L’identification collective

Le « nous » désigne un rapport vivant à soi et au monde

Chronique d'André Savard


Les réactions aux déclarations de Ségolène Royal laissent songeur. La souveraineté est en soi une valeur. Ce n’est pas une option arbitraire. C’est un principe de base. Le seul fait que ce soit jugé comme un grave impair de se sentir des affinités avec la souveraineté du Québec démontre dans quel contresens nous sommes englués. On ne souhaite pas la perte de l’indépendance pour un peuple de plusieurs millions d’habitants bien enracinés. La question ne devrait même pas se poser.
Selon la version de la diplomatie canadienne, rien ne devrait se dire de positif à cet égard car la nation québécoise relève des affaires internes du Canada. Tous doivent s’exprimer dans la langue cuirassée du Canada. Que le Québec doit être considéré du point de vue d’un statut tout fait, un statut qui distingue aussi peu sa différence, c’est en soi enfermant.
Est-ce qu’on doit rester collé à une forme, un champ social issu d’une dynamique bien connue qui consiste à faire d’un peuple conquis sa province? La déclaration de Ségolène Royal a suscité cette réaction parce que nous vivons dans un horizon contrôlé où chacun doit coller aux formes admises.
Sous prétexte du respect des affaires internes, le monde entier doit-il se confiner dans le ressassement et la répétition? Le fait que le Québec soit une province n’est qu’une particularité historique et non pas un dogme à respecter. Il y a certainement des nations qui ne peuvent être considérées que sous l’angle des affaires internes, des nations insulaires, des populations réduites. Mais évoquer la Corse pour confiner le Québec dans un même déterminisme, c’est fort dangereux. On ne peut tirer les mêmes conclusions et tout expliquer d’une unique manière pour toutes les nations qui relèvent des « affaires internes ».
Agir ainsi, c’est vouloir empêcher la diplomatie internationale de penser franchement et la soumettre à une mentalité du « tout est joué ». D’ailleurs quand les fédéralistes finissent par admettre que tout n’est pas joué, ils prennent un dérivatif en toute hâte. Ils prétendent à nouveau que le Québec est un mot clé qu’on n'a jamais pris la peine de définir sérieusement. À chaque fois ils soulèvent des questions sur la nature du « nous ».
Le débat sur la nature du « nous » est un faux débat. Une nation ne provient pas d’une identification à une essence précise. Platon pensait que toutes les choses concrètes n’étaient que des analogies par rapport aux Idées. C’est un concept valable dans certains domaines comme l’architecture où nous avons des créations produites à partir de dessins. Une nation pour sa part n’est pas déduite d’un dessin d’architecte. Elle ne se laisse pas dépeindre d’avance et ne se laisse pas épuiser par ses principes, même par des principes aussi importants que le laïcat ou des facteurs aussi décisifs que la langue de travail.
Dans l’hypothèse où une nation décrète le laïcat, cela n’empêche pas que plusieurs histoires contradictoires traversent l’âme collective. La France n’a jamais produit autant de grands écrivains catholiques qu’au XXe siècle malgré le laïcat officiel. Chaque nation porte en soi ses caractéristiques, son capital d’expériences qui se transmettent d’une génération à l’autre et qui ne se laissent pas réduire à une définition linéaire du « nous ».
Que notre nation se soit sécularisée, c’est un trait commun à l’ensemble des pays occidentaux. La différence entre les Québécois et les autres nations d’importance, c’est qu’elle n’a pas de pays. Sans souveraineté, c’est un autre pays qui se déclare responsable de l’identification collective.
La souveraineté dit qu’une nation s’obéira à elle-même. La nation qui en est dotée ne passe pas tout son temps à parler de contrat entre les groupes. Ce qui devient décisif c’est sa propre vie au fil du temps avec ses sauts intérieurs car l’esprit d’une nation comme celui d’un individu se nourrit autant de logique que de hasard.
Le lien social qui est un tissu vivant renferme nécessairement des contradictions. Il n’y a pas une idée fixe qui préside à la mise en forme d’une nation. Une nation inscrit en son sein le domaine de la rencontre et de la surprise. Elle identifie ses connaissances à mesure et se forge des caractères en fonction de sa géographie, de son passé, de sa culture et de la vision de son avenir.
Saisir la nation québécoise dans sa diversité demande une approche beaucoup plus raffinée que celle de l’ethnie. Chaque ethnie produit ses fous, ses avares, ses envieux, ses jolies femmes et ses laiderons. Ce n’est pas l’ethnie qui décide des différences entre les peuples. L’ethnie ne vous dira rien de la structuration, de la consolidation intérieure d’une nation, de ce qu’elle voudra et du dessein global qu’elle voudra bien se reconnaître.
Si le « nous » se réduisait à ce qui était pensé, on pourrait le traiter comme tout ce qui se déduit et s’explique de part en part. Or tel n’est pas le cas. Le « nous » ne se laisse pas déduire d’un axiome comme une équation mathématique.
Une définition au préalable du « nous » aboutit souvent à la caricature mensongère. Il suffira de lire tout ce qui s’écrit sur le Québec au Canada pour le constater. Pour bien des commentateurs canadiens, le Québec découle d’une nature précise, moins complexe que l’identité canadienne. À des fins polémiques, ils font comme si seuls quelques traits nous composaient pour les pousser à l’extrême.
Quand on cherche à définir le « nous », le débat public mené par les fédéralistes confond trop souvent « ethnie » et « origine ». Stephen Harper commet fréquemment l’erreur quand il soutient qu’au Canada on n'est pas déterminé par nos origines. L’ethnie ne tient qu’à l’origine charnelle et à ce titre elle ne détermine que l’enveloppe. Cependant toutes les autres origines, de classe sociale, linguistique, géographique, ont une incidence directe sur nos relations, nos références émotives et intellectuelles. Le Canada par exemple est surdéterminé par ses origines anglaises et encore aujourd’hui son objectif est de garantir l’hégémonie de la Couronne.
L’ethnie ne fournit aucune indication pratique lorsqu’il s’agit d’établir des pronostics pour des événements concrets. C’est tout un fil historique qui décide des émotions qui animeront une nation et non pas la couleur des cheveux ou de la peau. La préférence pour une langue ou pour une autre est déterminée par l’éducation notamment. Ce n’est pas une question d’ethnie mais à coup sûr une question d’exigence sociale.
L’origine québécoise est aussi redevable à l’ethnie qu’à la moustache, la couleur des cheveux, la longueur du maillot, l’épaisseur des lunettes. Des individus de tout format et de toute condition peuvent porter les origines québécoises.
Le « nous » québécois ne se rapporte pas à un sujet collectif fermé. Le « nous » désigne un rapport vivant à soi et au monde. Ce n’est pas un technique, une ethnie, ou l’application d’un savoir tout fait.
André Savard


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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    30 janvier 2007

    Il y a longtemps que le terme "ethnie" a perdu son sens "génétique" ou de "race".
    C'est vers 1958, pendant les décolonisations, qu'il a prit son nouveau sens "culturel linguistique". Malheureusement, le Québec fut un des seuls à ne pas avoir profité de cette décolonisation. Peut-être est-ce la raison que le "vieux" sens du terme nous est resté.
    Malgré celà, nous n'hésitons pas à utiliser le terme "minorités ethniques" pour identifier les autres collectivités au Québec. Faut'il en déduire que notre dédain pour le terme viendrait d'une perception d'attribut "minoritaire" à celui-ci?
    Reste que je ne vois pas pourquoi nous-nous priverions de ce que "nous" reconnaissons comme évident chez les "autres".