Les racines politiques du multiculturalisme

Chronique d'André Savard

Qu’il y ait des exagérations et que l’on craigne de se trouver coincé parmi les cent trente unième autres accommodements raisonnables, voilà qui peut se comprendre. Il est néanmoins dommage que les immigrants essuient le blâme pour ce théâtre de l’absurde qui est le nôtre. Les immigrants ne sont pas les responsables du multiculturalisme.
Le multiculturalisme n’est pas né d’un amour de la différence. Après le rapport Laurendeau-Dunton, les puristes souhaitèrent Trudeau à la tête du parti Libéral. Pour des motifs tout aussi idéologiques d’ailleurs, ils ont amené récemment Stéphane Dion. L’objectif qui présida à l’ascension de Trudeau était de remplacer à jamais la thèse des deux nations par celle de la cohabitation des groupes ethniques. Ainsi la nation québécoise tombait dans la seule catégorie retenue, celle des groupes ethniques.
Nous récoltons les fruits d’une longue genèse empoisonnée dont les idéologues fédéralistes furent à la fois complices et auteurs. Sur l’échiquier de la fin des années soixante, la nomenklatura fédéraliste voulait empêcher le Québec de s’affirmer en tant que principe d’intégration. L’accepter eût entraîné l’émergence d’un creuset québécois à côté du creuset canadien. Cette perspective d’avenir était littéralement puante pour le parti Libéral et pour les Conservateurs de l’époque. En effet, Diefenbaker partageait leur dégoût.
À la base du multiculturalisme, vous aviez cette idée dangereuse que le peuple québécois devait se mériter le droit de survivre au Canada comme tous les autres groupes. Le peuple québécois avait à se « qualifier », d’ajouter Trudeau, qui émaillait ses discours d’expression comme « nouveau défi » et « aveu de faiblesse » pour répliquer à ceux qui désiraient que la culture québécoise constitue une norme au Québec. Comment s’étonner des « dérives » actuelles après avoir honoré les propagandistes de cette vision très darwiniste où le peuple hôte doit rivaliser de séduction pour se faire reconnaître le titre de peuple hôte?
Les immigrants n’étaient pas obligés de se naturaliser au Québec. Tout ce qu’on pouvait leur demander, c’était de vivre en français ou en anglais. Les Québécois n’étaient plus que des cohabitants parmi d’autres, un groupe dont le degré d’influence dans le creuset canadien ne devait pas être préféré a priori à celui des nouveaux canadiens.
Aujourd’hui, on voudrait blâmer des groupes particuliers d’immigrants de profiter d’une politique dont la logique a été défendue becs et ongles pendant quarante ans par les grands activistes canadiens. Un groupe ne devait s’imposer aux autres que par son « excellence », sa supériorité morale, sa force accrue. Ne critiquer personne pour le faible pouvoir d’attraction de votre communauté locale, soutenait Trudeau auprès des Québécois. Soyez aussi bons, aussi ouverts que les anglais. Eux, ils n’ont jamais réclamé une place gratuite au Canada. Ils l’ont prise.
Deux prémisses étaient sous-entendues. Les Québécois n’ont pas de place privilégiée et c’est à eux de se mettre en avant dans le respect des institutions canadiennes s’ils ne veulent pas être enterrés. La seconde prémisse, c’est qu’il n’y a plus de superviseur et que le centre de l’intégration peut aller autant dans un sens que dans l’autre. On passait le badigeon sur quatre siècles au nom de l’équivalence des cultures.
La prédominance de l’anglais a été installée si agressivement au Canada que les idéologues n’avaient pas prévu qu’un jour des communautés culturelles évolueraient à Toronto en se fixant uniquement d’après les normes de leur propre groupe culturel. Le multiculturalisme était une réalité menaçante seulement au Québec puisqu’au fond, seulement le français pouvait être ignoré au Canada. Pendant toutes ces années, les seuls qui furent activement accusés de repli identitaire furent les Québécois. Selon l’idéologie fédéraliste, ou on respectait le multiculturalisme voulant que la culture québécoise ne s’impose à personne ou on cédait aux élans suprématistes des pure-laine. Les penseurs fédéralistes souhaitaient ardemment que se maintienne ce rapport d’équivalence entre les groupes culturels au Québec. Le boomerang a finalement atterri dans leur cour.
