L'immigration et ses solutions fausses

Chronique de José Fontaine

Je reste sur mes positions d'un article récent. Mais j'ai quelques critiques à adresser à Henri Goldman, auteur de 1964-2014 : l’immigration est notre avenir.
Quelles immigrations en Wallonie et en Belgique?

L'article entend d'abord célébrer l'immigration marocaine dont on va fêter les 50 ans. Pourtant, au moins en ce qui concerne la Wallonie, à cette immigration marocaine moins importante (quoique très présente aussi et très visible), il faut ajouter l'immigration flamande du 19e et du 20e siècles qu'on peut chiffrer à 500.000 personnes et l'immigration italienne déjà avant 1940 mais surtout après la guerre qui représente un chiffre proche de l'immigration flamande. Le sociologue Alfred Sauvy, dans les années 60, estimant que la Wallonie allait se dépeupler proposait comme remède l'immigration. En tout cas, c'est vrai qu'aujourd'hui la démographie wallonne est repartie à la hausse. On lit des chiffres qui parlent d'une augmentation de la population de plus de 500.000 personnes voire d'un million d'ici 2060. Avec les chiffres que j'ai cités on peut dire que la majorité de la population wallonne est d'origine étrangère. «Nous sommes tous des étrangers.» Le mot wallon, veut d'ailleurs dire «étranger», mais cela n'empêche pas que nous fassions tous partie d'un même peuple.
Une petite erreur historique
Henri Goldman écrit aussi, observant que notre monde est devenu ouvert, mondialisé : «Pour cette raison, il est vain d’entrer dans des considérations morales en se demandant si l’immigration est « une chance » ou « un malheur ». Simplement, l’immigration « est ». Le monde a changé. Les capitaux circulent, les marchandises circulent, les emplois circulent, l’information circule… Est-ce bien, est-ce mal ? Quoiqu’on puisse en penser, c’est ainsi. Il n’y aucune raison pour que les êtres humains ne participent pas à ce grand brassage et aucun dispositif policier n’est en mesure de l’empêcher. C’est pourquoi une politique migratoire lucide ne peut être rien d’autre qu’une manière d’accompagner un processus qu’on ne peut contrôler qu’à la marge, pour l’orienter de la manière la plus équitable possible pour les sociétés d’accueil et de départ ainsi que pour les migrants eux-mêmes.»
L'erreur historique me semble être de dire que l'immigration est un phénomène nouveau. L'immigration flamande en Wallonie qui s'est interrompue a été un phénomène constant dans le Pays de Liège bien avant la naissance de l'Etat belge par exemple, bien avant 1800.
Philippe Hamon et Joël Cornette [[Philippe Hamon et Joël Cornette (dir.), Les Renaissances : 1453-1559, Paris, Belin, 2009, p. 49]], estiment que la population de Lyon atteint 35.000 habitants vers 1520. Braudel dans L'identité de la France[[Arthaud-Flammarion, Paris, p. 168]], estime que ses habitants viennent de toute la France mais aussi de toute l'Italie, de Genève, Berne, Munich, des Pays-Bas et de l'Espagne. La mondialisation est un phénomène aussi vieux que le monde, sans pour cela nier que l'époque actuelle voit ce phénomène s'accélérer.
Une erreur politique

