de partisans chez lui. En revanche, son retour dans son pays natal, même s'il ne devait durer que quelques jours, pourrait ouvrir la porte à un autre exilé, infiniment plus populaire: Jean-Bertrand Aristide.
«On est en train de réunir tous les ingrédients pour un affrontement inter-haïtien», se désolait hier le journaliste montréalais d'origine haïtienne Pierre-Michel Bolivard.
Pourquoi le gouvernement haïtien n'a-t-il jamais intenté de poursuites contre Bébé Doc? Y avait-il une volonté de le garder en réserve de la République? Le cas échéant, qui en profiterait? Son retour relève-t-il d'un mauvais calcul ou d'une sombre machination? Autant de questions sans réponse, pour le moment en tout cas.
Ce qu'on peut déjà conclure, en revanche, c'est qu'il y a un prix à l'impunité. Tant qu'ils n'ont pas été jugés, les anciens tyrans gardent leur capacité de nuire. Avis aux Tunisiens, qui viennent de voir s'envoler leur dernier dictateur...


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