Ce ne sont pas les immigrants qui sont responsables du contexte canadien : favoriser la naturalisation à la collectivité québécoise fut tant considéré par les bien-pensants comme une entrave à la liberté culturelle. Les fédéralistes soutenaient que, de toute manière, l’ordre québécois était toujours menacé. À tout moment, insistait-on, cet ordre pouvait être excédé par quelque chose qui viendrait du dehors. Ceci était inscrit dans le contexte géopolitique américain et les Québécois devaient se sentir bien chanceux que le Fédéral ait reconnu le français comme langue officielle. Pour le reste, si la culture québécoise devait survivre, c’était par ses propres moyens sans escompter de renfort institutionnel.
L’intention déclarée d’amener les cultures à dialoguer enrobait donc un acte plus fondamental. Ce ne sont pas des immigrants qui ont inventé le multiculturalisme avec tous ses problèmes. Ce ne sont pas des immigrants qui ont entamé le procès du Québec dépeint comme une création empoisonnée dès l’origine par le racisme ou par des accointances nazies. Ce ne sont pas les immigrants qui furent les premiers à conclure que, considérant de présumés penchants fascistes du Québec, mieux valait que le Québec soit présenté comme une référence à dépasser, un clivage qui avait fait son temps.
Le multiculturalisme se voulait le tour d’écrou qui aiderait à désintégrer la puissance d’intégration à la société québécoise. Les immigrants comme tous les autres Canadiens ont lu et entendu que c’était aux Québécois qu’il incombait de se jeter dans la fusion multiculturelle. Ce ne sont pas des immigrants qui les premiers ont défendu l’idée que le Québec devait être avalé par le multiculturalisme afin de ne plus songer à un destin différencié de nation.
De bons Canadiens de souche, bien nichés dans la pyramide sociale, ont promu ces idées. Pas plus tard qu’hier et avant-hier, ils présentaient les Québécois comme les porteurs d’un nationalisme inférieur. Et les immigrants n’avaient plus qu’à lire leurs innombrables dénonciations. Quand le mot « Québec » était prononcé, des millions des petits colonels étaient en mesure de les entretenir de cette petite peuplade intérieure qui voulait vivre enfermée.
Le mot « microcosme » fut souvent repris dans les apologies du Canada. On entre de plain-pied au Canada comme dans le monde, dit-on chez les fédéralistes, sans défense ni distance, ajoutent-ils, pour que le monde nous y avale. C’est en continuité avec la notion de creuset canadien et celle d’un pays conçu comme un parc thématique des nationalités du monde.
Les fédéralistes présentent depuis quarante ans le multiculturalisme comme la condition initiale de la rencontre. Avant même que la nation québécoise n’ait eu droit de mention et avant même que la participation concrète du Québec à la vie des peuples n’ait pas pu se faire, le multiculturalisme voulait que les Québécois renoncent à tout statut différencié au nom d’un rapport d’égalité avec tous les autres. C’était au Québec de s’acclimater à une voie intégrative dont il n’était ni l’auteur ni l’hôte privilégié. Au contraire, on répétait à tue-tête que les Québécois devaient retrouver une fraction d’âme collective plus élevée qui leur permettrait de dominer leurs pulsions revanchardes afin de faire la paix avec tous les autres groupes.
Le multiculturalisme a été utilisé par les fédéralistes pour jouer des quatre fers. Ils ont fait preuve d’une irresponsabilité complète. Comme ni la nation québécoise ni le sens de l’Etat québécois ne constitue une référence pour eux, ils ont vu le multiculturalisme comme un outil efficace dans leur duel sans voir plus loin.