A l'erreur historique s'ajoute à mon sens une erreur politique quand Henri Goldman écrit : «Dans le village mondial, l’acte de migrer n’est plus un moment de transition entre deux appartenances nationales exclusives, où le civique (la participation à un espace territorial de citoyenneté) devrait forcément absorber toutes les résonances culturelles et émotionnelles. Vivre en diaspora, en connexion avec d’autres groupes ethnoculturels qui partagent un même référentiel historique, est une modalité moderne de l’existence humaine dont la structuration en nations ethniques exclusives cessera de plus en plus d’être la norme. Le judaïsme diasporique l’a préfiguré et Bruxelles en est aujourd’hui le passionnant laboratoire.»
Il tempère cependant cette vision à mon sens exagérée en disant ailleurs : «Les patries et les nations issues des siècles passés devront se repenser radicalement sinon elles seront balayées par la puissance de ce phénomène. Oui, le XXIe siècle sera bien le siècle des diasporas
L'erreur politique vient aussi de l'erreur historique, les nations d'autrefois étaient moins des espaces clos qu'on ne le pense. Il y en a une autre de dire que l'organisation réticulaire de la géographie humaine serait en passe de dépasser le cadre du Nous constitutionnel sans lequel il n'y a pas de démocratie en un temps où l'Europe au lieu de s'organiser sur la base des Etats-nations tente de dépasser ceux-ci vers un pouvoir insaisissable et incompréhensible. A un tel point que, comme je le rappelais la fois passée, des députés européens finissent par voter sans s'en rendre compte pour des amendements qui n'avaient pas leur adhésion.
Le danger de l'extrême droite en Europe
En tant que Wallon, je regrette aussi que l'on présente Bruxelles comme si cette ville était l'unique lieu de ce brassage des peuples alors que sur une échelle plus grande fatalement, la Wallonie l'est de manière aussi spectaculaire sinon plus.
J'ai déjà raconté ce qui m'est arrivé dans un quartier un peu à l'écart de Namur à une époque où se jouait en Belgique une compétition internationale de football, tandis que je faisais passer un examen écrit dans une de mes classes. On a entendu soudainement venant du dehors de l'école une très forte rumeur, ce qui a permis à une éducatrice de la région de dire : «Les Turcs ont gagné.» Et en effet mon école se situait dans un quartier turc : en cas de victoire turque dans un grand sport international, tout ce quartier pavoise aux couleurs de la Turquie et fait du bruit!
Il faut contester que Bruxelles est la seule entité en Belgique qui pourrait se définir comme multiculturelle. Je connais des sociologues qui pensent au contraire que la Wallonie l'est bien plus encore et d'une manière d'ailleurs plus interculturelle. Lors des championnats internationaux de foot, on voit même dans des quartiers ouvriers des drapeaux de diverses nationalités qui pendent aux fenêtres des maisons, noués l'un à l'autre.
Par ailleurs tout indique que le fait que l'Etat-nation s'effiloche en Europe ne participe pas seulement d'un phénomène sur lequel on ne pourrait rien. La circulation des êtres humains est dépassée par celle des marchandises et des capitaux. Face à cela, comme le montrent des économistes tels Olivier Bonfond ou Xavier Dupret que j'ai plusieurs fois cités dans ces chroniques, on voit des Etats-nations comme certains pays d'Amérique latine réagir avec beaucoup plus de volontarisme face à leurs dettes publiques.
L'extrême droite qui se dit «wallonne» centre tous ses slogans sur l'immigration : «Nous voulons que la Wallonie prenne ses distances avec une politique de connivence envers les immigrés qui a montré ses limites.» C'est un peu comique puisque la Wallonie n'a survécu que grâce à l'immigration. C'est d'ailleurs vrai de tous les pays mais bien plus encore du Pays wallon.
Il faut reconstituer et renouveler les Etats et les nations
Si les Etats s'affaiblissent, ce n'est pas à cause de la plus grande liberté de circulation des personnes et une immigration plus importante, c'est en raison de leur soumission aux marchés.
On voit bien que les Etats demeurent la seule planche de salut en définitive, mais pour sauver justement les banques qui les limitent et les contraignent. L'un des économistes que je cite, Xavier Dupret, craint que la focalisation erronée de populations qui désespèrent de leur pays, n'entraîne des votes désespérés en faveur de l'extrême droite et non en faveur de ceux qui prônent, comme Mélenchon, des mesures plus audacieuses que le repli sur soi, comme par exemple —la France est encore un pays qui dispose du poids nécessaire dans le monde pour le faire—d'annoncer très clairement que la dette de la France sera renégociée.
A mon sens, face au sentiment erroné que l'Etat et la nation s'affaiblissent à cause de l'immigration, il vaudrait mieux ne pas proposer des alternatives qui peuvent sembler sympathiques, mais qui accentuent encore l'affaiblissement de la démocratie. La théorie des réseaux écrivait Jacques Dubois en 1989 relève aussi «d'un vaste courant de la perte de sens[Régions et réseaux, dans TOUDI (annuel) n° 3, 1989, p105.]].» Et il ajoutait que le point de vue autonomiste «s'est largement dégagé de références idéalistes comme celles de l'origine et de la race[[Sur ces questions le Dictionnaire historique et critique du racisme, récemment paru cette année aux PUF (et dirigé par Taguieff), est un outil indispensable]].» Face à la perte du sens politique et du sens tout court qui s'aggrave en Europe, ce n'est pas, à mon avis, aux réseaux qu'il faut confier l'avenir, mais à la reconquête de la souveraineté, à celle des frontières qui permettent à la fois de fermer et d'ouvrir comme le dit le philosophe Vergely dans [un très beau texte.
La frontière, la limite —plutôt que le jeu des réseaux sans règles—est ce par quoi s'institue l'humain par-delà la violence, de manière tout à fait originaire selon René Girard. Bien entendu la frontière hermétiquement close participe d'un imaginaire totalement inhumain (et irréaliste). Mais la dilution des frontières, le mélange universel, le nomadisme absolu nous ramène en-deçà de l'humain dans la mêlée indifférenciée qu'est très exactement la violence, une situation où plus aucune distinction m'existe entre des êtres humains tendus vers la seule destruction d'autrui que figurent assez bien les duels à l'épée dont la posture annonce la mort de l'humain, de l'un ou de l'autre des combattants. Voire des deux. L'absence de frontière ici a comme seule finalité de s'entretuer.

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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