L'hypocrisie authentique

Écoles passerelles - Loi 115



La Cour suprême a toujours eu le don de mettre un peu d'ambiance dans le débat politique avec des concepts fumeux comme la «nette prédominance» ou la «majorité claire». Le «parcours authentique», dont elle a fait un nouveau critère d'accès à l'école anglaise, promet encore des heures de plaisir.
Si le gouvernement Charest cherchait un moyen de détourner l'attention des questions d'intégrité, quoi de mieux qu'une bonne vieille chicane sur la langue? Entre la corruption et la compromission, les gens préfèrent généralement la seconde.
Le sujet n'en demeure pas moins potentiellement explosif. Même si le gouvernement avait sans doute fait son lit depuis longtemps, on s'est assuré que le débat sur le projet de loi sur les «écoles passerelles» ne s'éternise pas. L'Assemblée nationale ajournera ses travaux dès la semaine prochaine et les audiences publiques en commission parlementaire auront lieu au tout début de septembre. Quand la session reprendra à l'automne, il ne restera plus qu'à finaliser l'adoption du projet.
Au-delà de la querelle de procédure à laquelle sa présentation a donné lieu hier, il est clair que le gouvernement Charest a fait exactement le contraire de ce qu'exigeait la motion que l'Assemblée nationale a adoptée à l'unanimité il y a à peine deux semaines.
Le projet de loi consacre bel et bien la légalité des écoles passerelles et la possibilité d'«acheter» un droit d'accès à l'école anglaise, qui coûtera simplement plus cher. Soit, il ne suffira pas d'être riche, mais ce sera une condition indispensable.
Il fallait voir l'indignation de M. Charest quand Mario Dumont déplorait que le propriétaire de trois Mercedes ne puisse en vendre une pour se faire soigner dans un établissement privé. Si c'est pour faire instruire sa progéniture dans la langue de Shakespeare, le premier ministre ne semble y voir aucun problème.
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Pour dorer la pilule, on a annexé à cet enchâssement discriminatoire des droits et privilèges de la richesse quelques mesures visant prétendument à renforcer la Charte de la langue française. Depuis quand renforce-t-on une loi en légalisant les moyens de la contourner?
Les libéraux ont toujours reproché au PQ de vouloir définir ce qu'est un anglophone. C'est pourtant ce que propose le projet de loi en prétendant évaluer l'authenticité du parcours des élèves inscrits dans les écoles non subventionnées. Pourvu qu'il en ait les moyens, un francophone ou un allophone pourra même être transformé en anglophone. Finalement, s'il y a une chose d'authentique dans cette histoire, c'est l'hypocrisie dont le gouvernement a fait preuve.
Tout cela n'a rien de très étonnant. Personne ne s'attendait sérieusement à ce qu'il étende les dispositions de la Charte de la langue française aux écoles privées non subventionnées, comme l'en pressait le Conseil supérieur de la langue française. Encore moins à ce qu'il utilise la clause nonobstant pour éviter de nouvelles contestations.
Cela aurait constitué un véritable affront pour la communauté anglo-québécoise et M. Charest n'avait certainement aucune envie de provoquer une révolte de ses députés de l'ouest de Montréal.
Sans parler de ses relations avec le Canada anglais, qui ont déjà été meilleures. Robert Bourassa a payé cher le fait d'avoir utilisé la clause nonobstant en 1988 afin de maintenir la règle de l'unilinguisme français dans l'affichage commercial, offrant ainsi aux adversaires de l'accord du lac Meech l'occasion d'illustrer les méfaits de la «société distincte».
Cette démonisation systématique de la clause dérogatoire ne cesse d'étonner quand on sait que c'est à la demande expresse des provinces de l'Ouest que Pierre Elliott Trudeau l'avait incluse dans la Charte des droits. Évidemment, si c'est le Québec qui l'invoque, ce ne peut être que dans un funeste dessein.
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M. Charest fait sans doute le pari qu'après un certain agacement, les francophones en arriveront à la conclusion que l'ajout de quelques centaines d'élèves par année dans le réseau anglais ne mérite pas qu'on en fasse tout un plat.
Il aurait cependant tort de sous-estimer l'inquiétude grandissante devant le recul du français à Montréal. Si M. Bourassa s'était résigné à passer outre au jugement de la Cour suprême en 1988, c'était précisément parce qu'il avait senti cette inquiétude, dont le gouvernement actuel a plutôt choisi de nier le bien-fondé.
Au début des années 1990, le PQ avait présenté un rapport sur les droits des anglophones dans un Québec souverain qui en avait surpris plusieurs. Le député de Westmount, Richard Holden, élu sous les couleurs du Parti Égalité en 1989 avant un étonnant passage au PQ, s'était dit d'avis que les francophones seraient plus ouverts aux besoins de la communauté anglophone parce qu'ils se sentiraient plus en sécurité sur le plan culturel. Il avait été traité comme un paria, mais il avait probablement raison.
Si la souveraineté devait avoir pour effet de diminuer l'insécurité culturelle des francophones, la perspective de demeurer, de plus en plus minoritaires, au sein d'un Canada qui fait la promotion du bilinguisme et du multiculturalisme risque malheureusement de la renforcer.
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mdavid@ledevoir.com


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