André Savard


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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    29 janvier 2007

    Votre analyse des racines du multiculturalisme à P. E. Trudeau, M. Savard, est aussi juste que détaillée. Mais les problèmes auquels nous faisons face actuellement, avec la crise identitaire nationale exacerbée par ces prétendus accommodements raisonnables, tiennent bien plus du fruit que de la racine du multiculturalisme.
    Ce fruit, est nulle autre que sa progéniture née ici même au Québec et qui hérita du même nom ; la charte des droits et libertés du Québec et l'Interculturalisme qui n'est en fait qu'un multiculturalisme en culottes courtes.
    Ce n'est plus le fédéral qui nous empoisonne de son multiculturalisme et sa charte. On le fait maintenant nous-mêmes, comme des grands!
    C'est notre propre charte des droits qui est maintenant le problème.
    Le multiculturalisme n'est pas limité à un multiconfessionalisme.
    Mais la charte, elle, l'est.
    Bien que la religion fasse partie de la culture, aucun autre trait culturel que celui-ci n'est spécifié par la charte.
    Il n'y a aucun droit spécifique aux traditions, au moeurs d'une collectivité, ou autres règles collectives non-religieuses. Le droit à la culture n'y est pas.
    Ce que Hérouxville a voulue démontrer c'est qu'elle est une collectivité, avec sa culture, ses règles, ses coutumes et valeurs, tout autant qu'en est une institution religieuse et la collectivité qui la compose.
    Tant que ses membres, fidèles à la culture commune, y forment la majorité, c'est par la voix démocratique qu'ils décident de conserver, modifier, ou abandonner des traits de la culture collective.
    Le problème est que leur droit fondamental culturel n'est pas reconnu par la charte. Il n'y a que les religions qui ont des droits. Et c'est pourquoi l'État qui se veut laïque ne peut pas exercer cette laïcité (neutralité) car les religions, seules collectivités détentrices de droits, domineraient la place publique. Alors l'État québécois repousse les religions dans la sphère du privé où les autres collectivités (villes, institutions, écoles,etc...) sont laissées à elles-mêmes face à celles-ci et n'ayant recours qu'aux tribunaux qui ne feront que se reférer à la même charte qui privilégie ces religions.
    Dans cette situation où l'État (publique) "pelte" ses responsabilités, face aux religions, dans le privé - et donc au lieu d'être neutre face aux cultures a simplement décidé de ne pas y faire face - cet État, donc, devient "sans culture" ou "inculte". Un État vide.
    Or, un État vide a tôt fait d'être investi par des idéologies non-religieuses mais toutes aussi institutionalisées et subjectives que des églises. Bref, non-neutre, non-laïques.
    Il est dans l'intérêt de ceux qui ont investis leur doctrine comme c'elle officielle de l'État (État vide = nation vide), de maintenir le contexte actuel qui les y a permis de l' introduire. Leur arme est simple mais efficace; convaincre le peuple que la laïcité est l'absence de religion (civisme absolu = nation civique). Une fausseté puisque la laïcité est la séparation de l'État et des religions et non pas le rejet ou l'ignorance de l'un et l'autre. L'église ne doit pas avoir aucun pouvoir politique et l'État ne doit pas avoir aucun pouvoir religieux.
    Parcontre, l'Église n'est pas soustraite au pouvoir politique de l'État et l'État n'est pas soustrait au pouvoir religieux de l'Église (ou des églises).
    L'État, par ses lois, a un pouvoir sur les Églises, et l'Église, par la voix démocratique de ses fidèles, aux élections, a un pouvoir sur l'État.
    L'un ne doit pas ignorer l'autre.
    Notre situation actuelle est complètement l'inverse et totalement dénaturée.
    Bien que séparés, nous avons un État qui fait de la religion (sa doctrine idéologique dans le public) et des Églises qui se comportent comme des États (font de la politique dans le privé).
    Le peuple, entre les deux, est soummis aux pressions opposées, grâce aux médias qui au lieu d'informer se mettent plutôt au service des partis, et se déchire.